COURS D’ETHIQUE INFORMATIQUE ET DEONTOLOGIE EN L3 LMD 2023-2024. Prof. Francisco Tshionyi.pdf
Année Académique 2023-2024 |
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET UNIVERSITAIRE
UNIVERSITE NOTRE-DAME DU KASAYI
‘’U. KA’’
Destiné aux étudiants(es) de L3 LMD
Faculté d’Informatique
Prof. FRANÇOIS TSHIONYI KAZADI
ANNEE ACADEMIQUE 2023-2024 |
INTRODUCTION GENERALE
- Préambule
Motivation et intérêt du cours
Nous assistons, depuis quelque temps à une « déferlante éthique » mieux à une « valse des éthiques »[1]. On débat sur la bioéthique, sur l’éthique des professions (architectes, chirurgiens-dentistes, médecins, pharmaciens, avocats, informaticiens, économistes, etc.) et même les entreprises privées édictent des chartes éthiques. Aujourd’hui, chaque secteur, chaque profession réclame une moralisation. Pour le dire autrement, aucun secteur de la vie publique et/ou privée n’échappe pas à ce besoin d’éthique. « A travers l’entreprise, la communication ou la recherche bio-médicale, il est possible de critiquer l’éthique pour fonder une morale à venir » (Alain Etchegoyen).
En effet, un cours d’éthique nous offre l’opportunité́ par excellence de réfléchir sur la conduite des acteurs sociaux opérant dans un secteur déterminé et devant agir avec éthique en conformité avec le code déontologique qu’ils doivent observer dans l’exercice de leur métier.
On n’entre pas dans une faculté quelconque avec pour seul but d’y apprendre des techniques instrumentales et les bases d’un métier. On attend aussi de l’université, surtout si elle compte parmi les grandes, qu’elle aide les étudiant(e)s à s’orienter dans la société, qu’elle leur facilite l’accès au débat intellectuel et politique, qu’elle les aide à définir des positions qui reposent sur des arguments rationnels, et non pas seulement sur la conviction intime ou les habitudes acquises. D’où l’actualité de propos de Rabelais que voici « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », ainsi que de la devise de l’université congolaise : « Scientia splendet et conscientia » (la science luit avec la conscience).
Désormais, un cours d’éthique et déontologie professionnelle se donne cette visée pédagogique ambitieuse. Il abordera quelques-uns des grands enjeux qui se présentent à la société contemporaine, notamment à la R.D.C., en les sélectionnant d’après leur proximité avec l’orientation du cursus. Il privilégiera le point de vue de l’argumentation éthique, en s’appuyant sur des concepts et des doctrines de la philosophie morale et politique. Autant que possible, il fera alterner les sujets théoriques et les études de cas.
Cette ambition est à la mesure du défi car c’est une aubaine de former des hommes et des femmes équilibrés intellectuellement et moralement. Cela répond au défi de la crise anthropologique et morale qui plane sur nos sociétés comme l’épée de Damoclès.
C’est sur cette base que nous envisageons orienter des cours d’éthique et déontologie professionnelle pour diverses filières d’enseignement universitaire : informatique, sciences bio-médicales, sciences de la communication, philosophie, sociologie, théologie, architecture, polytechnique, etc.
Approche personnaliste. Dans les cours d’éthique et déontologie professionnelle, je privilégie une approche personnaliste qui consiste à considérer la personne humaine comme valeur suprême : « la personne est en quelque manière un absolu », nous ne disons pas que la personne est l’Absolu. Nous voulons exactement dire, en bref, que la personne ne peut jamais être considérée comme un instrument, un objet dont il faut tirer profit. Elle est plutôt un sujet, jouissant de son autonomie, sujet de droit, sujet agissant en toute liberté (une liberté éclairée par la vérité). Plusieurs courants de pensée, enfin, se rencontrent en mettant au cœur même de leur recherche morale, la personne humaine.
Ainsi donc, l’objectif de l’éthique, c’est le respect, la protection, la promotion de la personne humaine : non seulement des personnes concrètes, existantes, mais encore de la personne, de ce qui en constitue la nature, les éléments, la valeur, la dignité.
Le rôle de l’éthique dans la vie quotidienne. La démarche éthique consiste à éclairer la personne qui doit opérer des choix judicieux dans sa vie, prendre des décisions qui valent, respectant tout à la fois les principes de bienveillance, de respect de l’autonomie de chacun, et de justice.
Approche pédagogique. Cours magistral avec des travaux dirigés. Un support sera mis à la portée des étudiant(e)s et une bibliographie sélective leur sera donnée aussi.
- Objectifs
- Objectifs généraux
- Initier les étudiants(es) aux questions et débats actuels en éthique informatique et déontologie professionnelle ;
- Donner aux étudiants des outils d’appréciation et de discernement comme repères moraux pour un agir proactif face aux défis de la révolution informatique ou numérique.
- Objectifs spécifiques
À l’issue de ce cours, l’étudiant(e) sera capable de :
- de définir l’éthique informatique ;
- d’expliquer la nature, la nécessité et le contenu de l’éthique informatique ;
- d’identifier des situations et comportements qui appellent à la mise sur pied d’une éthique dans l’usage des outils informatiques ;
- trouver des champs d’applications de l’éthique informatique et proposer des voies de solution aux problèmes qui heurtent les consciences dans ce domaine ;
- veiller à la promotion d’une informatique basée sur des valeurs morales.
BIBLIOGRAPHIE
- « Pour un monde plus humain. Quelle éthique pour le numérique ? », Revue de UP Humanness, février-avril 2023.
- Eric Germain, Claude Kirchner et Catherine Tessier, Pour une éthique du numérique, Puf, Paris, 2022.
- Claude Hagege, L’éthique de l’internet face au nouveau monde numérique : Mais qui garde les gades ?, L’Harmattan, Paris, 2015.
- Serge Agostinelli, L’éthique des situations de communication numérique, L’Harmattan, Paris, 2005.
- Félix Paoletti, « Les libertés à l’épreuve de l’informatique : fichage et contrôle social », Terminal, 108-109 | 2011, 3-5.
Référence électronique mis en ligne le 20 avril 2016, consulté le 30 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/terminal/1281 ; DOI : https://doi.org/10.4000/terminal.1281.
CHAPITRE I. CONSIDERATIONS GENERALES
I.1. Définitions et domaines de l’éthique
1° APPROCHE CONCEPTUELLE : QU’EST–CE QUE L’ETHIQUE ?
Pour définir l’éthique, il faut d’abord examiner le rapport qui existe entre morale et éthique.
- Morale et éthique : quel rapport ?
« On se trompe sur la morale. Elle n’est pas là d’abord pour punir, pour réprimer, pour condamner. Il y a des tribunaux pour ça, des policiers pour ça, des prisons pour ça, et nul n’y verrait une morale[2]. » Ce propos d’André Comte-Sponville nous livre les fausses idées qui circulent au sujet de la morale. D’où les questions : qu’est-ce que la morale ? Quel rapport entretient-elle avec l’éthique ?
Les deux termes proviennent d’une étymologie similaire. Du latin : mos, moris « mœurs », qui renvoie à l’habitude, la tradition, les mœurs. L’éthique, quant à elle, vient du grec ethos qui signifie l’habitude, la coutume et la tradition.
Du point de vue étymologique, on dirait qu’il n’y a pas de différence entre les deux. Mais ici, nous ne recherchons pas à comprendre l’essence de ces deux concepts, sinon leur contenu. Voilà pourquoi l’étymologie ne nous sert presque pas. Il faut nous atteler aux usages qu’on en fait.
- Quelques approches:
- Du point de vue sociologique, les termes éthique et morale renvoient à une approche descriptive et désignent l’ensemble des règles et normes de conduite particulières appliquées habituellement par une communauté ou un individu.
- Du point de vue philosophique, les termes éthique et morale renvoient à une approche prescriptive qui touche aux règles et normes de conduite qu’il convient de suivre. Qu’est-ce que l’éthique ou la morale requièrent ? On n’est plus ici dans un registre descriptif, on est plutôt dans un registre prescriptif où on se demande : quelles sont les règles qu’il faut suivre.
De manière générale, dans la pensée contemporaine, nombreux auteurs utilisent les deux termes sont utilisés de manière interchangeable. Toutefois, il y a bien une spécificité de chacune. Alors que la morale évoque l’obligation, la tradition, souvent à connotation religieuse (on pense aux dogmes), l’éthique apparaît davantage comme une réflexion rationnelle, et plutôt respectueuse de la liberté individuelle.
C’est cette vision qui a inspiré certains auteurs à penser la distinction entre les deux concepts. Le philosophe français Paul Ricœur, par exemple, suggère la distinction suivante :
« Je réserve le terme d’éthique pour la visée d’une vie accomplie et celui de morale pour l’articulation de cette visée dans des normes caractérisées à la fois par la prétention à l’universalité et par un effet de contrainte ».
En clair, l’éthique aurait donc plutôt une perspective individualiste, concernant la question du bien et de la vie bonne. Qu’est-ce qu’une vie réussie ? Alors que la morale aurait davantage une prétention universelle, toucherait à la question de la justice. Qu’est-ce que la justice requiert ? Quels sont nos devoirs envers autrui ?
Retenons donc un trait qui fait la distinction entre éthique et morale : l’aspiration au bien (bonheur, bien-être) pour l’éthique ; l’obéissance aux normes pour la morale. Autrement dit, l’éthique se caractérise par sa perspective téléologique (de telos, qui signifie finalité, but), selon la conception héritée d’Aristote. Elle est opposée à la conception d’Emmanuel Kant, philosophe allemand, qui définit la morale par son caractère d’obligation de la norme. C’est la perspective déontologique (qui signifie « devoir »).
En clair, l’aspiration de l’éthique s’exprime en ces termes : tendre à la vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes. Qui dit aspiration à la vie bonne, signifie une option un désir (de bien vivre) et non une obligation : la personne choisit de mener une vie bonne si elle le veut ou non.
Tout compte fait, l’éthique (comme la morale et la déontologie) désigne d’abord une recherche. Elle évoque une réflexion sur l’agir humain. Elle inclut alors une réflexion sur les valeurs, sur les principes de l’agir, sur les fondements de ces principes, sur les finalités de l’action, sur les exigences de la dignité humaine, etc.
- Créer un langage commun autour du terme éthique
Théologiens, philosophes et autre spécialistes des diverses sciences de l’homme se sont amplement disputés, et en vain, pour définir l’objet de l’Ethique en tant que discipline autonome, délimiter son domaine et préciser l’attitude scientifique de l’éthicien. Pour les uns, l’éthique ne saurait être qu’une étude des mœurs, des coutumes, des habitudes de vie d’une société ou d’un individu. Pour les autres, l’éthique est la science de la morale ou l’art de diriger la conduite, d’après le Dictionnaire Robert. Pour le Trésor de la langue française, l’éthique est la science qui traite des principes régulateurs de l’action et de la conduite morale.
d) Enoncés éthiques et leurs classifications
On peut proposer une division sommaire des énoncés éthiques en trois catégories :
- Des énoncés éthiques universels, communs à toutes les cultures et à toutes les théories éthiques. Ces énoncés forment les conditions nécessaires à toute vie en société. Ils constituent les fondements de tout consensus pluraliste. Ils recouvrent les mêmes interdits ou principes fondamentaux, bien que fondés différemment, dans chaque culture. Malgré des désaccords sur les fondements, ils s’imposent d’eux-mêmes. Ils ne requièrent, à la limite, pas d’adhésion formelle, la loi civile les fait appliquer et respecter. Ils portent sur la violence et la mort (interdit du meurtre), sur la sexualité (interdit de l’inceste) et sur le langage (interdit du faux serment ou du mensonge). On peut être en désaccord sur les arguments avancés par certains pour fonder ces principes, mais pas sur le fait qu’ils sont au fondement de toutes les relations humaines.
- A l’opposé on trouve des énoncés éthiques particuliers qui sont intimement liés à une argumentation et un fondement propres à un groupe ou une profession religieuse. Ils réclament une adhésion à l’ensemble des éléments de la doctrine pour être acceptés et mis en pratique. On peut mentionner comme exemple le refus des transfusions sanguines chez les témoins de Jéhovah. L’accord sur ces règles n’intervient que si l’on partage l’argumentation et le fondement qui les sous-tendent, et finit par devenir la marque de l’adhésion à ce groupe particulier.
Entre ces deux pôles d’énoncés universels et particuliers se trouve une large étendue parsemée d’énoncés dont le rôle et la place sont en discussion. Cette étendue est l’image d’un champ de bataille où les énoncés se placent et se déplacent en cours de débat selon la force des arguments avancés et contrés. Ces énoncés sont discutés, car certains veulent leur attribuer une place proche des énoncés universels (les faire passer dans la loi civile, par ex.), alors que d’autres voudraient les reléguer dans une zone moins en vue (laisser leur application au seul jugement personnel, par ex.). Le consensus se dessine lorsque toutes les parties se mettent d’accord sur le lieu que doit occuper un énoncé éthique (si l’acte relève de la loi civile ou de la conscience personnelle, doit-il être interdit, toléré ou encouragé ?).
La discussion de ces énoncés et la recherche du consensus forment le cœur du débat éthique. Cette typologie ne permet pas une classification automatique des énoncés éthiques. En effet, il faut remarquer que, selon l’apparentement à telle ou telle théorie éthique, un problème éthique peut être placé à des endroits différents. Ainsi l’Eglise catholique romaine place l’interdit de l’avortement dans les énoncés universels, alors qu’un défenseur de la pensée laïque, ou certains protestants, le classeront parmi les énoncés en débat.
Cette typologie permet cependant de voir que le consensus recherché n’est pas spécialement lié à un accord sur l’origine du fondement ou sur le type d’argumentation proposée, mais dépend du rôle et de la place que l’énoncé éthique peut se voir attribuer. La spécificité du point de départ n’est pas un obstacle à un consensus pragmatique. La traduction d’un langage éthique dans un autre n’est pas impossible aux niveaux des énoncés universels et des énoncés en débat. Pour une éthique ouverte, il convient de s’efforcer de toujours se situer à ces deux niveaux, de manière à laisser toujours la porte ouverte à un consensus. Cela ne signifie pas qu’on diminue en quoi que ce soit la portée théologique des fondements qu’on énonce.
Bref, ce tableau permet aussi de constater qu’on peut avoir des perspectives ou des approches différentes pour définir l’éthique. Les uns expriment leurs définitions en termes de normes, devoirs, obligations, interdits (approche légaliste). D’autres les expriment en termes de valeurs (approche axiologique). D’autres encore cernent directement leur vocabulaire et leur réflexion sur la notion de personne (approche personnaliste ou humaniste).
Comme déjà évoqué, nous devons retenir la définition suivante : l’éthique ou la morale désignent la recherche et l’explicitation des exigences du respect et de la promotion de la personne humaine, ainsi que de la construction d’une cité fraternelle (définition de premier type) ; la systématisation de ces exigences (deuxième type) ; et leur mise en œuvre dans le concret de la vie (troisième type)
Quelles sont alors les sources de la morale ?
Il y a deux manières d’envisager la source de la morale :
- Théorie hétéronome de la morale : les partisans de cette théorie estiment que l’homme reçoit la morale d’ailleurs que de lui-même (en dehors de lui-même). Il peut s’agir de Dieu, de la loi morale ou de la société. C’est la position défendue par Saint Thomas d’Aquin, Emmanuel Kant, Emile Durkheim.
- Théorie autonome de la morale : les tenants de cette théorie stipulent que l’homme est lui-même source de la morale car il crée, réinvente par lui-même les principes de son action. Nietzsche, Sartre et Camus en sont les partisans les plus illustres.
2° DU POINT DE VUE DU CONTENU
Qu’est-ce que l’éthique englobe-t-elle ? L’éthique cherche des réponses à des questions : Que dois-je faire ? Comment dois-je agir ? Comment doit agir une communauté d’êtres humains ? Vu sous cet angle, l’éthique touche donc tous les domaines de la vie (cf. graphique ci-contre), chaque fois que l’être humain peut et doit choisir entre diverses possibilités d’action. L’éthique cherche des réponses à la question de l’action bonne et juste. Elle s’efforce d’orienter l’action responsable dans tous les domaines de la vie. Elle le fait par des méthodes et des étapes fondées et selon l’approche choisie, avec des justifications philosophiques, religieuses, des conceptions du monde diverses.
Quant à la morale, terme à connotation négative aujourd’hui, elle représente le cadre fondamental d’une société, avec ses règles de comportement, ses valeurs normatives et ses conceptions intellectuelles dominantes, qui s’expriment dans les coutumes et dans les mœurs.
- Formes d’éthique
On distingue trois formes d’éthique :
- L’éthique descriptive ou empirique décrit les manifestations multiples de la morale existante et des coutumes d’individus, groupes, peuples, institutions et cultures.
- L’éthique normative soumet à l’examen critique la morale existante, et formule des normes qui doivent orienter l’action. L’éthique normative se base toujours sur une approche déterminée.
- La méta-éthique soumet à l’examen critique les méthodes éthiques elles-mêmes, et les développe encore.
Le présent cours porte surtout sur l’éthique normative. Méta-éthique et éthique descriptive ne sont mentionnées que marginalement.
- Domaines principaux de l’éthique
On distingue six domaines principaux de l’éthique suivants :
- L’éthique de la vie porte sur le début, la préservation et la fin de la vie.
- L’éthique des formes communautaires sur les questions de la vie en communauté.
- L’éthique de l’environnement sur l’environnement non humain.
- L’éthique économique sur la production, le commerce, la consommation de biens et de services et l’élimination de leurs déchets.
- L’éthique politique sur les questions d’action conjointe des communautés populaires et de groupes humains à travers des institutions politiques.
- L’éthique culturelle et religieuse sur l’action et la vie commune à travers des institutions culturelles et communautés religieuses.
GRAPHIQUE : Types et domaines d’éthique
TYPES D’ETHIQUE | PRINCIPAUX DOMAINES D’ETHIQUE | SUBDIVISIONS DES PRINCIPAUX DOMAINES DE L’ETHIQUE |
ETHIQUE DE LA VIE | Ethique de la santé Ethique de la médecine Ethique de la sexualité Bioéthique | |
ETHIQUE DES FORMES COMMUNAUTAIRES | Ethique des formes de vie Ethique conjugale, familiale Ethique de la communauté Ethique intergénérationnelle | |
Méta-éthique | ||
ETHIQUE DE L’ENVIRONNEMENT | Ethique des ressources Ethique des ressources de vie Ethique envers les animaux Ethique de la biodiversité | |
Ethique des valeurs (Ethique normative) | ||
ETHIQUE ECONOMIQUE | Ethique de l’entreprise Ethique économique du travail Ethique des systèmes économiques Ethique du commerce Ethique de la consommation Ethique de la profession | |
Ethique descriptive | ||
ETHIQUE POLITIQUE | Ethique du droit Ethique des formes d’état Ethique de la paix Ethique de la propriété | |
ETHIQUE CULTURELLE/RELIGIEUSE | Ethique des médias Ethique de sport Ethique de la culture Ethique des religions |
CHAPITRE II. L’ETHIQUE INFORMATIQUE POURQUOI FAIRE ?
INTRODUCTION
Ce deuxième chapitre vise à fixer les idées des étudiants sur ce qu’est l’éthique informatique, ses objectifs ainsi que son déploiement..
II.1. L’enjeu d’une éthique informatique
Avec l’apparition de l’informatique, nous vivons, et depuis les années 1980 principalement, une extraordinaire révolution d’outils et modes de traitement, de transmission et de circulation automatisés de l’information.
En effet, cette révolution informatique qui s’est donnée des applications multiples et variées, se révèle de manière claire dans la technologie robotique et dans l’internet. L’ordinateur permet de réaliser des choses jadis inimaginables par l’esprit humain, de sorte que notre monde actuel ne peut désormais ni tenir ni exister sans l’informatique.
Mais tout en produisant des réalisations admirables qui facilitent mes échanges (commerciaux, culturels, sociaux, interindividuels, etc.), les économies, le travail et la vie humaine tout court, cette révolution technologique informatique comporte son revers de la médaille. Elle donne lieu, involontairement et volontairement, à des externalités négatives nombreuses et de plus en plus inquiétantes, principalement dans son usage.
Nous assistons, depuis quelque temps à une « déferlante éthique » mieux à une « valse des éthiques »[3]. On débat sur la bioéthique, sur l’éthique des professions (architectes, chirurgiens-dentistes, médecins, pharmaciens, avocats, etc.) et même les entreprises privées édictent des chartes éthiques. Aujourd’hui, chaque secteur, chaque profession réclame une moralisation. Les informaticiens ne sont pas en reste. Ils n’échappent pas à ce besoin d’éthique.
Vis-à-vis de la technologie informatique en plein essor, une discipline scientifique ou, plus précisément, philosophique, est en train de prendre corps, une discipline nouvelle qu’on appelle, en anglais, Computer Ethics et, en français, Ethique Informatique. Ce cours, destiné aux étudiants en Informatique en L1, s’applique à indiquer sa nature ou ce que, à vrai dire, elle devrait substantiellement être. A cet effet, le court étale l’urgente nécessité de la mise sur pied d’une éthique pour les professionnels d’informatique, en épinglant quelques méfaits notoires et moralement inacceptables qu’a entraînés la révolution informatique et/ou numérique, et qui ‘’donnent à penser’’ au philosophe et à quiconque possède une certaine sensibilité de conscience éthique. Notre réflexion fera allusion également, de façon lapidaire, à la manière dont le monde scientifique et les décideurs de partout s’organisent pour faire face à l’usage abusif, répréhensible ou dangereux ou dangereux de l’outil informatique.
C’est dans cette perspective qu’un ordre des informaticiens du Congo (OICO en sigle) se met timidement en place. Ailleurs au canada, en France, cet ordre s’est déjà doté d’un code déontologique.
En effet, la déontologie paraît particulièrement précieuse dans tous les domaines techniques où les professionnels ont un intérêt réel à définir des normes, des pratiques, des standards adaptés aux évaluations les plus récents.
L’informatique constitue un domaine où les métiers et les enjeux se transforment à grande vitesse dans un monde devenu un grand village. L’informatique est partout elle se mêle de toutes les activités humaines et irrigue le monde entier.
La place qu’occupe l’informatique et devenue trop importante dans notre société. Ainsi l’expertise de l’informaticien touche dorénavant tous les domaines de notre vie, l’envahissement d’internet un peu partout oblige. En effet, l’informatique donne à l’homme beaucoup de facilités sur le plan matériel, et elle apporte en même temps des possibilités terrifiantes d’asservissement et d’anéantissement.
Notre cours a pour but avoué de montrer que l’informatique doit renouer avec la conscience politique et éthique. Car « Aujourd’hui, la science est devenue une puissante et massive institution au centre de la société, subventionnée, nourrie, contrôlée par les pouvoirs économiques et étatiques, Ainsi sommes-nous dans un processus inter-rétroactif (…) la technique produite par la science transforme la société, mais rétroactivement la société technologisée transforme la science elle-même. Les intérêts économiques capitalistes, l’intérêt de l’Etat jouent leur rôle actif dans ce circuit de par leurs finalités, leurs programmes, leurs subventions.[4] » Et le phénomène wikileak d’Edward Snodwen, en est une meilleure illustration.
Pour les informaticiens, il se pose le problème de la possibilité technique et de la faisabilité morale. D’où l’actualité de propos de Rabelais que voici « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » et de la devise de l’université congolaise : « scientia splendet et conscientia » (la science luit avec la conscience).
L’Informatique participe aux changements profonds du monde dans lequel nous vivons. Mais qu’est-ce que l’informatique ? Quels sont ses progrès ? Ses impacts ? Ses enjeux ? Ses dangers ? Questionnement ? ses impacts ? Ses retombées éthiques ? Quelle identité professionnelle d’informaticien promouvoir ?
Pour prendre en charge ces questions, notre cours porte sur les enjeux de la technologie informatique et quelques problèmes éthiques liés à ses applications tout en dressant le profil professionnel de l’informaticien.
Voilà pourquoi il (cours) a … chapitres. Le premier prend à bras le corps des considérations générales allant de la définition du concept éthique, à sa différenciation avec la morale pour enfin arriver à dévoiler ce qu’est l’éthique informatique.
II.2. Qu’est-ce que l’éthique informatique ?
Commençons par définir l’éthique informatique. L’un des premiers à se pencher sur les effets et l’impact de l’informatique sur la personne humaine et sur la société, Walter Maner, professeur d’éthique médicale à Old Dominion University aux Etats-Unis, définit l’éthique informatique comme étant la science qui étudie les problèmes éthiques « aggravés, transformés ou créés par la technologique ». Autrement dit, elle est de l’éthique générale appliquée ou relative à la sphère informatique.
Mais, avant d’indiquer le contenu ou les perspectives précises à partir desquelles il me paraît exact de comprendre correctement ce qu’est l’éthique informatique, il convient de mieux saisir ce que nous avons noté à propos des généralités sur l’éthique.
L’éthique informatique est une branche de philosophie. Elle enjoint aux professionnels informatiques de faire des choix qui ont trait à la conduite sociale et professionnelle. Les fondements conceptuels de l’éthique informatique font l’objet de l’étude de la morale d’information, une branche de ‘éthique philosophique institué par Luciano Floridi.
Depuis le début des 90 le sujet a commencé à être intégré dans les programmes de perfectionnement professionnel et le milieu universitaire. Nous sommes également tous conscients de la grande puissance de l’activité qui nous permet d’être connectés au réseau. L’informatique est porteur des valeurs telles que la communicabilité, la transparence et l’interactivité, et nous permet de faire (au moins virtuellement) tout ce que nous voulons. Cependant, même si nous pouvons déployer notre activité comme nous le voulons, nous devrions avoir conscience du fait que tout ce que nous pouvons faire avec et grâce aux outils informatiques n’est toujours pas éthiquement correct. Il serait indiqué de nous interroger sur les limites de notre action, au regard des règles établies en la matière.
CHAPITRE III. LES DIFFERENTS COURANTS ETHIQUES
Nous avons généralement en philosophie morale, les courants (traditions) : axiologique, déontologique, utilitariste et de responsabilité. C’est dans cet ordre de présentation que nous nous proposons de les analyser.
III.1. Les morales axiologiques
Du grec axios, valeur, qualité, les morales axiologiques peuvent être définies les sciences des valeurs morales, mieux les moralesqui s’occupent de la valeur et de la qualité de la vie.
Cette tradition remonte aux premiers philosophes grecs et demeure toujours vivante aujourd’hui. Pour cette tradition, le fondement de la morale ne réside plus dans l’affirmation de la loi, mais dans la connaissance d’un état jugé parfaitement bon auquel il faut tendre. Le concept central des philosophies morales appartenant à cette tradition est le bien.
Ces morales placent au centre de leur réflexion la question de la vie bonne. Elles jugent de la valeur morale d’une action en fonction de sa conformité à un idéal d’une vie réussie[5]. Elles se caractérisent par conséquent par le fait qu’elles considèrent que la fin vers laquelle doit tendre l’action est un état de perfection subjective.
Le bien est ainsi un idéal que l’agent doit s’efforcer d’être. Ces morales décrivent donc la personne que l’agent doit être, les qualités qu’il doit posséder, les valeurs dont il doit faire preuve. C’est pourquoi ces morales sont dites axiologiques. La morale eudémoniste d’Aristote en est la figure emblématique. Que dire du courant déontologique ?
III.2. Morales déontologiques
Cette tradition se consacre de manière privilégiée à la recherche des règles permettant aux hommes de coexister en se respectant mutuellement. Elle s’interroge par conséquent sur les normes que tout homme doit respecter lorsqu’il agit. Agir moralement, c’est donc agir conformément au devoir moral. C’est pourquoi les morales appartenant à ce courant sont qualifiées de déontologiques (du grec deon, devoir).
Par ailleurs, ce qui est premier pour ce courant éthique est la loi et ce qui est moral est le juste, l’action juste étant ce qui est conforme à la loi. On peut par conséquent aisément deviner l’importance que cette tradition va jouer en philosophie morales et en déontologie. E. Kant est la référence incontournable de cette tradition. Examinons à présent les morales conséquentialistes.
III.3. Les Morales conséquentialistes
Selon cette tradition, la moralité d’une action doit avant tout être évaluée en fonction de ses conséquences. Il s’agit ici d’être pragmatique et de choisir son action en fonction de ses effets qu’elle produira dans la situation donnée. Ainsi, d’un point de vue conséquantialiste, une action moralement juste est celle dont les conséquences sont bonnes. Plus formellement, le conséquantialisme est le point de vue moral qui prend les conséquences pour seul critère normatif. Et la philosophie morale la plus influente de la tradition conséquentialiste est l’utilitarisme ayant pour représentant J. Bentham et J.S. Mill. Que dire de la morale de responsabilité ?
III.4. Morale de la responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique
Nous voudrions clore ce point en présentant brièvement une philosophie morale qui se laisse difficilementclasser dans les trois traditions classiques, celle d’Hans Jonas[6]. S’il en est ainsi, c’est parce que Jonas estime que les développements scientifiques ont transformés lesconditions dans lesquelles nous agissons à un point tel que toutes les morales traditionnelles sont aujourd’hui dépassées.
L’homme, en effet, possède aujourd’hui un pouvoir d’action sans comparaison par rapport aux morales classiques. En agissant, l’homme peut aller jusqu’à supprimer toute forme d’existence présente et future. C’est pourquoi, le souci principal de l’agent moral doit être la responsabilité dont il lui fait preuve afin de préserver la possibilité future d’une vie authentiquement humaine.
Ainsi « la transformation de l’agir humain rend (…) nécessaire une transformation de l’éthique[7]. » L’éthique est donc à repenser et le « « principe responsabilité » en constituera le fondement ultime.[8] » Hans Jonas envisage deux conceptions de la responsabilité :
- La responsabilité d’imputation : elle est tournée vers le passé (rétroactive) car nous imputons la responsabilité d’un événement passé à quelqu’un.
- La responsabilité prospective : c’est celle que Jonas place au centre de son éthique, elle renvoie à la responsabilité qui est la nôtre vis-à-vis de nos actes futurs, susceptibles d’affecter des êtres vulnérables. Cette responsabilité n’est plus rétroactive, mais prospective, puisqu’il ne s’agit plus seulement de porter la responsabilité de quelque chose qui a eu lieu, mais d’user de manière responsable du pouvoir que nous avons sur des personnes vulnérables. La responsabilité prospective est ainsi en quelque sorte, la dette que contracte celui qui a le pouvoir envers ceux qui sont vulnérable. La responsabilité prospective est proportionnelle au pouvoir que nous possédons.
Jonas exprime l’obligation de préserver l’humanité à travers l’impératif catégorique que voici : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre[9]. » ou pour l’exprimer négativement : « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie[10]. »
La morale jonassienne engage donc l’humanité à se soucier de sa propre préservation. Selon elle, toutes nos actions devraient être subordonnées au respect de cette responsabilité fondamentale que nous devons assumer. En effet, si c’est l’homme qui possède le pouvoir de détruire toute forme d’existence, il possède, il possède également le pouvoir de la préserver. Il a la capacité et les moyens d’agir de manière responsable.
Hans Jonas va jusqu’à préconiser, puis à soutenir l’avènement d’une « dictature bienveillante », seule susceptible, à ses yeux, d’appliquer fermement une véritable politique de responsabilité[11].
Enfin, le principe de précaution, l’écologie, générations futures marquent l’actualité et la pertinence de la morale jonassienne. Voyons à présent comment la morale met l’informatique à l’épreuve ?
CHAPITRE IV. LES SOURCES DE LA MORALITE
INTRODUCTION
Dans ce chapitre, il sera question de l‘appréciation de l‘agir humain, de l‘acte que l‘homme ou la femme pose. Comment comprendre cet acte ? Comment percevoir les circonstances dans lesquelles il est posé ? Comment comprendre sa moralité ? Nous allons parcourir les points suivants : l‘acte en lui-même ou l‘objet de l‘acte, les circonstances de l‘acte, l‘intention du sujet, l‘évaluation de la moralité d‘un acte humain, le proportionnalisme comme une autre théorie de l‘acte humain, les actes intrinsèquement mauvais, c‘est quoi le moindre mal ?
La moralité des actes humains, c‘est-à-dire leur qualité en tant qu‘acte humain bon ou mauvais, dépend :
- de l‘objet choisi ;
- de la fin visée ou l‘intention
- des circonstances de l‘action.
L‘objet, l‘intention et les circonstances forment les « sources », ou éléments constitutifs, de la moralité des actes humains. L‘acte moralement bon suppose à la fois la bonté de l‘objet, de la fin et des circonstances[12].
IV.1. L’acte en lui-même : l’objet de l’acte
Commençons par nous placer du côté de l‘acte lui-même ; plus tard nous aborderons l‘intention que le sujet y ajoute éventuellement. L‘objet de l‘acte est ce que la volonté choisit, pour le faire. C‘est l‘acte en tant que « choisi »39. On peut aussi dire que c‘est « la matière d‘un acte humain »[13]. C‘est par exemple : recueillir un sans-abri, étudier un examen, mentir à un confrère, se promener sur la plage, écrire à un ami, commettre un adultère, etc.
En parlant d‘objet d‘un acte nous affirmons que les actes sont quelque chose en eux-mêmes, et pas seulement en fonction des circonstances ou de leur utilité. Nous désignons ainsi ce que les actes portent en eux-mêmes de juste, de vrai, de bon.
Par « acte en lui-même » il faut préciser qu‘il s‘agit toujours d‘un acte humain, c‘est-à-dire d‘un acte libre, qui a sa source dans la volonté de l‘homme. Il ne s‘agit donc pas de l‘acte tel qui serait fait par un robot, l‘acte physique tel qu‘on peut le voir de l‘extérieur, mais tel qu‘il naît du cœur de l‘homme, tel qu‘il est choisi par la volonté. L‘encyclique Veritatis splendor demande, pour le comprendre, de « se situer dans la perspective de la personne qui agit » (VS 78).
Puisqu‘en parlant d‘objet de l‘acte on parle de l‘acte en tant que voulu, il faudra faire entrer dans la description de l‘objet non seulement le comportement physique mais aussi le choix qui est fait lorsqu‘on veut ce comportement. Dans l‘objet de l‘acte entre en compte « ce que je veux ». Cela peut donner l‘impression que l‘on mélange l‘intention et l‘acte lui-même, mais en réalité la fin de l‘acte dont il est question ici est autre chose que l‘intention du sujet : elle n‘est pas la raison d‘être de l‘acte mais ce que le sujet saisit dans son action. Saint Thomas parle à ce sujet de « fin prochaine » et distingue ce qui est le but de l‘acte par accident de ce qui est le but de l‘acte par soi[14].
En général c‘est par l‘objet que l‘acte entre dans la catégorie des actes bons ou des actes mauvais, dans la mesure où l‘acte peut ou non être ordonné au vrai bien de l‘homme.
L‘objet choisi spécifie moralement l‘acte du vouloir, selon que la raison
le reconnaît et le juge conforme ou non au bien véritable. (CEC 1751).
Prenons quelques exemples :
- l’action physique de tuer, d’éliminer la vie d’autrui, ne suffit pas à déterminer l‘objet ; il y a le cas célèbre de la légitime-défense, où l‘action extérieure de tuer ne concerne pas le même objet moral selon que notre propre vie est menacée par celui que l‘on tue — et que l‘on est donc en train de se défendre —, ou que l‘on tue quelqu‘un de sang-froid.[15] Dans l‘euthanasie, par contre, l‘intention de soulager la souffrance ne peut pas entrer dans la qualification de l‘objet : elle n‘est pas le but par soi de l‘injection létale, mais la conséquence qui survient de la mort donnée. Le but par soi de l‘acte posé reste la mort, tandis que le soulagement est un but subordonné, bien qu‘il était premier dans l‘intention ; l‘objet reste un meurtre, même si c‘est un meurtre fait avec une intention angélique.
- le mensonge. « Le mensonge consiste à dire le faux avec l‘intention de tromper » (S. Augustin, mend. 4, 5 : PL 40, 491) On retrouve ici une fin inhérente à l‘objet : induire en erreur. Certains diraient que le mensonge n‘est nuisible qu‘en raison de ses conséquences sociales. Mais pour l‘évaluer nous sommes invités à considérer aussi la grandeur de l‘homme qui est de vivre dans la vérité et de la chercher. Cette grandeur de l‘homme, le mensonge vient la blesser chez celui qui le pratique.
- le vol. Le vol en cas d‘extrême nécessité n‘est pas le même acte que le vol pur et simple. On a donné plusieurs explications à cela, notamment que le vol supposait une intention de lucre de la part du voleur. Mais le raisonnement de l‘Église est de subordonner la propriété privée à la « destination universelle des biens »[16][17]. Ainsi la nécessité vitale fait entrer les biens possédés par quelqu‘un dans une sorte de régime de communauté447.
- l’usage du préservatif. Bien que pour certains théologiens l‘usage du préservatif contienne de soi, comme fin immédiate, une visée contraceptive — c‘est-à-dire la dissociation volontaire du sens unitif et du sens procréatif de l‘acte sexuel — d‘autres penseurs sont d‘avis que son usage par un couple marié dont un des conjoints est séropositif — un usage prophylactique plutôt que contraceptif
— fait entrer l‘acte dans une autre catégorie morale. À suivre dans le cours d‘éthique sexuelle…
- au niveau de l’atteinte à la vie d’autrui, nous pouvons aussi considérer la vie à naître : une intervention chirurgicale qui causerait la mort d‘un fœtus par ablation d‘un utérus malade ou d‘autres soins apportés à la mère n‘est pas le même acte que la mise à mort du fœtus dans l‘avortement[18].
Cela vaut la peine d‘évoquer ici l‘exemple assez connu du docteur italien Jeanne Beretta Molla, canonisée en 2004, témoin de la joie de l‘évangile tout au long de sa vie, qui fut atteinte d‘un volumineux fibrome utérin pendant sa quatrième grossesse, tumeur qui mettait irrémédiablement son existence en danger. Opérer simplement le fibrome sans risquer la vie de l‘enfant lui faisait courir de grands risques au moment de l‘accouchement ; mais les autres solutions auraient eu pour conséquence indirecte de tuer l‘enfant. Elle choisit de donner la vie par-dessus tout, au risque de donner sa propre vie : « Si vous devez décider entre moi et l‘enfant, n‘hésitez pas : choisissez, et je l‘exige, l‘enfant. Sauvezle ». De fait, elle mourra une semaine après la naissance de la petite Jeanne
Emmanuelle. Parce qu‘elle fut canonisée, l‘idée se répand que l‘Église exige qu‘une mère se sacrifie pour l‘enfant qu‘elle porte en elle, que ce serait immoral pour elle de faire autrement. Ce n‘est pas le cas. Bien que Jeanne ait témoigné du plus grand amour, la morale de l‘Église n‘exige pas l‘héroïcité comme norme commune46. L‘Église n‘obligeait en aucun cas la jeune femme à mourir en couche47.
Enfin, notons que c‘est la raison qui évalue la bonté de l‘acte, et donc celle de la volonté qui va l‘accomplir. On appelle parfois « moyen » l‘objet de l‘acte, ou finis operis.
IV.2. Les circonstances de l’acte
Les circonstances, y compris les conséquences, sont les éléments secondaires d‘un acte moral. Elles contribuent à aggraver ou à diminuer la bonté ou la malice morale des actes humains (par exemple le montant d‘un vol). Elles peuvent aussi atténuer ou augmenter la responsabilité de l‘agent (ainsi agir par crainte de la mort, ou dans une situation de désespoir48). Mais les circonstances ne peuvent de soi modifier la qualité morale des actes eux-mêmes ; elles ne peuvent rendre ni bonne, ni juste une action en elle-même mauvaise.
IV.3. L’intention du sujet
Comme l‘indique le titre, on ne se place plus du côté de l‘acte mais de
celui qui l‘accomplit, le sujet moral. Et c‘est le sujet dans l‘intimité de ce qu‘il développer ? Est-ce encore s‘octroyer le droit de disposer de la vie d‘autrui ? Il ne me semble pas. Le proportionnalisme a envisagé autrement la question, en sortant de la morale « objective », nous le verrons plus loin. Pour autant, il n‘est pas indiqué de s‘engager dans cette voie.
- Dans un autre cas, celui des souffrances en fin de vie, Pie XII dira en 1957 « il ne serait pas conforme à la prudence de vouloir faire d‘une attitude héroïque une règle générale. » (Discours du 24 fév. 1957).
- « Dans la morale de l‘Église, depuis toujours, on parle des avortements indirects lorsque la vie de la mère est en question, lorsqu‘elle est atteinte d‘une maladie grave, et que la naissance peut avoir comme conséquences d‘empêcher les soins. Ce que l‘on cherche dans ce cas, c‘est préserver la santé de la mère. L‘Église a depuis toujours accepté ce cas-là, où la mort du fœtus n‘est pas voulue mais est la conséquence de soins prodigués à la mère. » (P. Frederico Lombardi, directeur de la Salle de presse du Saint-Siège, déclaration du 21 mars 2009).
- Je barre expressément cette dernière assertion car elle entre dans la réflexion sur l‘intention ; le désespoir est une altération de la faculté de viser la fin, le but de l‘existence humaine.
vise comme fin ou but de son action. L‘intention regarde le terme de l‘agir, le bien que le sujet attend de l‘action entreprise.
L‘intention du sujet n‘est pas une simple circonstance parmi les autres, car « elle se tient à la source volontaire de l‘action et la détermine par la fin »[19].
L‘intention est un élément essentiel dans la qualification morale de l‘action.
On peut avoir plusieurs intentions imbriquées, allant jusqu‘à concerner toute la vie. « Par exemple, un service rendu a pour fin d‘aider le prochain, mais peut être inspiré en même temps par l‘amour de Dieu comme fin ultime de toutes nos actions. »
Puisque l‘intention ne se confond pas avec l‘objet de l‘acte, une même action peut aussi être inspirée par plusieurs intentions, comme de rendre service pour obtenir une faveur ou pour en tirer vanité.
« Une intention bonne (par exemple : aider le prochain) ne rend ni bon ni juste un comportement en lui-même désordonné (comme le mensonge et la médisance). La fin ne justifie pas les moyens. Ainsi ne peut-on pas justifier la condamnation d‘un innocent comme un moyen légitime de sauver le peuple.
« Par contre, une intention mauvaise surajoutée (ainsi la vaine gloire) rend mauvais un acte qui, de soi, peut être bon »[20] (comme faire l‘aumône pour être vu des hommes ; cf. Mt 6, 2-4)
On appelle parfois finis operantis ou tout simplement fin l‘intention du sujet.
IV.4. L’évaluation de la moralité d’un acte humain
Le catéchisme de l‘Église Catholique est à nouveau si clair que je me
contenterai de le citer.
- L‘acte moralement bon suppose à la fois la bonté de l‘objet, de la fin et des circonstances.
- Une fin mauvaise corrompt l‘action, même si son objet est bon en soi (comme de prier et de jeûner « pour être vu des hommes »).
- L‘objet du choix peut à lui seul vicier l‘ensemble d‘un agir. Il y a des comportements concrets […] qu‘il est toujours erroné de choisir, parce que leur choix comporte un désordre de la volonté, c‘est-à-dire un mal moral. À ce sujet on peut lire encore :
Il est donc erroné de juger de la moralité des actes humains en ne considérant que l‘intention qui les inspire, ou les circonstances (milieu, pression sociale, contrainte ou nécessité d‘agir, etc.) qui en sont le cadre. Il y a des actes qui par eux-mêmes et en eux-mêmes, indépendamment des circonstances et des intentions, sont toujours gravement illicites en raison de leur objet ; ainsi le blasphème et le parjure, l‘homicide et l‘adultère. Il n‘est pas permis de faire le mal pour qu‘il en résulte un bien.[21]
Pour un chrétien, jamais la fin ne justifie les moyens. Il est impossible de justifier une action mauvaise par une bonne intention. Et plus largement, il n‘est pas moral de faire un mal pour qu‘il en résulte un bien. Un mal reste un mal, l‘intention ou les circonstances ne le transformeront pas en bien. Cette remarque nous conduira sur le terrain des « actes intrinsèquement mauvais ». Mais avant, pour apprécier ce qui est en jeu, il convient de faire un détour par des théories morales nées dans l‘Église au cours des années 60 et 70 et repoussées par l‘encyclique de Jean-Paul II Vertatis Splendor (le texte commençant par « la splendeur de la vérité se reflète dans toutes les œuvres du Créateur et, d‘une manière particulière, dans l‘homme créé à l‘image et à la ressemblance de
Dieu… »).
IV.5. Une autre théorie de l’acte humain : le proportionnalisme
La doctrine proportionnaliste ne cherche pas à comprendre comment un acte peut être ordonné à la vraie fin de l‘homme, mais elle part du constat que tout acte porte en lui-même une part de mal « ontique » ou « pré-moral ». Ainsi, celui qui coupe du bois pour construire sa maison tue un être vivant, il se fatigue, il use sa hache, il doit renoncer à en faire du bois de chauffage, etc. On mesurera la moralité de l‘acte à la proportion de mal ontique que la volonté fait entrer dans l‘acte comparativement à tout le bien qui s‘y trouve aussi[22]. « De telle sorte que ce sera la prépondérance des biens sur les maux naturels qui fera l‘action moralement bonne, ou la prépondérance des maux sur les biens naturels qui la fera moralement mauvaise. » Si l‘acte est proportionné à la valeur qu‘il poursuit, le mal commis restera au niveau du mal pré-moral ou physique.
Prenons un exemple dramatique, comme savent le faire les spécialistes de la casuistique : Nous sommes dans le contexte de la deuxième guerre mondiale. Un homme influent est capturé par l‘ennemi et deux gardes armés l‘emmènent à leur supérieur qui lui propose le marché suivant : « Vous voyez la jeune fille là-bas ? Si vous acceptez de signer ce papier, il ne lui sera fait aucun mal et à vous non plus. Mais si vous refusez de coopérer, je donnerai ordre à mes hommes de la battre et de la torturer à mort devant vous jusqu‘à ce que vous cédiez. » La fausse déclaration qu‘on lui demandait d‘endosser visait à compromettre l‘intégrité d’un haut placé qu’on voulait mettre hors d’état de nuire…
Nous avions déjà relevé que l‘attachement de la volonté au mal rend mauvais même un acte a priori bon (cf. l‘aumône par vaine gloire). Les proportionnalistes pensent aussi que le processus vaut en sens contraire : « l‘attachement exclusif de la volonté au bien rend l‘acte bon, et ses effets mauvais, accidentels »[23][24].
Ici, l‘agir moral ne va pas être jugé par rapport au bien ultime, mais par rapport aux biens acquis par la vie. On va juger des conséquences et des effets des biens, de la proportion des effets bons et des effets mauvais5417.
Entrer dans cette logique de juger de la moralité de l‘acte par ses effets et ses conséquences, par la proportion entre les effets bons et les effets mauvais (ne faut-il pas tuer un homme si cela en sauve dix ?), fait perdre de vue qu‘il puisse y avoir des actes qui ne soient pas moralement neutres, qui aient une valeur en euxmêmes, qui soient intrinsèquement bons, ou intrinsèquement mauvais.
A l‘opposé, on appelle moralité ex objecto la moralité qui juge en fonction de ce qu‘objectivement les actes valent, en fonction de l‘―objet‖ d‘un vouloir : ce qui est concrètement choisi, est-ce bon ou non ? Contrairement au proportionnalisme, la morale qui réfléchit à partir de l‘objet considère qu‘il y a des actes qui ne sont pas moralement neutres mais qui mettent par eux-mêmes la dignité humaine en question. Vouloir, à leur sujet, pondérer simplement les circonstances et les conséquences, les effets bons et mauvais, ne peut qu‘entraîner à des formes d‘utilitarisme.
IV.6. Les actes intrinsèquement mauvais
Il est facile de les définir : ce sont des actes dont l‘objet est mauvais. Aucune circonstance ou intention ne peut changer leur qualification morale. Ces actes menacent la dignité humaine, qui est inaliénable à aucune fin sinon la sauvegarde de cette dignité elle-même. Ce qui ne veut pas dire que les circonstances et l‘intention n‘entrent pas en ligne de compte : elles peuvent changer la responsabilité du sujet moral et l‘imputabilité de l‘acte, cela est constant dans les déclarations du magistère.
Ceux qui ont eu le discernement le plus éclairé sur ces actes sont sans
doute ceux qui se sont trouvés pris dans l‘étau d‘un régime totalitaire. Par exemple, en Union soviétique, le dissident Soljenitsyne lance le mouvement « ne pas vivre dans le mensonge ». Il sait que le mensonge accepté une fois entraîne l‘homme tout entier dans une logique de l‘utile où l‘homme devient un moyen pour réaliser une finalité politique ou économique. Il sait que la dignité de l‘homme s‘affirme par une résistance au mal à tout prix. Les dissidents soviétiques ont appris l‘existence de « valeurs qui n‘acceptent pas de compromis, qui sont assez précieuses pour qu‘on se batte pour elles, même au péril de la vie »[25], des valeurs qui sont constitutives « de notre qualité de personne et de notre dignité d‘homme ».
Les actes intrinsèquement mauvais sont ceux qui « par eux-mêmes et en eux-mêmes ne peuvent être ordonnés à Dieu et au bien de la personne »[26]. Par raccourci on les appelle aussi « mal intrinsèque ». Leur malice ne provient pas d‘une volonté surajoutée ou d‘une qualification extrinsèque (comme cela pourrait être le cas pour ce qui est déclaré illicite ici ou là tandis qu‘en d‘autres lieux ou époques cela était licite). Ces actes ont une contrariété interne « avec le bien humain, le bien commun des personnes et, par-là, le Souverain Bien. »[27]. La volonté ne peut être bonne en choisissant de tels actes.
Dans le cadre du respect dû à la personne humaine, le Concile Vatican II lui-même donne un ample développement au sujet de ces actes :
- « Tout ce qui s’oppose à la vie elle-même, comme toute espèce d‘homicide, le génocide, l‘avortement, l‘euthanasie et même le suicide délibéré ;
- tout ce qui constitue une violation de l’intégrité de la personne humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques ;
- tout ce qui est offense à la dignité de l’homme, comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l‘esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes ; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans égard pour leur personnalité libre et responsable : toutes ces pratiques et d‘autres analogues sont, en vérité, infâmes. Tandis qu‘elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui s‘y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gravement l‘honneur du Créateur » (Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et Spes § 27)5821.
Enfin, il ne faut pas confondre « intrinsèquement mauvais » avec « de la plus haute gravité ». Dans les exemples ci-dessus on peut déjà remarquer différents degrés de gravité. À un autre niveau encore on trouvera parmi les actes intrinsèquement mauvais l‘acte de masturbation, parce qu‘il n‘est pas ordonnable, quelle que soit l‘intention, quelles que soient les circonstances, à la fin de la sexualité humaine qui comprend la rencontre interpersonnelle dans l‘amour et où la sensualité elle-même doit être progressivement mise au service de l‘union de deux personnes. Cet acte de masturbation ne peut jamais entrer parmi les biens moraux, il est intrinsèquement mauvais, mais il ne se compare pas en gravité avec les atteintes à la dignité d‘autrui — bien que le fonctionnement du sentiment de culpabilité chez l‘homme entraîne parfois à imaginer le contraire, nous y reviendrons.
L‘existence d‘actes intrinsèquement mauvais nous rappelle qu‘on ne peut pas dissocier la fin et les moyens, et croire que d‘un moyen mauvais on pourrait obtenir un résultat bon. Je laisse sur ce point la parole à Gandhi :
Votre grande erreur est de croire qu‘il n‘y a aucun rapport entre la fin et les moyens… comme si vous prétendiez que d‘une mauvaise herbe il peut sortir une rose. Les moyens sont comme la graine, et la fin, comme l‘arbre. Le rapport est aussi inéluctable entre la fin et les moyens qu‘entre l‘arbre et la semence… On récolte exactement ce que l‘on sème.
IV.7. Peut-on commettre un moindre mal ?
Il arrive que l‘on se retrouve devant un véritable dilemme moral. Quoi que l‘on fasse, que l‘on agisse ou que l‘on s‘abstienne d‘agir, un mal sera commis. C‘est le cas de l‘exemple ci-dessus.
Certains sont alors d‘avis qu‘il faut choisir de faire le moindre mal. Il ne manque pas de prêtres pour affirmer qu‘il s‘agit là d‘un principe de morale catholique. Et pourtant :
En vérité, s’il est parfois licite de tolérer un moindre mal moral afin d’éviter un mal plus grand ou de promouvoir un bien plus grand, il n’est pas permis, même pour de très graves raisons, de faire le mal afin qu’il en résulte un bien (cf. Rm 3, 8), c’est-à-dire de prendre comme objet d’un acte positif de la volonté ce qui est intrinsèquement un désordre et par conséquent une chose indigne de la personne humaine, même avec l’intention de sauvegarder ou de promouvoir des biens individuels, familiaux ou sociaux.[28]
L‘Église a toujours reconnu qu‘on pouvait permettre un mal pour éviter un plus grand mal. Mais elle considère qu‘il y a une grande différence entre permettre un mal et l‘approuver, et plus encore le vouloir en lui-même.
Le choix du moindre mal peut dans certains cas ne pas être immoral :
« lorsque aucune autre alternative n‘est possible et que les maux qui se produisent sont inévitables »[29].
Quand quelqu‘un est contraint à faire tel péché ou bien tel autre et qu‘il choisit le moins grave, il ne pèche pas, bien qu‘il le choisisse volontairement. En effet, il manque de la liberté nécessaire pour que ce péché puisse lui être imputé.61
Mais souvent on ne se trouve pas dans ce cas où on est contraint à l‘action. L‘argument du moindre mal tend plutôt à justifier le mal moral en le présentant comme un moindre mal parce qu‘on cherche à éviter les conséquences pénibles qui suivraient un autre acte, bon, ou l‘abstention d‘agir. L‘acte mauvais deviendrait justifiable car ses conséquences seraient moins pénibles qu‘un autre acte qu‘on pourrait commettre dans la même situation et qui, lui, serait moralement bon. Dans ce raisonnement, deux catégories de mal sont mises sur le même pied : le mal moral — c‘est-à-dire le mal commis par l‘homme en vertu de sa liberté, de son intelligence et de sa volonté — et le mal en général — c‘est-àdire toutes sortes de situations pénibles, de perte de biens légitimes, etc.
En prenant la mesure de la grandeur de l‘homme, créé à l‘image de Dieu, en se rappelant que sa liberté existe pour aimer et qu‘intelligence et volonté sont appelées à collaborer pour chercher les chemins de l‘amour, on peut se rendre compte que le mal moral — c‘est-à-dire la négation de ce chemin, le refus d‘utiliser cette liberté dans le sens du don de l‘amour — est plus grave que toutes les peines, que toutes les difficultés, que toutes les pertes de notre vie humaine. A contrario, Jésus nous encourage : « cherchez d’abord le Royaume de Dieu et tout cela vous sera donné par surcroît. » (Mt 6,33)
Les situations d‘urgence ou de grande détresse peuvent diminuer grandement la responsabilité et la culpabilité du sujet, mais commettre librement un « moindre mal » sera toujours commettre un mal. Que le mal soit moindre ne peut rendre la volonté bonne. Au contraire, choisir un mal est toujours contraire à la dignité de l‘homme, sujet moral. Mais il faut bien reconnaître qu‘en chacun de nous sommeille un proportionnaliste, à qui il faudra constamment rappeler que la grandeur de l‘homme est aussi de refuser des actes qui le blessent gravement dans ce qu‘il est et en blesse gravement d‘autres, même s‘il lui faut payer un lourd prix à ce refus.
Pouvoir choisir le moindre mal dans une situation de dilemme nous
tentera toujours. Mais avaliser cette option, c‘est aussi permettre d‘utiliser la torture pour accélérer la conclusion d‘une guerre ou obtenir des informations qui sauveront des vies, c‘est ouvrir la porte à la répression des travailleurs pour sauvegarder l‘économie, c‘est accepter de devenir instrument d‘un régime politique totalitaire, et tant d‘autres choses.
La moralité basée sur ce qu‘est l‘acte en lui-même est de loin plus exigeante que celle qui réfléchit à partir d‘un calcul sur les conséquences et les proportions. Elle conduit sans doute à une vie moins facile, mais aussi plus créative[30] et motivante, puisqu‘elle tend à souligner la grandeur de l‘homme et sa dignité qui dépasse toute évaluation que l‘on pourrait faire. En vertu de la dignité infinie de chaque personne humaine aucun raisonnement d‘utilité combinant le mal moral avec toutes sortes d‘autres maux et privations n‘aura de portée juste et défendable.
Enfin, l‘attitude de Jésus et des apôtres, peu soucieux des conséquences
pour eux-mêmes et pour les leurs de leurs choix moraux, nous pousse à relativiser pour nous-mêmes l‘évaluation des conséquences de nos actes. Dans un monde où tout geste est calculé, le chrétien est invité à faire la vérité selon son cœur. Tout en demandant le secours de celui qui a dit :
Vous serez traînés devant des gouverneurs et des rois à cause de moi : il y aura là un témoignage pour eux et pour les païens. Vous serez détestés de tous à cause de mon nom ; mais celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. (Mt 10,18.22) Quelques pharisiens s’approchèrent de Jésus pour lui dire : « Va-t’en, pars d’ici : Hérode veut te faire mourir. » Il leur répliqua : « Allez dire à ce renard : Aujourd’hui et demain, je chasse les démons et je fais des guérisons ; le troisième jour, je suis au but. Mais il faut que je continue ma route
aujourd’hui, demain et le jour suivant, car il n’est pas possible qu’un prophète meure en dehors de Jérusalem. (Lc 13,31-33).
CHAP. V. DE L’ETHIQUE INFORMATIQUE A L’APPROCHE DE L’HUMAIN DANS LE NUMERIQUE
INTRODUCTION
Le numérique implique divers champs d’action. Qu’il suffise de penser aux aspects suivants pour nous en convaincre :
- La relation entre le patient et le médecin en télémédecine
- La préservation de l’intimité en situation de télétravail ou de téléenseignement
- La maîtrise des données personnelles de chaque individu
- Le rôle que jouent les réseaux sociaux numériques dans la circulation et l’élaboration d’informations
- La relation intra-personnelle et interpersonnelle : fragmentation de la famille
V.1. Le numérique et nous
L’évolution des technologies de l’information et de la communication à favoriser la découverte de nouveaux outils, techniques et concepts. Parmi ces derniers, on retrouve l’informatique et le numérique. Bien que ces deux termes présentent quelques similitudes, ce sont des notions à part entière qui présentent des particularités. Découvrez ici la différence entre l’informatique et le numérique.
L’informatique et le numérique : quelle est la différence ?
Entre le numérique et l’informatique, il existe bel et bien une différence. Cette dernière est que le numérique représente l’ensemble des éléments ayant un rapport avec la cybernétique ou à l’informatique. En revanche, l’informatique est un secteur qui regroupe tous les concepts et les diverses techniques que l’on emploie pour effectuer le traitement des données de façon automatique.
Afin de mieux appréhender le concept du numérique, vous devez comprendre l’évolution de manière conjointe des trois outils qui composent l’informatique. Cette dernière a favorisé la démocratisation de l’utilisation de l’informatique.
La différence que l’on pourrait faire de ces deux concepts peut trouver sa source dans la comparaison avec le système du jardinage. En effet, pour bien réussir son métier, le jardinier se sert des outils tels que la pelle, la pioche et le système d’arrosage. Le processus mis en place pour obtenir des légumes à partir des fruits en faisant un bon usage des outils est connu sous le nom de jardinage. De là, il faut comprendre que l’informatique représente lesdits outils et le numérique est l’utilisation qui est faite de ces outils.
V.2. Comment œuvrer à un numérique éthique ?
- Identité personnelle et identité numérique
Qu’est-ce que l’identité ?
Dans le dictionnaire Larousse, l’identité est définie comme le « caractère permanent et fondamental de quelqu’un, d’un groupe, qui fait son individualité, sa singularité. »
Le terme d’identité trouve son origine du latin idem, un dérivé du verbe être, qui signifie le même.
Si la définition de l’identité fait débat en sciences sociales, un certain consensus se retrouve sur l’essence de ce concept.
C’est notamment le cas de la définition d’Alex Mucchielli dans son ouvrage _L’identité : « ensemble de significations apposées par des acteurs sur une réalité physique et subjective, plus ou moins floue, de leurs mondes vécus, ensemble construit par un autre acteur. C’est donc un sens perçu donné par chaque acteur au sujet de lui-même ou d’autres acteurs ».
Ainsi l’identité serait unique, permettant de se distinguer des autres, de se reconnaître, de s’identifier à autrui.
Qu’est-ce que l’identité personnelle ?
L’identité personnelle peut se définir comme l’ensemble des informations qui font qu’une personne est un être singulier. Le nom, le prénom, l’adresse de l’internaute font partie de ces informations.
Et l’identité numérique alors ?
La définition de l’identité numérique est, par nature, beaucoup plus récente et discutée.
Notion d’identité numérique. Cette notion aux contours flous difficilement définissable fait l’objet de réflexions depuis cinq ans. L’identité numérique peut se définir comme le reflet de l’identité personnelle civile qui constituerait une sorte de lien entre identité réelle et identité numérique. Il s’agit de la représentation que l’internaute souhaite développer en ligne, de sa carte d’identité digitale. Une fois son identité numérique définie, l’internaute peut adopter les réseaux qui lui ressemblent, des réseaux sociaux pour certains, des réseaux professionnels pour d’autres comme tout autres type de blogs, sur lesquels la personne met en avant, de quelque manière que ce soit des traits de sa personnalité.
Pour Julien Pierre, « l’identité numérique est une représentation, c’est-à-dire la redite d’un état, structurée par des capitaux qui la composent et les supports qui la contiennent, structurant les conditions d’existence sociale des individus ». Ainsi selon ce chercheur, l’identité numérique n’est que le prolongement de l’identité réelle de l’individu. Cette identité est basée sur l’existence sociale, donc le rapport aux autres.
S’agissant d’Internet le rapport aux autres ne comprend que ce qui est visible par autrui, cette définition ne prend donc pas en compte les requêtes des individus.
Pascal Lardellier définit aussi l’identité numérique autour du rapport aux autres, il met en avant le développement de l’ego avec le 2.0, avec notamment l’avènement d’un « Je expressif numérique ». Cet ego se développe avec le web social et la possibilité de s’exprimer, se mettre en avant, et donc prend plus en considération ce que nous publions que ce que nous faisons sur le web.
Dominique Cardon, de son côté, nous explique que l’identité numérique est « moins un dévoilement qu’une projection de soi. » Cette définition tend à contredire la définition classique de l’identité car nous sortons de l’équation A=A pour devenir A=A’.
Pour Fanny Georges « l’identité devient mixte elle se compose d’informations acquises en face-à-face et dans les sites sociaux ». Cette identité numérique correspond à la somme des traces conservées par le support multimédia, l’interprétation des traces de l’Autre envisagées par le sujet comme support deprésentation de soi dans une « présence à distance »
Toujours selon cette chercheuse l’identité numérique est composée de 3 identités : l’identité déclarative (description, mise en page, l’identité agissante (modification de statut et de profil) et l’identité calculée (nombre de posts, de tweets ou d’amis)
Cette définition est très détaillée mais reste circonscrite à la partie visible par les autres sur les réseaux sociaux, elle est néanmoins très intéressante dans sa structure en prenant en compte plusieurs niveaux d’identité.
Une nouvelle définition de l’identité numérique
Comme certains auteurs le montrent, nous pouvons considérer que l’identité numérique est complémentaire de l’identité réelle mais elles ne sont pas assimilables, car, sous couvert d’alias, d’avatar, de pseudo, certains individus ont une vie totalement différente online que dans la vie réelle. Les pratiques, elles-mêmes, sont différentes, même si une base commune existe entre ces deux identités.
La définition que nous proposons s’appuie sur les définitions précédemment citées en prenant en compte la dualité du visible et du masqué. L’identité numérique se compose de 5 strates : e-réputation, publications, activités, logs- in, et Moi.
E-réputation : ce que les autres disent de nous, cela comprend tous les articles, publications qui mentionnent notre nom. Il s’agit par exemple des résultats d’une recherche Google sur notre nom.
Ce terme est lié à la notion même d’identité. Crée par Philippe Duhot (de l’agence de communication Optin Power), l’e-réputation peut se définir comme l’image que l’internaute souhaite donner de lui à son entourage via internet. Cette image, peut correspondre ou non à la réalité, puisque la personne reste décisionnaire des informations et images qu’elle dévoile sur son réseau social virtuel. Des entreprise se sont rapidement aperçues que la e-réputation pouvait constituer un marché rentable .Ainsi, celles-ci proposent d’ores et déjà des services destinés à gérer au mieux l’image des clients sur internet. Cette clientèle est composée pour l’instant principalement de professionnels et d’agences de communication. En 2010, Le marché de l’e-réputation a représenté 110 millions d’euros.
Publications : ce que nous publions sur les différents sites sociaux. Par exemple nos publications sur Facebook, Instagram ou Twitter. C’est ce que nous rendons délibérément public.
Activités : ce que nous faisons sans que les autres internautes soient au courant. Cela comprend notre historique de navigations, nos cookies, nos recherches sur les moteurs, les messages écrits non envoyés.
Logs-in : assimilables à l’identité juridique, ce sont nos identifiants, nos mots de passes, il s’agit du processus d’identification
Moi : le Moi est l’identité intrinsèque à l’être humain.
Dans cette définition, l’identité numérique n’est plus une projection mais se rapproche d’un dévoilement. En effet nous pouvons distinguer deux types d’identité numérique. Tout comme pour l’identité réelle, il y a l’identité personnelle et l’identité sociale.
Or, pour reprendre l’expression de Dominique Cardon, « l’identité sociale est une projection de soi. » Elle correspond à ce que nous faisons dans le jeu social, pour se donner un rôle en société et comprend notre e-réputation et nos publications, ce que nous souhaitons rendre public. Mais notre identité numérique comprend aussi nos activités, logs-in et Moi, qui nous sont propres et ne contribue pas à ce jeu d’image.
Il peut d’ailleurs exister de fortes tensions entre ces identités sociales et personnelles. Pour caricaturer nous pourrions prendre l’exemple d’un hacker qui peut dans le même temps tenir un blog sur la citoyenneté en ligne.
Un espace de liberté à domestiquer
Cette identité numérique nous ouvre un nouvel espace de liberté au travers des alias, des avatars et autres pseudos qui nous permettent d’être perçu pour ce que nous voulons. Si cet espace de liberté est à conquérir, il est surtout à préserver. En effet en communiquant toutes nos données aux géants du web nous dévoilons une part importante de nous : nos achats, nos trajets, nos désirs… Cette concentration de données au profit de quelques acteurs et le risque de dérives potentielles qui en résulte doit nous alerter sur la nécessaire éducation à l’identité numérique.
D’autant plus si nous imaginons que certains fondateurs de réseaux sociaux pourront faire le choix de la politique dans un futur proche.
Protéger son identité c’est aussi protéger sa liberté.
- De l’humain dans le numérique
1° Le rôle des réseaux sociaux
La circulation extrêmement rapide des informations pose problème : en effet, le fait de poster des photos, vidéos, voir des propos pouvant être compromettants, sans pouvoir retourner en arrière peut s’avérer dangereux pour l’internaute. Ainsi, la porosité entre sphère privée et sphère publique participe au risque de divulgation d’informations personnelles. On assiste à une surveillance interpersonnelle au sein de laquelle chacun détient des outils participant à scruter la vie d’autrui.
2° L’évolution de l’identité numérique
La maîtrise de son identité numérique est notamment apparue avec l’émergence des réseaux sociaux. En effet, la frontière entre les usages personnels et professionnels reste floue et difficile à définir, et le manque de clarté sur ce qui est public ou privé participe à ces zones d’ombres. En moyenne un internaute français dispose de douze comptes numériques. Pour le consultant Frédéric Cavazza « L’identité numérique d’un individu est composée de données formelles (coordonnées, certificats…) et informelles (commentaires, notes, billets, photos).Toutes ces bribes d’information composent une identité numérique plus globale qui caractérise un individu, sa personnalité, son entourage et ses habitudes». Il en va de même pour les congolais qui embrassent sans discerner tout ce que la nouvelle civilisation technologique nous fait miroiter. La difficile maitrise de l’identité numérique laisse à penser que le seul remède actuel semble de bien se renseigner sur le système de protection des données personnelles propre à chaque plateforme, dans un souci de mieux appréhender las dangers et surtout de mieux gérer sa visibilité sur la toile.
Aujourd’hui, l’identité personnelle et numérique s’entremêlent. En effet,ces deux identités sont en perpétuel changement, se modifient et se construisent au fil du temps.
3° Le droit à l’image
Plusieurs législations du monde prévoient que toute personne dispose d’un droit permettant de s’opposer à l’utilisation, commerciale ou non, de son image, au nom du respect de la vie privée, qui est toutefois contrebalancé par le droit à la liberté d’expression.
4° la confidentialité des données personnelles
L’adresse IP (Internet Protocol) de chaque utilisateur permet la traçabilité de nos navigations. Chaque visite sur internet, chaque discussion, chaque commentaire enregistre une trace informatique grâce au numéro d’identification dont est pourvu chaque appareil utilisant le protocole internet. De cette manière tout ce qu’on publie peut faire l’objet d’une réutilisation.
- Deux tendances opposées sur l’usage des technologies de la communication
1° Discours pessimiste sur les technologies de la communication
Le discours pessimiste insiste sur le fait que les technologies de la communication sont à la source d’une idéologie centrale qui conduit à la désinformation des citoyens et qui est, de surcroît, « probablement devenue la grande superstition de notre temps » (Ramonet, 1997 : 7). Ce discours parle aussi d’un antihumanisme de la révolution technologique : on s’interroge sur l’avenir de la vie humaine dans un environnement où le progrès technologique tend vers le développement des machines « intelligentes » (Breton, 2000 ; Joy, 2000 ; Jonas, 1990). Pour certains, cette évolution résulte de la convergence d’Internet, des valeurs du libéralisme et de l’ouverture de nouveaux marchés (Breton, 2000 ; Ramonet, 1999 ; Barber, 1999). Pour d’autres, elle ne fait que correspondre à la crise du lien social au sein de la société individualiste de masse où les hommes tentent désespérément de combler leur solitude (Wolton, 2000 ; Jauréguiberry, 2000).
Les auteurs critiques dénoncent vigoureusement les effets négatifs des technologies de l’information et de la communication (TIC) sur le lien social. Selon leur point de vue, la communication humaine, médiatisée par l’ordinateur, est transformée par des pratiques pernicieuses telles que la séparation physique et la fin de la rencontre directe, la confusion entre le virtuel et le réel et la communication permanente (Breton, 2000 ; Wolton, 2000 ; Jauréguiberry, 2000). La manipulation identitaire devient une conséquence importante de cette séparation physique ; un « individu peut maintenant superposer une identité virtuelle à son identité réelle » (Jauréguiberry, 2000).
En outre, de nombreux auteurs affirment que l’usage croissant d’Internet est lié très étroitement à la maladie de l’homme moderne, c’est-à-dire à la solitude. Selon Breton (2000), l’être ensemble est remplacé sur le réseau, par « l’interactivité », ce qui contribue à créer des « relations très réactionnelles, rapides, peu engageantes ». La performance technique, pour Wolton, n’est aucunement liée à l’amélioration de la communication humaine ; au contraire, elle ajouterait « une bureaucratie technique à la bureaucratie humaine » (2000 : 109). Cette omniprésence de la technologie — multibranchement — ne fait que créer l’illusion qu’on communique avec l’autre ; en réalité, elle réduit l’homme à une sorte d’esclavage, « enchaîné par les mille fils invisibles de la communication » (Wolton, 2000).
2° Discours optmiste sur les technologies de la communication
Les personnes qui considèrent l’effet d’Internet comme généralement positif tiennent un discours optimiste et parfois même utopiste (Kollock et Smith, 1999). Deux idées principales tissent la trame de fond du discours des défenseurs des nouvelles technologies : 1) la promesse d’un monde meilleur et 2) l’inéluctabilité d’Internet.
On affirme d’abord qu’il y aura rehaussement de la qualité de la vie parce que la société en réseau, qui transforme la dynamique spatio-temporelle, réduira les déplacements liés aux accomplissements des fonctions quotidiennes et, donc, fera en sorte qu’on consacrera plus de temps aux loisirs. Gates et al. (1995) superposent à cette dimension spatio-temporelle l’idée qu’Internet nous permettra d’avoir plus de contrôle sur nos interactions, et donc plus de liberté. Avec le progrès technologique et notamment le développement de l’intelligence artificielle, l’ordinateur deviendra le majordome de l’homme (Negroponte, 1995 : 190). Ainsi libéré de nombreuses tâches transférées aux machines, l’homme jouit d’un plus grand éventail de choix et d’activités ; il accroît sa part de liberté.
En outre, les autoroutes électroniques, avec leurs diverses applications communicationnelles représentent des voies par excellence pour nouer de nouvelles connaissances, et ce, à l’échelle planétaire. Elles permettent également d’entretenir beaucoup plus facilement les relations avec des parents et des amis auxquels, pour de nombreuses raisons, il est souvent impossible de rendre visite. La capacité qu’a Internet d’unifier les collectivités est fortement soulignée dans tous les écrits ; il est question d’unir les populations du monde, de regrouper les nations, sur le plan réel ou virtuel. Sfez insiste sur le fait que « [l]e réseau est au centre des technologies de la communication, [qu’]il en est la figure dominante » (1999 : 20). Mais il précise qu’il s’agit d’un réseau non hiéarchique et que l’interaction y est nettement centrale. Ces visions évoquent les deux caractéristiques principales du réseau : la convivialité et l’accès au savoir (1999 : 21), lesquelles, étroitement interdépendantes, contribuent au rapprochement des êtres humains.
De ce point de vue, c’est en facilitant la communication qu’Internet confère du pouvoir parce qu’il permet de mobiliser rapidement des gens pour provoquer des changements (Lévy, 1998 ; Gates, Myhrvold et Rinearson, 1995 ; Negroponte, 1995). Enfin, selon le discours optimiste, le réseau est associé au progrès de la technique qui, en retour et selon l’héritage positiviste du XIXe siècle, est également un facteur de progrès social (Durand et Scardigli, 1997 : 658). Il s’ensuit que celui ou celle qui ne se branche pas est vite marginalisé, et c’est particulièrement vrai pour les jeunes, selon Bill Gates.
Au cours des dernières années, des recherches ont été menées sur ces questions et, dans l’ensemble, elles démontrent que les TIC facilitent les contacts sociaux (Hampton et Wellman, 2000 ; Lam, 1999 ; Parks et Roberts, 1998 ; Patrick, 1997). L’étude de Hampton et Wellman suggère qu’il existe une corrélation entre l’usage des TIC et l’augmentation des contacts sociaux. En effet, les liens sociaux établis dans Netville (une nouvelle banlieue de Toronto où une infrastructure électronique à la fine pointe a été intégrée aux habitations pendant la construction) ne sont plus limités à la proximité physique mais s’étendent bien au-delà des quartiers. D’autres enquêtes indiquent qu’Internet peut contribuer au maintien d’une variété de liens sociaux (forts, faibles, instrumentaux, émotifs).
Cependant, rares sont les relations qui sont maintenues grâce au seul intermédiaire des médias électroniques ; leur maintien dépend plutôt d’une combinaison d’interactions qui ont lieu dans les mondes virtuel et réel (Hampton et Wellman, 2000 ; Lam, 1999 ; Parks et Roberts, 1998). Le rapport sur Internet de l’UCLA (2000)2 révèle que 12,4 % de ses usagers disent avoir rencontré les gens qu’ils ont d’abord connu sur Internet et que 26,2 % n’ont jamais rencontré, physiquement, leurs correspondants en ligne.
Des chercheurs se sont penchés sur l’impact de l’usage des TIC sur leurs relations interpersonnelles, mais les résultats obtenus semblent se contredire. D’une part, l’effet serait positif ; par exemple, les usagers rapportent que, depuis qu’ils participent à une communauté en ligne, ils se réunissent et discutent davantage avec leurs parents et leurs amis (Patrick, 1997 ; UCLA Internet Report, 2000). D’autre part, les répercussions sur la vie sociale seraient négatives et parfois associées à une forme de dépression chez les internautes parce qu’ils se retirent de leur réseau social (Nie et Erbring, 2000 ; Kraut et al., 1998). L’enquête de Nie et Erbring (2000)3 sur l’effet d’Internet sur la vie quotidienne des utilisateurs indique que 25 % des répondants qui se branchent au réseau plus de cinq heures par semaine rapportent qu’ils passent moins de temps avec leurs amis et les membres de leur famille et que 10 % d’entre eux disent participer moins souvent à des activités à l’extérieur de la maison.
Tableau 1. Synthèse des effets d’Internet sur les relations sociales.
Discours optimiste Tourné vers le futur et promet un avenir meilleur | Discours pessimiste Dénonce l’impérialisme communicationnel qui opprime les citoyens |
Net Promesse d’un monde meilleurInéluctable (le Net est associé au progrès de la technique et, par extension, au progrès social | Net AntihumanisteHégémonie américaine sur le marché mondial |
L’usage du Net : Permet de faire la connaissance de nouvelles personnes et facilite le maintien de relations existantesEntraîne une augmentation d’échanges, donc plus de « créativité collective »Permet la création d’un nouvel outil de mobilisation pour la société civile, donc rend plus facile la participation à un projet de société. | L’usage du Net : Contribue à la formation de relations peu engageantes parce que l’être ensemble est remplacé par l’interactivitéContribue à créer un gouffre entre ceux qui sont branchés et ceux qui ne le sont pasContribue à la désynchronisation des activités sociales et donc constitue une sorte d’obstacle à l’élaboration de projets collectifs. |
À première vue, on constate que les deux discours sur l’impact d’Internet sont antinomiques dans leur attitude à l’égard de l’objet lui-même. Par exemple, la position optimiste maintient que le Net est un indice du progrès social et contribue à améliorer la qualité de vie, tandis que la position pessimiste souligne son caractère antihumaniste parce que son usage situe désormais la technique (et non plus l’humain) au premier plan.
Cependant, en ce qui concerne les arguments apportés de part et d’autre, on note que l’opposition ne porte pas toujours sur les mêmes valeurs, ce qui donne inévitablement lieu à un dialogue de sourds. Est-ce que l’idée du Net comme véhicule de progrès social s’oppose à l’idée du Net comme outil de domination ? Ou encore, est-ce que l’affirmation selon laquelle le Net permet une augmentation des échanges s’oppose à celle qui veut qu’il contribue à élargir le fossé entre les classes sociales ? L’examen des deux discours révèle d’abord et avant tout un débat idéologique. En effet, les optimistes sont d’avis que le Net est un moyen de communication révolutionnaire parce qu’il change les notions de temps et d’espace. S’ensuit une énumération des usages émergents et potentiels qui sont transformés en « preuves ». Les pessimistes, au contraire, insistent sur les conséquences néfastes du Net comme l’enfermement virtuel de l’individu, la création d’une élite branchée ou la désynchronisation des activités sociales.
Question de recherche
Devant ces positions sur les retombées du réseau, il convient donc de poser la question : quel est, empiriquement, l’effet d’Internet sur les relations interpersonnelles ? Si les optimistes ont raison, nous devrions observer que plus on recourt à Internet, plus la vie sociale sera dynamique et plus s’accroîtront le nombre et la fréquence des communications. L’usage d’Internet devrait donc entraîner une augmentation du nombre de personnes avec qui l’on échange soit virtuellement, soit physiquement. Inversement, si les pessimistes ont raison, nous devrions trouver que plus on utilise Internet, plus on s’isole, c’est-à-dire on abandonne ses activités sociales et très probablement l’usage des autres médias, on se sépare physiquement des autres et on se réfugie peu à peu dans un monde artificiel. Dans ce contexte, non seulement on passe moins de temps avec les membres de sa famille et ses amis, mais les liens que l’on crée et que l’on maintient sur Internet sont fictifs, substitutifs et transitoires parce qu’ils sont virtuels. Nous pouvons dès lors nous demander si plus la communication transite par Internet, moins elle est profonde et si les personnes qui font usage d’Internet entretiennent des liens moins intenses avec les autres d’une façon constante. Il y a donc lieu de s’interroger sur la contribution du Net au sentiment de solitude qui semble se manifester davantage à l’heure actuelle et qui, pour certains, représentent le mal du siècle.
Nous présentons ici les résultats d’une étude que nous avons menée en nous laissant guider par les hypothèses suivantes.
- Plus on fait usage d’Internet, moins on participe à des activités sociales.
- Plus on a recours à Internet, moins on fait usage d’autres médias.
- Plus on recourt à Internet, plus on entretient des communications en nombre et en fréquence.
- Plus on fait usage d’Internet, moins on communique en la présence de l’autre.
- Plus la communication transite par Internet, moins elle est profonde.
- Plus on recourt à Internet, plus on a le sentiment d’être seul.
CHAPITRE VI. DEONTOLOGIE ET ETHIQUE PROFESSIONNELLE
INTRODUCTION
Qu’est-ce qu’une déontologie ? Quelles fonctions remplit-elle dans un champ professionnel ? Ce sont ces questions qui constituent le fil directeur de ce chapitre.
Nous référant au premier chapitre de ce cours, quatre trois termes attirent notre attention : éthique, morale, déontologie ; on peut y ajouter aussi la notion de droit.
Les actes que l’on pose, dans son métier actuel ou dans celui qu’on ambitionne d’exercer, les réponses qu’on apporte, les choix qu’on fait s’appuient tantôt sur des règles, tantôt sur une référentiel ou des valeurs. Dans cette optique, il convient de bien comprendre et bien appliquer les deux notions d’éthique et de déontologie -qui ont une connexion avec le métier ou la profession- au cours de la carrière professionnelle.
Il s’agit d’appréhender les concepts d’éthique et de déontologie avant de les rapporter à la dimension du professionnel de métier, objectif de notre cours.
VI.1. Déontologie : Essai d’éclaircissement
VI.1.1. Approche conceptuelle de déontologie
Le terme déontologie dérive de l’anglais deontology venant lui-même du grec deon, ce qu’il faut faire, devoir, avec le suffixe – logie du grec logos : étude, science, discours, parole.
La déontologie est l’ensemble des règles, des devoirs et obligations régissant la conduite à tenir pour les membres d’une profession ou pour les individus chargés d’une profession dans la société. Qu’elle soit imposée ou non par la loi, elle constitue la morale d’une profession. C’est le cas par exemple pour les professions médicales (serment d’Hippocrate, serment de florence de Nigthgame) les journalistes (charte de Munich).
Cependant, le mot ‘’déontologie’’ est rarement synonyme d’éthique et de morale. Le plus souvent il est utilisé pour traduire l’idée de devoirs, d’obligations, de prescriptions concrètes par opposition à l’analyse et la réflexion. On l’emploie principalement dans deux contextes différents : le premier ; d’ordre philosophique, pour désigner une approche ou une théorie morale qui insiste sur le devoir, l’obligation (par exemple chez le philosophe allemand Emmanuel Kant) par opposition à une morale centrée sur le bonheur, les valeurs ou sur la seule utilité ; le second contexte, plus commun, pour désigner les règles et devoirs propres à l’exercice d’une profession ou au fonctionnement d’une entreprise. On parle alors communément de déontologie professionnelle, déontologie médicale, déontologie des affaires.
Dans cette foulée, l’expression fréquente ‘’code de déontologie’’ désigne un ensemble des règles que se donne une corporation ou une entreprise pour régir les rapports de ses membres avec les autres et promouvoir sa propre image extérieure.
Tout en comportant une part d’éthique, le code de déontologie s’éloigne alors de l’éthique (exigence éthique personnelle) en ce qu’il renvoie à des valeurs et des règles, plus ou moins restreintes, faisant largement consensus parmi les membres et approuvées par l’autorité professionnelle. Il se rapproche ainsi du droit.
Le code de déontologie est aussi appelée ‘’morale professionnelle’’ ; On y trouve des obligations partagées par un groupe et qui reflètent des valeurs ou des principes jugés fondamentaux. Bien que la déontologie soit très présente dans divers milieux professionnels, beaucoup de travailleurs ne sont pas encadrés par des codes.
Ces codes de déontologie, généralement fixés par les ordres professionnels, exercent deux fonctions principales : protéger le public et préserver la réputation des travailleurs. Ces deux valeurs sont souvent menacées lors d’une infraction commise contre les dispositions du code.
Pour Aristote, il existe assurément une déontologie, il y a des choses qu’il faut faire, il ne faut pas les faire que parce qu’elles sont requises pour atteindre une certaine fin.
On doit le terme de déontologie au philosophe anglais Jeremy Bentham (Deontology or the science of morality, 1834). Pour lui, le terme de déontologie est tout simplement un nom expressif pour désigner l’éthique[31].
Si on suit l’étymologie, la déontologie peut être définie comme la théorie des devoirs. Ce mot, précise le Dictionnaire philosophique Lalande « ne s’applique pas à la science du devoir en général, au sens Kantien, il porte au contraire avec lui l’idée d’une étude empirique des différents devoirs, relative à telle ou telle situation »[32].
L’objet de la déontologie n’est donc philosophiquement la notion d’obligation, de comprendre en quoi un devoir est un devoir, mais d’inventorier très concrètement les obligations qui incombent à un professionnel dans l’exercice de sa tâche. C’est ce sens que retrouvent, aujourd’hui aussi bien les Dictionnaires spécialisés que les Dictionnaires généralistes.
La déontologie écrit, par exemple le Petit Larousse, est « l’ensemble des règles et des devoirs qui régissent une profession, la conduite de ceux qui l’exercent, les rapports entre ceux-ci et leurs clients ».
Concluons en disant qu’une déontologie est un ensemble de règles, de recommandations et de devoirs qui régit l’activité d’un professionnel dans l’exercice de sa tâche.
VI.1.2. Concept ‘’Ordre’’
Le mot Ordre a plusieurs significations selon le domaine étudié (religion, civil, professionnel, société, etc.). Un Ordre professionnel est un groupement professionnel chargé de surveiller l’éthique et la déontologie d’une profession (Ordre des médecins, Ordre des pharmaciens, Ordre des avocats, Ordre des architectes, Ordre des informaticiens, etc.).
Quelles sontles caractéristiques fondamentales d’un ‘’Ordre’’ ?
Citons :
- délégation de prérogatives de puissance publique à une personne de droit privé ;
- édiction d’actes administratifs ;
- inscription au tableau ;
- mesures disciplinaires ;
- notions d’intérêt public ;
- affiliation obligatoire des professionnels, s’ils font usage du titre.
Que dire de la morale professionnelle ou l’éthique professionnelle ?
VI.1.3. Ethique professionnelle
A la différence de la déontologie, l’éthique professionnelle est l’ensemble de principes et valeurs morales permettant de juger un acte (ou son absence) comme acceptable ou non, dans le cadre des activités professionnelles. En fait, elle aide à prévenir des comportements ‘’mauvais’’ pour la profession ou l’entité, soit les éventuellement les condamner. Ex. : l’abus de pouvoir, la divulgation des secrets, le harcèlement, etc.
- Les principes fondamentaux de l’éthique professionnelle
Les voici : respecter l’intégrité, professionnalisme, respecter la diversité, se fondre dans le groupe avec des valeurs convenues et partagées.
Par rapport au métier, nous pouvons citer les principes suivants : l’empathie, la conscience, la pertinence, la transparence, le bien commun,
- Les manquements à l’éthique professionnelle
Citons : le harcèlement : psychologique et discriminatoire ; abus de pouvoir, indiscrétion, manque de solidarité, corruption
IV.1.4. Ethique VS Déontologie
Il existe une distinction entre la déontologie et l’éthique. Bien qu’ayant principalement la même fonction, -toutes les deux renvoient aux règles, aux conduites des gens-, elles s’y prennent toutefois différemment. La première (déontologie), de nature légale, se présente sous la forme de règlements et de directives régissant, par exemple, les comportements des membres d’une profession. Les règles de la déontologie s’appliquent de manière identique à tous les membres du groupe, dans les situations pratiques. Une autorité est chargée de les faire respecter et d’imposer des sanctions en cas de dérogation.
La deuxième (éthique), plus réflexive, invite à un effort d’analyse prenant
en compte les particularités de chacune des situations (contexte, partenaires, ressources) afin de déterminer les meilleures manières d’agir (incluant la non-action). Il n’est pas nécessaire, pour se conformer à la déontologie, de réfléchir aux valeurs qui la sous-tendent ni même de partager ces valeurs.
L’éthique, au contraire, invite le professionnel à réfléchir sur les valeurs qui motivent son action et à choisir, sur cette base, la conduite la plus appropriée.
Disons à présent un mot sur la profession, puis sur le professionnalisme vs éthique vs déontologie ?
VI.1.5. Profession
Du latin profession (déclaration, action de se donner comme) est le métier exercé par une personne. Une profession n’est ni une association (un rassemblement volontaire de personnes) ni une communauté (groupe dont les membres ont une même conception du bien). Ce qui relie les membres au sein d’une profession, n’est ni ce qu’ils sont ni ce qu’ils entendent devenir mais ce qu’ils ont à faire ensemble, ici et maintenant.
L’élément fédérateur est ici une tâche commune structurée par des règles et le centre de gravité d’une profession est sont utilité publique qui représente comme l’a bien vu Hegel, « l’honneur » de la profession.[33] »
En ce qui concerne la déontologie, elle n’a pas une vocation spéculative mais une visée pratique, car elle entend définir une pratique professionnelle donnée, à partir de son axiologie, un socle commun de règles, de recommandations et de procédures.
Les règles déontologiques émanent de groupes professionnels déterminés qui les établissent généralement par l’intermédiaire de leurs propres instances, ordres professionnels, associations aux syndicats. Elles correspondent à un phénomène d’autorégulation, une déontologie émane toujours des professionnels eux-mêmes, elle manifeste ainsi de désirs qu’a une profession de s’autogouverne.
Mais nous comprenons vraiment ce qui est une déontologie professionnelle que si nous complétons cette définition essentialiste par une réflexion sur les fonctions. A quoi sert une déontologie ? Quelles grandes fonctions remplit une déontologie au sein d’une profession ?
VI.1.6. Professionnalisme vs éthique vs déontologie
Le professionnalisme ici doit être entendu comme l’adéquation de l’agent et du respect des principes et règles de la déontologie en vue de la performance, de l’excellence dans la région et dans le fonctionnement régulier d’un service, d’une entité donnée. En effet, la connexité de l’éthique et du professionnalisme veut dire que l’employé doit constamment poursuivre la réalisation de l’éthique dans sa pratique professionnelle quotidienne. Il doit lutter constamment contre les déviations déontologiques.
Etre professionnel, c’est :
- respecter ses clients/administrés/employés ;
- respecter ses collaborateurs et travailler dans la même direction ;
- peser ses propos et savoir se remettre en question à tout moment ;
- rester à l’écoute ;
- respecter les délais ;
- respecter les procédures et savoir les utiliser ;
- savoir fédérer et communiquer ;
- faire preuve d’expertise et à la fois l’ouverture d’esprit ;
- respecter les compétences.
VI.2. Déontologie: Fonctions et utilité
VI.2.1. Aider et responsabiliser
Une déontologie a pour but avoué d’ « organiser une corporation un groupe de professionnels, en leur donnant des points de repères pour décider et s’orienter dans des contextes de travail brouillés et difficiles[34] »
En conséquence, la déontologie éclaire les praticiens dans leur décision et les guide dans l’action. A ce titre, « elle est un guide pour assumer une responsabilité en acte, pour trouver des réponses à ce qui ne va plus de soi ou à ce qui n’est jamais allé vraiment de soi. » [35]
Toutefois la déontologie peut avoir deux sens très différents selon qu’elle est associée à la discipline ou orientée par l’éthique. Dans le premier cas, ce qui domine est la volonté d’en faire un instrument de contrôle a posteriori des comportements individuels (instrument de disciplinarisation). Rapprochées de l’éthique, les normes déontologiques deviennent, dans le deuxième cas, une aide pour un décideur exposé à des risques. C’est d’ailleurs toute la portée paradoxale de la déontologie.
VI.2.2. La déontologie définit une identité professionnelle
En outre, la déontologie essaie de répondre à la question « quid ? » Qu’est – ce que bâtir pour l’architecture ? Qu’est-ce qu’informer pour un journaliste ? Qu’est-ce que prodiguer des soins pour un médecin ? Qu’est-ce que computer pour un informaticien ? In fine « Une déontologie précise une identité professionnelle »[36].
- Moraliser les pratiques
Enfin une déontologie précise, en effet, une déontologie identifie les pratiques douteuses, ambiguës ou illégitimes, pour ne retenir que celles qui méritent d’être retenues. Dans toutes professions, il y a des choses à faire et à ne pas faire. En ce sens, la déontologie est une sorte de sagesse collective issue des débats qui traversent et travaillent une profession.
VI.2.3. Déontologie : Utilité
- L’habitus et la règle
Déontologie est utile dans la mesure où ce sont les règles qui fédèrent les professionnels d’une même branche d’activité et les rendent socialement visibles comme tels vis-à vis de l’extérieur. En d’autres termes dans une profession, nous avons besoin des règles explicites.
L’instauration d’un code de déontologie par explicitation des règles du jeu, réactive le sentiment d’appartenance à un corps lorsque celui-ci tend à s’étioler.
- Le domaine d’intervention
Si un code de déontologie peut-être un rempart contre la désignation d’un corps professionnel et peut apparaitre, du point de vue de ce corps, comme un principe fédérateur, il peut aussi revendiquer cette vertu fédératrice, du point de vue de la pratique des acteurs, en fonctionnant comme principe de l’imitation. En tout cas, un code de déontologie permet de fixer ou de réaffirmer les contours d’une pratique professionnelle. Il précise et, par là même, stabilise les tâches assignables, en droit, à un professionnel.
Même si, entre le droit et le fait, entre le travail prescrit et le travail réel, il y a toujours un écart, une différence, l’argument n’en garde pas moins sa pertinence. Un code de déontologie permet, pour reprendre l’expression de Gilbert Vincent, une « orthopraxis » c’est-à–dire une sorte d’orthodoxie professionnelle entendue en termes d’intervention prévisibles. Pour dire bref, le professionnel confronté aux plusieurs défis ressent le besoin que soit précisé son domaine propre d’activité.
Un code de déontologie définit donc, in fine, le domaine de compétence du professionnel, l’espace de l’agir qualifié. Il délimite un domaine d’intervention légitime et ce faisant offre la possibilité de collaboration plus facile avec d’autres professionnels.
VI.2.3. Une assurance psychologique et juridique.
La déontologie donne une assurance psychologique mais aussi une sécurité juridique. En effet, face à des situations professionnelles de plus en plus complexes, les professionnels peuvent se sentir désorientés, paralysés : on mesure l’intérêt d’un ensemble de règles et de principes partagés pouvant servir de repères et de guide pour l’action.
Vu sous cet angle, un code de déontologie est un dispositif éthico-juridique qui tend à réduire les risques de cours juridiques en rendant visible ce qui devait être fait normalement, et de manière minimale, dans telle ou telle situation précise.
En outre, le code de déontologie s’avère être un trait d’union qui rapproche statut et compétence. C’est une arme anti-soupçon qui repose sur l’attestation, la mise en acte dans une extériorité visible d’un ensemble de compétences.
Un code de déontologie est pertinent lorsqu’il fournit au professionnel des repères et des points d’appui pour orienter son action, des repères dans les situations difficiles qu’il peut rencontrer.
CHAPITRE VII. POUR UN CODE DE DEONTOLOGIE DES INFORMATICIENS
Introduction
Ce chapitre porte sur l’identité professionnelle des informaticiens, leur domaine d’intervention et leur responsabilité, c’est en fait un plaidoyer pour un code de déontologie des informaticiens en RDC ou l’ordre des informaticiens émerge à peine.
Voilà pourquoi, le premier point se penche sur l’urgence d’une éthique appliquée au numérique. Le second est une réflexion sur l’opportunité de constituer les informaticiens et informaticiennes en ordre professionnel. Nous partons de l’éthique de l’usage de l’outil informatique à la déontologie de la profession.
VII.1. Le numérique comme champ d’action : vers une éthique de l’usage.
Nous constatons un besoin pressant de réaffirmer certains principes éthiques vu que l’informatique participe aux changements profonds du monde dans lequel nous vivons. Cela revient à faire une éthique appliquée au numérique.
En effet, l’éthique du numérique est un sujet qui renvoie spontanément à des nombreuses questions et thématiques : Big data et protection des données personnelles, brouillages des frontières entre vie privée et vie professionnelle, facture numérique (géographique, générationnelle), traçabilité, algorithmes prédicatifs libre arbitre etc. Bref tant de sujet d’interrogation qui témoignent de l’ampleur des questions éthiques liées aux numériques.
C’est pourquoi, lorsque l’on parle d’éthique du numérique, nous nous concentrons sur les conséquences éthiques de l’usage du numérique. Avec la démocratisation de l’internet par exemple dès le début des années 1990, nous signaler l’apparition d’une charte éthique réalisée par les internautes « la netiquette ». Cette charte est relative aux règles de savoir vivre, de civilité sur internet concernant notamment les débats en ligue, sur les forums et les blogs : ces sont des règles de bon sens, de bienséance sur le net (respeter la parole de l’autre, pas d’insulte). On réaffirme en fait des principes de civilité dans ce nouvel espace d’action qu’est l’internet. Il dé multiplie les possibilités d’action humaine et leur donne une certaine em- phase. Certaines pratiques frauduleuses sont considérablement amplifiées avec les numérique comme la propagation des fausses rumeurs et nouvelles ( fake news), des faux commentaires destinés à améliorer la visibilité d’une marque ou détruire l’image d’une autre personne.
Dans cette perspective certains instituts des professionnels ont élaboré des codes d’éthiques. Nous avons par exemple : « les 10 commandements de l’éthique informatique » rédigés par la computer éthics institute ( 1992) qui témoigne de l’urgence de réaffirmer certaines principes éthiques ou la loi sur le net :
- Tu n’utiliseras pas ton ordinateur pour voler ;
- Tu n’utiliseras pas ton ordinateur pour nuire à autrui ;
- Tu n’utiliseras pas ton ordinateur pour propager des fausses rumeurs ;
- Tu ne t’approprieras pas les acquis intellectuels d’autrui ;
- Tu n’utiliseras ton ordinateur avec respect et considération pour autrui.
En effet, depuis l’apparition des outils informatiques en entreprises et de l’internet dans la sphère privée, pléthore de code et des chartes ont été rédigées ou adaptées pour montrer que le numérique amplifient certaines problématiques : protection de l’information, faire commentaires malversation, chantage, harcèlement, etc.
Plus récemment, la «charte de l’internet : règles et usages des acteurs de l’internet en France est un outil d’autorégulation entre les acteurs de l’internet (fournisseurs des sites Web et commerce par exemple) promouvant le respect de principe comme la dignité humaine, la liberté et les droits de propriété intellectuelles et des consommateurs.
Un autre exemple, nous est livré par l’université de Namur en Belgique. En effet, cette université s’est dotée des principes déontologiques relatifs à l’utilisation de l’outil informatique. Il s’agit entre autre de l’usage loyal des moyens informatiques (principe I), de la responsabilité vis-à-vis de l’image de l’unamur (principe II) , du respect de la propriété intellectuelle ( principe III), du respect des personnes et de leur vie privées (Principe IV) et de l’existence d’une commission de déontologie ( Principe V)[37]
En tout cas de nombreuses entreprises possèdent aujourd’hui des chartes d’usages d’internet, des chartes d’usages des réseaux sociaux. D’où l’urgence de l’émergence d’un éthos et une déontologie professionnelles des ingénieurs informaticiens.
VII.2. L’opportunité de constituer les informaticiens et informaticiennes en ordre professionnel
La place qu’occupe l’informatique est devenue trop importante dans notre société qu’on assiste à la gestation d’un « ordre des informaticiens du Congo[38] en effet, « la salle universitic de l’Ista a servi de cadre le samedi 01/11/2014, à la présentation de la corporation dénommée ordre des informaticiens du Congo ( OIO) en sigle » [39] . Depuis cette sortie officielle, la corporation ne s’est pas encore dotée d’un code déontologique.
Voilà pourquoi, nous allons nous pencher sur les codes déontologiques des autres Pays afin d’esquisser l’identité et la mission des informaticiens congolais.
VII.2.1. Organisation de la profession au canada /Québec
Le Canada en général, le Québec en particulier, est en avance dans l’organisation de la profession des informaticiens. En effet, l’association professionnelle des informaticiens et informaticiennes du Québec a été créée en 1986, en vertu de la troisième partie de la loi sur les compagnies. L’association comptait, en octobre 1995, 1037 membres répartis sur tout le territoire du Québec. L’association possède trois catégories de membres soit les membres réguliers, les membres étudiants et les membres honoraires.
Pour être admis à l’association, le candidat doit détenir un diplôme universitaire de premier, de deuxième ou de troisième cycle en informatique ou un diplôme de premier cycle dans une discipline autre que l’informatique, obtenu avant le premier janvier 1976, et dix ans d’expériences comme informaticien. Aucune condition supplémentaire à celles-ci n’est exigée des membres si ce n’est l’engagement de l’informaticien à respecter les membres de l’association et à payer sa cotisation.[40]
L’association comprend un conseil d’administration de neuf membres un comité exécutif et huit comités permanents s’occupant, entre autre de la reconnaissance professionnelle de l’admission du journal et des conférences. Elle possède des règlements dont un code de déontologie.
Qu’est –il des autres modèles ?
VII.2.2 Autres modèles
Nous avons d’autres pays occidentaux qui se sont dotés d’association d’informaticiens c’est le cas de la France, de la Belgique. En ce qui concerne l’Afrique, nous avons le Cameroun où les informaticiens ont élaboré leur code de déontologie.
VII.3. Analyse de quelques codes déontologiques
La lecture attentive des différents codes nous en présence de la définition du profil d’informaticiens, son domaine d’intervention et sa praxis.
Au canada « les activités de l’informaticien comprennent une part spécifiques à l’informatique et très souvent une part relative au domaine d’application (gestion, génie, graphisme, musique, aéronautique chimie, géomantique, architecture, géographie)
Quel que soit le secteur d’application, on peut compter quatre grandes orientations quant aux activités des informaticiens. Il s’agit de l’informatique pure, l’informatique mathématique, l’informatique de génie[41] .
Précisons que l’informaticien avec une orientation en informatique pure analyse des problèmes complexes et des situations dynamiques, en tenant compte de besoins du client, de la nature des tâches que devra effectuer le système et des coûts de conception et de réalisation. Il formule une solution informatique comprenant les technologies et les produits informatiques requis et, au besoin, est le maître d’œuvre de son implantation. La tâche de programmeur s’ajoute parfois à celle de l’informaticien. Il doit alors élaborer concrètement le logiciel proposé ou son application. Il peut travailler dans tous les domaines où l’informatique trouve des applications. Il est, souvent identifié comme « analyste de l’informatique ou analyste programmeur ».
L’informaticien avec une orientation en informatique mathématique. A partir de ses connaissances en mathématiques pures et appliquées, il peut comparer différents algorithmes ou différents programmes d’ordinateurs pour résoudre un même problème, il peut aussi représenter un système ou un processus par un modèle mathématique et le simuler sur les ordinateurs. C’est l’informaticien le plus près de la théorie et de la recherche sur la haute technologie. Il s’intéresse par exemple à l’intelligence artificielle, à la compréhension de la parole et aux systèmes de télécommunication avancés.
L’informaticien avec une orientation en informatique de gestion est un spécialiste en informatique appliquée à la gestion. Il élabore et met en œuvre des solutions informatiques afin de répondre aux besoins de traitement de l’information des organisations eu regard notamment de la comptabilité, des ressources humaines, de la gestion des stockes ou des inventaires.
L’informaticien avec une orientation en informatique de génie peut aussi analyser des situations et développer des solutions informatiques, mais il possède une expertise particulière dans le domaine du matériel. Pour lui la conception et la réalisation du logiciel de base sont étroitement liées au matériel. Il intègre les connaissances relatives à ces deux aspects.
En France, la charte de déontologie du service informatique de l’université de Toulouse précise le cadre technique et juridique de l’intervention des administrateurs. Ces derniers interviennent sur plusieurs éléments d’un système informatique :
- Les postes de travail individuels
- Les bases de données
- Le système d’exploitation du domaine
- Le réseau
- Les applications
- La téléphonie.[42]
En outre, les administrateurs ont pour mission d’assurer un service de qualité aux utilisateurs, assurer la transparence des préparations effectuées. Et comme moyens : les sauvegardes automatiques, la métrologie (étude de la charge du réseau) en temps réel, traçabilité des opérations informatiques. (les traces se composent des données techniques exécutées par chaque type d’opération (date et heure de l’opération, numéro d’identification de la machine, identification de l’utilisateur, détail de l’opération effectuée).
Les administrateurs s’engagent à n’utiliser les traces que si un motif légitime les y oblige, conformément aux droits et devoirs que leurs confèrent leurs missions.
Quand au cadre juridique de l’intervention, l’administrateur ne peut jamais oublier que « l’informatique ne doit porter attente ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la privée, ni aux libertés individuelles ou publiques » (article 1er de la loi 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés).
Par conséquent, l’administrateur s’engage à respecter les droits fondamentaux des utilisateurs lors de l’exercice de ses missions et plus particulièrement :
- Le droit au secret des communications électroniques, lesquels ne peut être levé qu’avec accord. (application : données personnelles relative à la consultation de sites internet de l’utilisateur( historique des navigations, signes) ;
- Le droit aux secrets des correspondances (application au mail) ;
Cependant les administrateurs ont besoins, pour réaliser leurs missions d’utiliser certains types de moyens. Ils doivent respecter la loi informatique et libertés et s’obliger à la confidentialité pour toute information dont ils auraient pu avoir connaissance durant l’exercice de leurs fonctions.
Par ailleurs ils ont le devoir d’obéir à tout ordre, fut-il de sa hiérarchie, qui aurait pour conséquences de leur faire commettre une infraction, que ce soit suite à la violation d’un droit fondamental de l’utilisateur tel que décrit ci-dessus, ou à la loi du 6 juillet 1978 modifiée en Aout 2004.
Seules les autorités judiciaires, en tant que gardiennes des libertés individuelles, ont la faculté de déroger à ces principes en cas de nécessité liée à la recherche de la vérité dans le cadre de l’instruction d’une affaire ou d’une enquête.
Quant au code de déontologie des informaticiens du Cameroun, il ne nous apporte pas suffisamment des lumières sur le profil de l’informaticien et sur sa praxis informatique. En effet, ce code ne spécifie pas l’identité de l’informaticien et loge à la même enseigne «des techniciens des secteurs de l’informatique, du génie électrique, de l’électronique, de l’aéronautique, des télécommunications et des postes » et les désigne par « technicien » [43]ce qui ne peut qu’entretenir la confusion. Examinons la responsabilité des informaticiens à travers quelques cas.
VII.4. Responsabilité des informaticiens : cas d’Edward Snowden et de Mark Zuckerberg
La question du rapport entre numérique et libertés concerne l’ensemble de la société et principalement les informaticiens. Le cas de Edward Snowden et de Mark Zuckerberg en dit long.
VI.4.1. Edward Snowden ou la dénonciation du PRISM (Programme de surveillance)
Edward Snowden est un administrateur système, fondateur de wikileak, ex-consultant de la NSA (National Security Agence). Il s’est illustré par sa dénonciation du PRISM, également appelé US-984xN, programme américain de surveillance électronique par la collection de renseignement à partir d’internet et d’autres fournisseurs électronique. Ce programme classé relève de la NSA, prévoit le ciblage de personnes vivant hors des Etats-Unis[44] .
En juin 2013, Edward Snowden fait des fracassantes révélations sur PRISM au quotidien britannique The Guardian. Il y affirme que « La NSA dispose d’un accès direct aux données hébergées par les agents américains des nouvelles technologies, parmi lesquels : Google, Facebook, Youtub, Microsoft, Yahoo, Skype, Aol et Apple »[45] Prism s’inscrit ainsi dans le tradition des ententes que la NSA a établies depuis les années 1970 avec plus de 100 Sociétés américaines jugées faibles.
En partant de la NSA, Snowden est parti avec les documents qui sont maintenant en cours d’exploitation. Ce qui explique qu’en septembre 2013 les quotidiens The Guardian et The New-York times aient révélé que depuis 2010, la NSA a développé de multiples méthodes de contournement des algorithmes de chiffrement utilisés par les communications sur internet (comme le http qui utilise SSL afin d’avoir accès aux contenus des messages) [46]
En conséquence, les révélations de Snowden ont eu des répercussions économiques énormes pour les grandes entreprises high-tech américaines. En effet « IBM est poursuivi pour avoir collaboré avec la NSA et voit son chiffre d’affaires sérieusement affecté au troisième trimestre 2013, 40% de baisse pour ses ventes de matériel en Chine, soit un manque à gagner estimé à 12 milliards de dollars, Cisco est également touché. L’entreprise a annoncé le 13 novembre 2013 une prévision de baisse du chiffre d’affaires de 8 à 10 % provoquant une chute de 10% de son action, »[47]
Ce n’est pas tout. Signalons la levée de boucliers dans les milieux politique et non gouvernemental. La sentence américaine ne sa fait pas attendre. Snowden est inculpé par la justice américaine pour espionnage, vol et utilisation illégale des documents appartenant au gouvernement. Il a copié 1.7 million de documents classés top-secret[48]. Celui qui avait élu domicile à Hong-Kong, s’exile alors à Mascou où il obtient des autorités russe un droit d’asile temporaire prolongé jusqu’en 2020. Nombreux sont les journalistes, citoyens ou même élus qui ont soutenu l’action du lanceur d’alerte.
Pour nous, Snowden n’est pas un lanceur d’alerte, c’est un dissident. « C’est quelqu’un qui effectivement, face à un comportement systémique de l’Etat dans lequel il vivait a décidé de s’élever contre ce comportement-là à la manière dont Soljenitsyme et autres, des années 1970, ont critiqué le fonctionnement du bloc soviétique »[49].
VI.4.2. Mark Zuckerberg et les données personnelles : quinze années d’excuse[50].
Mark zuckerberg, né le 14 mai 1984 à White Plains, est un informaticiens et chef d’entreprise américain. Il est le fondateur du site internet de réseau social facebook dont il est le président Directeur Général.
Le PDG de Facebook n’arrive pas à protéger les données personnelles de ses utilisateurs depuis 15 ans. En effet, avant même la création du réseau social notre PDG n’a pas su protéger les données personnelles de ses condisciples à travers Facesmash, site internet qu’il avait développé alors qu’il est étudiant en deuxième années à Harvard en 2003. Ce fut une longue série de rendez-vous manqué avec la sécurité des données personnelles. Notons le Newsfeed ou fil d’actualité en 2006, beacan, publicité ciblée en 2007 et 2009, il prône la suppression impossible de ses données. Cela crée un nouveau scandale et les excuses de Marck ont des airs de déjà-vu.
Ce n’est qu’en mars 2018 avec le scandale Cambridge analytica que facebook propose à ses utilisateurs une option pour supprimer ses données cela vient d’une pression incessante de la FTC ou commission fédérale américaine chargée de faire respecter les droits des consommateurs.
Rappelons que le scandale Cambridge analytica est la conséquence d’utilisation des données personnelles des utilisateurs de facebook sans leur consentement par cette société.
En effet, Cambridge analytica est une entreprise de marketing politique, accusée d’avoir siphonné les données de dizaines des millions d’utilisateurs de Facebook. Des données qui auraient servi à influencer le Brexit et la campagne présidentielle américaine de 2016, entre autres. C’est le plus grand scandale auquel est confronté le réseau social en quinze ans.
Conscients des lacunes que présentent son entreprises, Zuckerberg va encore une fois présenter ses excuses aux parlementaires américains les 10 et 11 avril 2018 et européens le 23 mai 2018 sur leur convocation.
Les eurodéputés ont rappelé au patron de Facebook l’attachement de l’union à la protection des données personnelles notamment de RGPD, règlement qui doit entrer en vigueur le 25 mai soit deux jours après sa visite. Ce fait constitue une interpellation pour les informaticiens congolais.
VII.5. Interpellation adressée aux informaticiens congolais
Ce parcours nous a fait toucher du doigt les défis auxquels les informaticiens d’une manière générale et congolais en particulier sont confrontés. Ils sont assis sur un tas d’or, nos données et que ces données mal protégées ou mal utilisées peuvent servir à bien des choses comme essayer d’influencer les résultats d’une élection en essayant d’influencer les électeurs.
Edward Snowden a révélé au grand public que toutes les informations que nous donnons, entre autres à Facebook, peuvent être utilisées à des fins de surveillance politique.
Dès lors se pose la question du code de déontologie pour informaticiens c’est-à-dire la question de la maitrise du patrimoine informationnel et donc de la liberté de gérer les données dont on est responsable. Et l’on s’aperçoit qu’effectivement que dans la collecte des données, il faut considérer de façon équivalente la menace des Etats et la menace des acteurs privés.
Voilà pourquoi, nous devons, en tant qu’informaticiens, en toutes circonstances « n’agir de telle sorte que les effets de nos applications de la technologie informatique soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur la terre » (Hans Jonas).
PLAN DU COURS
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I. CONSIDERATIONS GENERALES
CHAPITRE II. ETHIQUE INFORMATIQUE, POURQUOI FAIRE ?
CHAPITRE III. DIFFERENTS COURANTS ETHIQUES
CHAP. IV. LES SOURCES DE LA MORALITE
CHAP. V. DE L’ETHIQUE INFORMATIQUE A L’APPROCHE DE L’HUMAIN DANS LE NUMERIQUE
CHAPITRE VI. DEONTOLOGIE ETHIQUE PROFESSIONNELLE
CHAPITRE VII. POUR UN CODE DE DEONTOLOGIE DES INFORMATICIENS
[1] A. ETCHEGOYEN, La valse des éthiques, Paris, François Bourin, 1991. L’auteur montre avec pertinence et hauteur de vue comment les éthiques sont, partout, affichées par les entreprises, revendiquées par les scientifiques et invoquées par les politiques.
[2] A. Comte-Sponville, Présentations de la philosophie, Paris, Albin Michel, 2000, p. 19.
[3] A. ETCHEGOYEN, La valse des éthiques, Paris, François Bourin, 1991, L’auteur montre avec pertinence et hauteur de vue comment les éthiques sont, partout, affichées par les entreprises, revendiquées par les scientifiques et invoquées par les politiques.
[4] E. MORIN, Science avec conscience, p. 119.
[5] L. FERRY, Qu’est-ce qu’une vie réussie ? Essai. Paris, Grasset, 2002.
[6] HANS JONAS né en 1903 et mort en 1993, a véritablement parcouru le 20ème siècle et ses tensions. Son principal ouvrage : le principe responsabilité, paru en 1979, a connu un grand succès.
[7] H. JONAS, Principe responsabilité, p. 17.
[8] L. HANS-LOVE, O. C., p. 17.
[9] H. JONAS, O. C., p. 30.
[10] Ib., p. 31.
[11] L. HANSEN-LOVE, O. C., p. 243.
[12] CEC 1750 et 1760 39 « L‘objet est ce que je veux ou, plus précisément, ce qui est voulu. ―Ce que je veux‖ est ambigu dans notre langage, puisque l‘expression signifie à la fois l‘objet et l‘intention : ―je n‘ai pas voulu cela‖ s‘entend de l‘intention alors même que l‘objet voulu est réalisé. Le voulant délibérément, la volonté s‘en approprie la dynamique objective et s‘identifie au bien, à la valeur qu‘elle atteste en tel ou tel acte posé. » Albert Chapelle, Jean-Marie Hennaux, Graziano Borgonovo, La vie dans l’Esprit – Essai de théologie morale générale, Parole et Silence, 2010, p. 292.
[13] CEC 1751. C‘est moi qui souligne « humain » ; on verra bientôt pourquoi.
[14] Le raisonnement de Thomas d‘Aquin mériterait d‘être encadré dans le bureau de tout ceux qui ont à voir avec l‘éthique. Il affirme que les actes humains — ou actes moraux — reçoivent leur espèce de leur fin (Ia-IIæ, Q.1 a.3). En réponse à la troisième objection de cet article, qui soulève qu‘un acte peut avoir plusieurs fins selon les acteurs, Thomas répond : « Un seul et même acte, procédant de l‘agent à un même moment, ne peut avoir qu‘une seule fin prochaine, qui lui donne son espèce ; mais il peut avoir plusieurs fins éloignées, dont l‘une est la fin de l‘autre. Cependant, il est possible qu‘un acte unique, considéré dans son espèce naturelle, soit dirigé vers diverses fins volontaires ; par exemple le fait de tuer un homme, acte unique selon son espèce naturelle, peut avoir pour fin soit le maintien de la justice, soit la satisfaction de la colère. De ce fait on aura des actes moraux spécifiquement distincts, puisque l‘un est vertueux et que l‘autre est un crime. C’est que le mouvement ne reçoit pas son espèce de ce qui n’est son terme que par accident, mais de ce qui est son terme par soi. Or les fins morales sont accidentelles aux choses naturelles, et en retour les fins de la nature sont accidentelles à la moralité. Rien ne s‘oppose donc à ce que les actes identiques en nature revêtent des espèces morales diverses, et réciproquement. ».
[15] La légitime défense est en outre un cas particulier de ce que l‘on appelle les actes à double effet, ou intervient aussi la notion d‘intention. Saint Thomas en a fait la théorie de la façon suivante : « Rien n‘empêche qu‘un même acte ait deux effets, dont l‘un seulement est voulu, tandis que l‘autre ne l‘est pas. Or les actes moraux reçoivent leur spécification de l‘objet que l‘on a en vue, mais non de ce qui reste en dehors de l‘intention, et demeure accidentel à l‘acte. Ainsi, l‘action de se défendre peut entraîner un double effet : l‘un est la conservation de sa vie, l‘autre la mort de l‘agresseur. Une telle action sera donc licite si l‘on ne vise qu‘à protéger sa vie, puisqu‘il est naturel à un être de se maintenir dans l‘existence autant qu‘il le peut […]. Et il n‘est pas nécessaire au salut que l‘on omette cet acte de protection mesurée pour éviter de tuer l‘autre ; car on est davantage tenu de veiller à sa propre vie qu‘à celle d‘autrui » (Thomas d‘Aquin, Somme théologique, IIa, IIae, Q.64, a.7.) Cette théorie des actes à double effet ne concerne que les actes qui ne sont pas mauvais en eux-mêmes, comme ici « se défendre ». Pour être complet il y a encore trois autres conditions qui doivent être remplies : l‘effet indirect mauvais, même s‘il est prévu, ne doit pas être voulu ; l‘effet indirect mauvais ne doit pas être utilisé comme moyen d‘obtenir l‘effet bon ; il ne doit exister aucun autre acte permettant d‘atteindre cet effet bon recherché, c‘est-à-dire qu‘on ne peut pas faire autrement.
[16] Gaudium et Spes 69.
[17] Saint Basile de Césarée (329-379) affirme qu‘à « l‘affamé appartient le pain que tu mets en réserve ; à l‘homme nu, le manteau que tu gardes dans tes coffres ; au va nu-pieds, la chaussure qui pourrit chez toi ; au besogneux, l‘argent que tu conserves enfoui. Ainsi tu commets autant d‘injustices qu‘il y a de gens à qui tu pourrais donner ». (Patrologie grecque XXXI, homélie 6)
Saint Ambroise confirme cette orientation : « ce n‘est pas de ton bien que tu fais largesse au pauvre ; tu lui rends ce qui lui appartient, car ce qui est donné en commun pour l‘usage de tous, voilà que tu te l‘arroges. La terre est à tout le monde et pas seulement aux riches. La nature a donné naissance aux droits communs, l‘usurpation a fait le droit privé. Le Seigneur notre Dieu a voulu que cette terre fut la possession commune de tous les hommes et qu‘elle procurât à tous des fruits ; c‘est l‘avarice qui a réparti les droits de possession ».
Voir aussi Saint Thomas, Somme théologique, IIa, IIae, q.66, a.2 et a.7
[18] Au sujet de l‘avortement dans les cas où la santé de la mère est en jeu, on peut lire également la Charte des personnels de la santé, publiée en 1995 par le Conseil pontifical pour la pastorale des services de santé, aux § 142 et 141 : « Quand l‘avortement s‘ensuit, comme conséquence prévue, mais non convenue et non voulue, simplement tolérée, d‘un acte thérapeutique inévitable pour la santé de la mère, celui-ci est moralement légitime. […] Il est vrai qu‘en certains cas, en refusant l‘avortement, on porte préjudice à des biens importants qu‘il est normal de vouloir sauvegarder. Pour autant, ce fait ne peut octroyer objectivement le droit de disposer de la vie d‘autrui, même en sa phase initiale. »
Le cas de la grossesse extra-utérine est un cas particulièrement épineux, car on y remédie généralement non par l‘ablation de l‘utérus mais par le retrait du fœtus qui cause directement sa mort. Pour certains il s‘agirait d‘un avortement, d‘une mise à mort directe du fœtus. Une solution classique serait de chercher à entrer dans la catégorie de l‘acte à double effet, par l‘ablation de l‘utérus. Est-ce cela que le texte cité ci-dessus vise en parlant de « biens importants qu‘il est normal de vouloir sauvegarder » auxquels on porte préjudice ? Mais ne pourrait-on pas poursuivre la réflexion, puisque le fœtus se développe dans un endroit où il ne peut de toute façon pas vivre ? En enlevant le fœtus de cet endroit fatal, l‘objet de l‘acte est-il la mise à mort directe du fœtus ? Ne s‘agit-il pas plutôt, même si la mort s‘ensuivra aussitôt, de retirer le fœtus de là où il ne peut de toute façon pas se
[19] CEC 1752.
[20] CEC 1753.
[21] CEC 1755 et 1756.
[22] On trouve sur internet un excellent mémoire sur le proportionnalisme et ses limites : Normand Lamoureux, Le proportionnalisme, systématisation heureuse de l’éthique ?, Faculté de philosophie de Laval, février 2001, http://normandlamoureux.com/memoire. Les grands représentants de l‘école proportionnaliste sont Peter Knauer sj., Louis Jansens, Joseph Fuchs, Bruno Schüller, Richard McCormick.
[23] Normand Lamoureux, op. cit.
[24] cf. Albert Chapelle, La théologie morale, Cours à l‘Institut d‘Études Théologiques (IET), Bruxelles, 1991-1992
[25] S. Pinckaers, Ce qu‘on ne peut jamais faire. La question des actes intrinsèquement mauvais. Histoire et discussion, FribourgParis, 1986, p.14.
[26] Veritatis Splendor § 81
[27] Albert Chapelle, Analyse de l‘encyclique Veritatis Splendor, publiée avec l‘Encyclique chez Mame/Plon, 1993, p. 207 58 Cité par Veritatis Splendor § 80. Si toutes ces questions des actes intrinsèquement mauvais vous intéressent, je vous renvoie à S. Pinckaers, Ce qu’on ne peut jamais faire…, pp. 67-106.
[28] Paul VI, encyclique Humanæ Vitæ § 14
[29] Francisco C. Fernandez Sanchez, Principe et argument du moindre mal, in Conseil pontifical pour la famille, Lexique des termes ambigus et controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques, Téqui, 2005, p. 871. 61 Alphonse de Liguori, Le grand moyen de la prière, Deuxième partie, chapitre III.
[30] Voir cette déclaration de la philosophe Suzanne Rameix lors de son audition devant la mission parlementaire française sur l‘euthanasie en 2010 : « l‘interdit est la source fondamentale de l‘imagination et de la créativité morales. S‘il n‘est plus là, il n‘y a plus la recherche acharnée, par les personnes de bonne volonté morale, des meilleures solutions, les plus humaines, les plus ajustées, les plus bienveillantes à l‘égard des problèmes rencontrés. Lever l‘interdit arrête la réflexion morale ».
[31] E. PRAIRAT, « Vers une déontologie de l’enseignement », dans Education et didactique, vol. 3, n° de Juin 2009, (Version électronique), cf. https:// Journals. Open édition éducation didactiquee 485 (consultée le 18/05/2018).
[32] E. PRAIRAT, art. cit.
[33] E. PRAIRAT, Art. Cit.
[34] E. PAIRAT, « L’orientation déontologique » dans les sciences de l’éducation- pour l’ère nouvelle 2007/2 (vol 40) p. 95-113 Cf. URL : http// WWW .Cairn. Info. Revue- les sciences –de- l’éducation- pour- ere nouvelle 2007-2-page-95 htm (page consultée le 18/05/2018)
[35] Ib.
[36] E. PRAIRAT, Art. Cit
[37]« Principes déontologiques relatifs à l’usage de l’outil informatique à l’université de nouer »Cf. htpp//www. Unamur. be/ organes / Cadeo/ Principes (Page Web consultée le 22/05/ 2018)
[38] « Un ordre des informaticiens du Congo en gestation » dans le phare du 3 Novembre 2014.
[39] Art.cit.
[40] OFFICE DES PROFESSIONS DU QUEBEC, Avis sur l’opportunité de constituer les informaticiens et informaticiennes en ordre professionnel, Québec, Mars 1997, P.9.
[41] Ib.,
[42] Nous allons nous inspirer abondamment de la Charte de déontologie du service informatique. Cf. www.univ-tlse2.fr. (Page web consultée le 05/06/2018)
[43] Code de déontologie des techniciens des secteurs de l’informatique, du génie électrique. Cf. http //workspace. unpam.org /sites internet/documents/UNPANO 33437.pdf, (page web consultée le 25/05/2018/
[44] « PRISM (Programme de surveillance » Cf. http// Fr. Wikipédia. Org/ voiri/ Prism (Programme de surveillance) (Page Web consultée le 25 /05/2010)
[45] Art. Cit.
[46] Art. Cit.
[47] Art. Cit
[48] C. COSTIL, « Edward Snowden, traitre ou défenseur des droits de l’homme » dans Economie-société du 7 juin 2017 .
[49] E. PELLEGRINI : « Ethique et la révolution numérique »Cf. https//www. April.org :ethique-et-revolution (page web consultée le 25/05/2018)
[50] Nous nous inspirons de l’article lumineux d’Evan LEBASTARS » Marck Zuckerberg et les données personnelles : quinze années d’excuses » dans France culture. Fr