ven. Mai 23rd, 2025
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LA VIE MENACEE EN AFRIQUE PAR LE PROGRAMME ‘’SANTE ET DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS’’ (SDSR)

Un cri d’alarme d’un théologien

INTRODUCTION : L’AFRIQUE, À LA CROISÉE DES CHEMINS.

Le monde contemporain connaît un obscurantisme de la vérité sur l’homme, c’est-à-dire un concept individualiste de la personne, et partant, de sa sexualité, qui entraîne l’éclipse des valeurs fondamentales frisant désormais l’individualisme égoïste. Cet obscurantisme a fort altéré l’environnement culturel, de telle sorte que la société actuelle nous présente, redisons-le, une vision fausse et hédoniste de la sexualité, en exhibant une tendance pansexualiste. En plus, la culture ambiante ne protège plus les valeurs morales, et les parents semblent démissionner de la tâche éducative des enfants à la sexualité[1].

Au-delà de la recherche de son identité et face à l’aspiration de la Conscience Universelle contemporaine du fait de la mondialisation, l’Afrique noire est en train de s’ouvrir aux mœurs occidentales à grande vitesse, incluant aussi le mariage et le sexe. Aujourd’hui, en Afrique comme en Occident, la famille et le mariage sont mis sous bulle: le nombre des divorces n’inquiète plus, les unions se font et se défont au gré des vagues. On observe chez les jeunes négro-africains une curieuse ambivalence à propos de la sexualité. Ils sont de moins en moins nombreux à vivre leur amour dans le cadre d’une institution établie. Certains le considèrent d’ailleurs comme une affaire privée. Dans les milieux défavorisés, la ‘’sexualité de groupe’’, fait office de lien social entre les jeunes ; ensemble, ils affirment leur masculinité. Ne pas s’y associer, c’est courir le risque de perdre la face et d’en être rejeté. Un seul point commun rassemble ces jeunes en manque de repères et d’espoir: ils ont une piètre image d’eux-mêmes[2].

Avec truculence Emmanuel Vanga souligne:

« Tout comme nos sociétés subissent une transformation générale, les gens redéfinissent aussi leurs idées sur le mariage et se demandent quel genre d’union survivra. Il est donc temps de lever certains verrous qui empêchent la communication verbale entre les Négro-africains et dont font partie les pratiques initiatiques traditionnelles ; de proposer des voies et des moyens pouvant permettre de parler enfin du mariage et du sexe de manière constructive, dans le cadre bénéfique des usages rituels traditionnels, en vue de l’épanouissement et de la renaissance du continent noir »[3].

Remarquons-le tout de suite, l’Afrique n’est pas à l’abri de ce qui se passe dans le monde aujourd’hui. Les bonnes mœurs observées et vécues avec abnégation hier se voient voler en éclats. La virginité n’est plus considérée à sa juste valeur. Le corps n’est plus qu’un simple moyen dont il faut tirer profit. Le mariage n’a plus autant de mêmes égards aujourd’hui que dans la société traditionnelle. La sexualité n’est plus vécue avec tous les ‘’garde-fous’’ possibles.

Selon différentes études, l’homme contemporain s’intéresse de moins en moins aux grandes vérités de l’existence, il est davantage indifférent face à l’essentiel de la vie ; il lui manque donc de certitudes fermes et des convictions profondes. Bref, il est tout simplement hédoniste.  Où va l’amener la santé de la reproduction ? Quel impact effectue-t-elle sur les mœurs encore en mutation certaine des hommes et de femmes d’Afrique ?

I.                 L’AVENEMENT DE ‘’SANTE SEXUELLE ET REPRODUCTIVE’’

  1. Qu’est-ce que la santé sexuelle et reproductive?

Conformément à la définition consensuelle adoptée par les 180 délégations présentes au Caire en septembre 1994, la ‘’santé sexuelle et reproductive’’ est un ensemble de services et de droits en matière de procréation[4]. C’est un lobby transnational qui, d’après Marguerite A. Peeters, a exercé ces dernières années des pressions de plus en plus fortes sur les décideurs politiques et les agents du développement pour qu’ils accordent priorité dans les cinq années à venir (après 1994) à l’OMD5 sur la ‘’santé maternelle’’, pourvu d’une cible sur la ‘’santé reproductive’’ signifiant en ordre principal ‘’accès universel à la gamme complète des contraceptifs’’.

Le programme de santé sexuelle reproductive a connu une longue évolution, surtout à partir de la révolution érotique au début du XIXe siècle. Selon ce courant de pensée, la femme devrait être libérée de tout ce qui pourrait l’empêcher de s’épanouir, d’opérer son choix librement et consciemment, en dehors de toute construction sociale ou culturelle imposée. Il faut savoir qu’après la Conférence du Caire (septembre 1994), le Sommet mondial pour le développement social de Copenhague (mars 1995) et la Quatrième Conférence mondiale des femmes à Beijing (septembre 1995), les conférences organisées ici et là pour célébrer le dixième anniversaire de la Conférence du Caire (Caire + 10) y sont revenues dans leurs objectifs en octroyant plus de droits sexuels et reproductifs encore à la femme et en poussant tous les gouvernements à mettre leur législation en conformité avec les résolutions des grandes Conférences internationales en matière de santé sexuelle et reproductive (cf. Résolutions et Programmes d’action adoptés au Caire, à Copenhague et à Beijing, réaffirmés en 1997 par la Haute Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, devant être appliqués jusqu’en 2015). Pour ne parler que de pays africains francophones, c’est à la Commission Economique pour l’Afrique quel’Assemblée générale des Nations Unies avait confié la mission de suivre, d’évaluer et de mobiliser des ressources pour l’application des résolutions de la Conférence du Caire en Afrique sub-saharienne[5].

En effet, la santé sexuelle et reproductive présente deux composantes. La première offre des services, soit un ensemble de méthodes de planification familiale, de vie sexuelle libre, de programmation des grossesses, de contrôle de la croissance démographique. Tous les Pays ont dû voter pour l’accès aux moyens de planning familial proposé par l’ONU, les agences onusiennes employant beaucoup d’argent à travers les différents projets de développement proposés pour faire pencher la balance de leur côté et convaincre les responsables politiques réticents[6].

Et la deuxième composante de la santé sexuelle reproductive se situe au niveau des ‘’droits’’: l’IPPF (Planning Familial) indique bien 12 droits ayant trait à la santé de la reproduction, parmi lesquels on peut trouver l’accès libre aux services de santé reproductive et le droit à l’orientation sexuelle, ce dernier cachant un objectif visant à donner sa légitimité juridique à l’homosexualité[7].

Marguerite A. Peeters analyse avec perspicacité l’épiphénomène de la révolution sexuelle en alléguant que depuis les années 1960s, l’Occident est rapidement passé de la commercialisation de la pilule contraceptive au début des années 60 à son utilisation aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du mariage, déclenchant la révolution sexuelle et une déferlante de drames anthropologiques et culturels: promiscuité des jeunes, développement d’une mentalité contraceptive menant à l’acceptation culturelle de l’avortement (dont Jean-Paul II dit qu’ils sont, ensemble avec la contraception, les ‘’fruits du même arbre’’ dans EV 13, car toutes les techniques contraceptives ont des aspects abortifs), crise du mariage et de la famille, paradoxal ‘’droit à l’enfant’’ (fertilisation in vitro : les diverses techniques de reproduction artificielle, d’après Jean-Paul II, sont ‘’moralement inacceptables car elles séparent la procréation du contexte pleinement humain de l’acte conjugal, EV 14), sécularisation de masse[8].

Il est curieux de voir que ce processus débouche aujourd’hui sur l’euthanasie, l’identité de genre, l’orientation sexuelle. Certains, peut-être trop pessimistes ou manquant d’espérance théologale, parlent de la ‘’fin de l’occident’’, la fin de la civilisation judéo-chrétienne occidentale. Il existe une logique dans ce processus, d’autant plus dangereux qu’il avance sans bruit, imperceptiblement. Un pas mène à l’autre, non dans la direction du développement humain intégral, mais de l’individualisme, la solitude, la fragmentation sociale, le désespoir; la sécularisation et autres maux restés inconnus de l’Afrique jusqu’à très récemment. Alors qu’il fallut cinquante ans à l’Occident pour passer de la contraception au programme d’action homosexuel, le processus révolutionnaire, surfant sur la base puissante de la mondialisation, est beaucoup plus vite en Afrique[9].

Comme on peut le remarquer, le protagoniste de cet envahissement de l’Afrique c’est la ‘’Gouvernance mondiale’’[10], à travers ce qu’elle nomme le programme de ‘’Santé et Droits Sexuels et Reproductifs’’, un programme d’action au cœur de la Conférence Internationale de l’ONU sur la Population et le Développement (Caire, 1994). Ce programme génocidaire, infecté de fond en comble par la perspective de la révolution sexuelle occidentale, visait l’accès universel à la ‘’santé et aux droits sexuels et reproductifs’’ dans les deux décennies allant de 1994 à 2014. Au droit virtuellement illimité à la ‘’liberté sexuelle’’ s’ajoute le ‘’droit de choisir’’, dont l’orientation se centre sur les individus: les femmes, les hommes, les jeunes (non-mariés) – non sur les personnes, les familles, les époux, les pères, les mères, les fils, les filles, les frères et sœurs[11].

De fait, qu’est-il arrivé 20 ans après l’application du programme de Caire en Afrique, s’interroge Marguerite A. Peeters en 2014? Nous dénonçons, souligne-t-elle, une véritable conjuration contre la vie évoquée par Jean-Paul II dans l’encyclique Evangelium vitae (12), car à ce programme païen, agaçant et égoïste, s’associent les dirigeants africains, les premières dames, des institutions continentales et régionales (Union africaine, SADEC, etc.), les grands leaders d’opinion, en faisant de l’applicabilité de leurs objectifs une condition de l’aide au développement à accorder aux États africains, camouflée par une vilaine solidarité, afin que ceux-là véhiculent l’éthique de la contraception, de la stérilisation et l’avortement, l’imposition de l’identité et du genre, la liberté de choix, etc.[12].

En plus, les mots comme ‘’droit de choisir’’, ‘’liberté de choix’’, ‘’l’orientation sexuelle’’, etc. ont entrainé une sérieuse déliquescence des mœurs et de l’éthique sexuelle, surtout chez les jeunes dont la promiscuité flagrante a engendré de ‘’vagabonds sexuels, victimes de la décadence occidentale’’ et un signe d’une dérive de la société africaine dont l’avenir est hypothéqué au nom de ce qu’on aime appeler sans vergogne ‘’modernité’’ (opposé à tradition), ‘’civilisation’’, ‘’ouverture ou intégration culturelle’’, ‘’mondialisation’’, etc. avec l’appui incontrôlé de l’urbanisation, de l’accès à l’internet, à la télévision et à la radio[13]. Examinons à présent les enjeux de la santé sexuelle et reproductive.

2)     Les enjeux des droits sexuels et reproductifs

Ruffin Mika M. nous fait remarquer que la question de la santé sexuelle et reproductive, définie lors de la CIPD (Conférence Internationale sur la population et le développement) qui s’était tenue au Caire du 5 au 13 septembre 1994 (Programme d’action, 7.1-7.48), conformément aux idéaux de la postmodernité, pose un certain nombre de problèmes éthiques. On ne peut pas ne pas y réfléchir en profondeur, tant ils touchent aux éléments axiologiques qui fondent l’engagement de l’Eglise en faveur de la justice et de droits de l’homme. Il y va, en outre, non seulement de la finalité même de l’éthique dans sa dimension universelle, mais aussi et surtout de l’avenir de l’humanité en tout homme, c’est-à-dire du respect du principe d’humanité comme critère d’évaluation éthique de toutes les actions humaines sensées assurer l’humanisation ou l’humanitude de l’homme[14].

Dans cette optique, les agents des SDSR, note Marguerite A. Peeters, déclarent poursuivre des objectifs de ‘’transformation sociale’’. Ils travaillent à l’avènement d’une société nouvelle et mondiale, se conformant à un modèle occidental qui, ces cinquante dernières années, a donné priorité au plaisir et aux ‘’droits’’ interprétés selon une perspective individualiste. Cette priorité a éclipsé l’amour gratuit, la promotion et la protection de la famille fondée sur le mariage entre un homme et une femme, la fidélité conjugale, la maternité et paternité et la célébration de la vie. En pratique, les SDSR non seulement dévaluent ces composantes universelles de l’existence humaine personnelle, mais les déconstruisent activement. De fait, soit on est pour la recherche égoïste du plaisir, soit pour le don désintéressé de soi et le bonheur: nul ne peut suivre deux maîtres à la fois[15].

Cependant, réfléchir sur ces droits sexuels et reproductifs est d’autant plus nécessaire qu’ils sont interprétés au sein de la communauté internationale, depuis la Conférence du Caire/1994, le Sommet mondial pour le développement social/Copenhague 1995, la Quatrième Conférence Mondiale sur les Femmes/Beijing 1995, l’adoption de la Charte de l’IPPF sur les droits en matière de sexualité et de reproduction/Londres 1995 et la déclaration de la Haute Commissaire des Nations unies/New York 1997 aux droits de l’homme, commefaisant partie intégrante de l’ensemble de droits inaliénables et universels de la personne (droits de l’homme). Sous cette perspective précise, c’est en tant que ‘’droits de l’homme’’ que le FNUAP, l’IPPF, la CEDAW (Convention contre toutes formes de discrimination contre les femmes), le WEDO (Women’s Environment and development Organization) et plusieurs ONGs néo-malthusiennes s’y appuient pour exiger la levée de tous les obstacles à la prestation de services de santé sexuelle et reproductive, y compris l’avortement, et pour en ouvrir l’accès à tous, c’est-à-dire aux couples, aux célibataires, aux adolescents et à toute personne en situation de violence sexuelle portant un risque de grossesse (viol, situation de guerre)[16].

On remarque donc que cela est conforme à l’idéologie féministe occidentale, lancée au début du 20ème siècle par des figures de proue telles que Margaret Sanger (1879-1966) et Simone de Beauvoir (1908-1986). Selon cette idéologie, il faut libérer la femme de l’esclavage de la reproduction (maternité comme esclavage), afin qu’elle possède son corps, en jouisse librement et contrôle sa vie, il faut qu’elle ait les moyens de choisir librement d’être mère ou non, de refuser l’enfant non désiré. Les droits sexuels et reproductifs ne sont pour ainsi dire rien d’autre que la mondialisation de l’idéologie féministe et de la révolution sexuelle occidentales dont les principes pragmatiques sont le ‘’libre choix’’ et l’‘’accès libre’’:

– ‘’accès libre’’ aux informations et aux services de santé sexuelle et reproductive afin de pouvoir choisir. L’accès est, dans ce sens, la première condition du libre choix. Il faut avoir accès à … pour pouvoir se déterminer. D’où les efforts d’offre des services de santé sexuelle et reproductive les plus divers et à tous, envisagée de 2004 à 2015, en toute confidentialité et sans distinction d’âge ni de statut matrimonial.

– ‘’libre choix’’ ou ‘’liberté absolue de choix’’ dans les domaines sexuels et reproductifs, qu’il s’agisse du choix de conjoint, de l’orientation et de la pratique sexuelle, ou qu’il s’agisse de se marier ou non, d’avoir ou non d’enfants, d’en fixer le nombre, le moment et l’espacement[17].

Il faut dire que le principe du ‘’libre choix’’ ou de la ‘’liberté absolue de choix’’ est aujourd’hui la boîte de pandore dans laquelle les nouveaux droits prennent naissance pour répondre à la variabilité des choix individuels en matière de sexualité et de reproduction. Définis souvent de manière consensuelle, à partir de concepts flous et ambivalents (gender, maternité sans risques, avortement sans risque, familles sous toutes ses formes, nouveaux types d’organisation familiale, etc.), après des discussions houleuses et partisanes sur leur sens et leurs implications concrètes, ces droits finissent rapidement par s’imposer comme faisant partie inaliénable, intégrale et indivisible de l’ensemble des droits fondamentaux de la personne humaine, et donc, par devenir culturellement, et voire juridiquement, contraignants[18].

Analysant la situation actuelle de la famille, le Pape François souligne que la liberté de choisir permet de projeter sa vie et de cultiver le meilleur de soi-même, mais si elle n’a pas de nobles objectifs ni de discipline personnelle, elle dégénère en une incapacité à se donner généreusement[19].

Pour raison d’histoire, le principe du ‘’libre choix’’ avait été défini lors de la Conférence internationale sur les droits de l’homme qui avait eu lieu à Téhéran en 1968, et précisé en détail en 1974 lors de la Conférence de Bucarest: « tout couple et tout individu a le droit fondamental de décider librement et en toute responsabilité du nombre de ses enfants et de l’espacement des naissances, d’être suffisamment instruit et informé de ces questions et de bénéficier de services adéquats en la matière »[20].

En outre, la particularité des Conférences du Caire/1994 et du Beijing/1995 est non seulement de l’avoir (principe du ‘’libre choix’’), dans le cadre du contrôle de la population mondiale, placé au cœur de la santé sexuelle et reproductive et indiqué que toute indifférence y afférent était cause de problèmes tels que la violence, la mortalité maternelle, les grossesses d’adolescentes, la croissance démographique, la féminisation de la pauvreté, les ravages du VIH/Sida et la violation des droits de la personne et de sa dignité, mais aussi de l’avoir appliqué aussi bien aux couples qu’aux individus, notamment les adolescents[21].

Du point de vue éthique, argumente Marguerite A. Peeters, le principe du ‘’libre choix’’ remonte très loin et se comprend en rapport avec l’histoire philosophique de la nouvelle éthique mondiale, que l’on peut qualifier d’éthique de la déconstruction: caractéristique de la postmodernité, initiée par la Critique de la raison pure de Emmanuel Kant (1781), structurée et vulgarisée par l’existentialisme athée de Jean-Paul Sartre (cf. L’Etre et le Néant) et de Simone de Beauvoir (cf. Le deuxième sexe), elle est conséquente du fait qu’il n’y a plus de donné (immutable et immuable), que rien n’est donné d’emblée (par la nature ou la révélation divine), que tout est ‘’construction sociale’’, peut donc être ‘’dé-construit’’ et ‘’re-construit’’ autrement, selon les exigences consensuelles du moment ou selon les choix arbitraires de l’individu ou de la société[22].

Dans le même ordre d’idée, Ruphin Mika Mfitzsche affirme que pour comprendre les enjeux de cette nouvelle ‘’theoria’’, à l’origine du déclin des cosmologies antiques et initiatrice de la méthode fondamentale de la science moderne (méthode expérimentale) et de la philosophie contemporaine (existentialisme athée), il faut considérer les conséquences au plan pratique, et elles sont considérables. Prenons la question de l’orientation sexuelle: dans la mesure où il n’y a plus de modèle ou d’a priori, tous les choix deviennent possibles. Toutes les réalités sexuelles, subjectives, partielles et autres se retrouvent d’égale valeur sociale, psychologique et morale. De l’hétérosexualité à la zoosexualité, en passant par l’homosexualité, la bisexualité, le lesbianisme et la transsexualité, il n’est plus question de différence entre ce qui est de l’ordre de l’identité sexuelle objective et universelle; cela ne s’avère qu’une régression pulsionnelle. C’est désormais du pareil au même. Le concept de ‘’familles sous toutes ses formes’’, introduit lors de la Conférence du Caire (1994), comme le combat actuel dans les pays occidentaux pour le mariage des homosexuels sous un statut juridique égal ou proche de celui du mariage hétérosexuel, est tributaire de cette logique[23].

Il faut dire que l’éthique de l’homme moderne (né du siècle des lumières), devenu ‘’la mesure de toute chose’’, est une éthique de l’équivalence de tous les choix, du primat de la subjectivité sur l’objectivité, et donc du relativisme moral. Ce que la postmodernité a, au nom de la recherche de la vérité (sur base du doute cartésien), renchéri dès le milieu du XIXème siècle en poussant la déconstruction des utopies morales à proclamer la mort de Dieu, après avoir balayé l’héritage de l’humanisme des lumières (la réalité des idéaux, d’un certain nombre des valeurs transcendantes)[24].

Il n’y a pas d’illusion à se faire. La logique vaudrait que l’éthique mondiale, fille aînée de la postmodernité selon Marguerite A. Peeters, soit tout autant postchrétienne que contre les valeurs familiales: en effet, en proclamant la mort de Dieu, elle récuse non seulement tous les idéaux de la morale et de la religion, mais aussi ceux de la famille traditionnelle. Pour preuve l’ensemble des droits sexuels et reproductifs dont les principes avaient été clairement énoncés au Caire en 1994 (CIPD, 7.1-7.48) et que l’IPPF avait repris à son compte en 1995, résumés en 12 droits et traduits en services pour garantir leur applicabilité et efficacité sur le terrain, s’opposent point par point aux 12 articles de la Charte des Droits de la Famille chrétienne définie par le Pape Jean-Paul II le 22 octobre 1983, conformément au vœu formulé par le Synode des Evêques sur Le rôle de la famille chrétienne dans le monde moderne en 1980 (cf. Proposition 42), repris en 1981 dans l’Exhortation Apostolique Familiaris consortio (n° 46)[25].

Au regard de tout ceci, une évidence: si on ne refuse pas dès maintenant d’absolutiser la liberté individuelle sans autre critère que le plaisir de jouir, si on ne cesse pas de jeter le discrédit sur tout ce qui en matière sexuelle contraint, interdit ou limite la liberté individuelle, comme l’enseigne la santé sexuelle et reproductive, il est à craindre que les pratiques sexuelles s’individualisent loin de tout critère d’objectivité et de progrès moral. Alors, il faudra s’attendre à la banalisation des atteintes contre la vie de l’enfant à naître, la dignité de la femme en tant que mère, le mariage et la famille. Par voie de conséquence, il s’ensuit que « les liens de la famille s’en retrouvent livrés à la précarité changeante des désirs et des circonstances »[26], devant des situations qui affectent sans ambages la conception de la famille aujourd’hui.

3)     Une force de persuasion silencieuse

Par ailleurs, chose beaucoup surprenante, la force de persuasion silencieuse mais coercitive de la nouvelle éthique mondiale est arrivée à s’imposer comme source d’inspiration des lois des États du monde, sous le dictat de la gouvernance mondiale, mais surtout comme base à partir de laquelle s’édifie le cursus d’éducation scolaire afin de véhiculer les valeurs de santé sexuelle et reproductive. La République Démocratique du Congo, mon pays, comme tant d’autres États du monde — et de manière particulière les états africains — n’échappe pas à la règle. Elle subit de fond en comble l’impulsion de la gouvernance mondiale, sous l‘égide de l’ONU et des Organismes internationaux (ONU-sida, ONU-Femmes, PNUD, FNUAP, etc.).

Et pour s’en convaincre, on pouvait lire sur la page d’accueil du site web du Ministère de l’Enseignement Primaire, Secondaire et professionnel (EPSP) de la République Démocratique du Congo ce qui suit (en 2017), à propos du Programme national d’éducation à la vie familiale et en matière de la Population (EVFmp):

« Ce programme est un outil pédagogique sans égal entre les mains de l’enseignant pour accompagner les élèves à atteindre la construction de leur identité, la clarification des valeurs, la recherche des solutions à leurs problèmes de santé sexuelle et de reproduction ainsi que le développement des compétences dans leur vie courante. Ce programme d’éducation à la vie familiale gravite autour des concepts et des principes internationaux sur l’éducation sexuelle d’où découlent les objectifs d’apprentissage et les thèmes permettant le développement des compétences pédagogiques de base ainsi que celles qui guident notre vie au quotidien (les compétences de vie courante) »[27].

Ce qui devrait attirer notre attention ici est le fait que la nouvelle éthique mondiale, infectée par le sécularisme occidental, soit devenue ou adoptée comme la source d’inspiration qui édicte des concepts et des principes d’orientation d’éducation scolaire dans presque tous les pays du monde. Il faudrait vite penser à proposer une alternative d’abord pour nos écoles catholiques afin de corriger cette orientation trop risquée.

Le plus frappant dans les pays africains, minés par la misère et la pauvreté, est qu’on est distrait, on est préoccupé par des questions politiques à causes des régimes non démocratiques établis sans idéal de bonne gouvernance, pendant que les lobbies homosexuelles travaillent en coulissent et avec la complicité des gouvernants et des leaders d’opinion à l‘implantation idéologique de la santé sexuelle et reproductive, jusque dans les écoles. Alors que l’on prétend que le « programme d’éducation à la vie permet à l’élève d’avoir la possibilité de prendre de bonnes décisions, d’opérer de bons choix dans différentes circonstances et situations de la vie et de s’assumer avec responsabilité dans toutes ses relations car la jeunesse d’aujourd’hui est l’espoir de demain »[28], sur terrain, le constat est amer. On assiste à la promotion d’une éducation sexuelle relâchée soutenue par une éthique permissive que l’on transmet, à dessein ou par contrainte, aux adolescents. Quelle exubérance ! Ainsi convient-il de dénoncer cette conspiration contre la jeunesse africaine, car notre avenir commun en dépend.

  • Quatre stratégies principales de propagation de la nouvelle éthique mondiale

Enfin, redisons-le autrement avec Théophile Akoha, éthicien et professeur à l’Institut Pontifical Jean-Paul II de Cotonou, cette nouvelle éthique mondiale vise à substituer l’humain à Dieu et à supprimer la différenciation sexuelle entre l’homme et la femme (complémentaires), au travers de quatre (04) stratégies principales:

– La stratégie sémantique par laquelle les promoteurs de la nouvelle éthique mondiale utilisent à dessein des vocabulaires précis qui mettent davantage l’accent sur les droits plutôt que sur les devoirs.

– La stratégie médiatique qui instaure beaucoup de propagande autour de ces deux concepts (Santé de reproduction et Genre).

– La stratégie juridique par le biais de laquelle les instigateurs de la nouvelle éthique mondiale exercent des pressions sur les Parlements des différents pays pour que des lois soient votées en faveur desdits concepts.

– La stratégie offensive qui se note à travers la myriade d’ONGs promotrices de l’un ou l’autre des pans de cette idéologie ainsi que l’existence de divers programmes télévisés visant à encourager la Santé de reproduction et le Genre[29].

 Pour être précis, la nouvelle éthique mondiale s’exprime à travers un nouveau langage qui s’est imposé mondialement. En voici quelques exemples:

« Droits des enfants, éducation pour tous, éducation par les pairs, développement durable, qualité de vie, bien-être pour tous, droits des générations futures, toutes les formes de vie, égalité des sexes, perspective du genre, santé reproductive, avortement sans risques, santé maternelle, bonne gouvernance, gouvernance mondiale, habilitation des femmes, démocratie participative, participation de la société civile, acteurs non étatiques, partenariats, sécurité alimentaire, discrimination sexuelle, identité sexuelle, éducation sexuelle, éducation civique, différences sexuelles, stéréotypes sexistes, sensibilité au genre, familles sous toutes ses formes, droits sexuels, diversité culturelle, diversité sexuelle, construction sociale, déconstruction des stéréotypes, autonomisation de la femme, campagne de sensibilisation, agents de changement, liberté de choisir, choix informé, construction de consensus, construction de capacité, principe de non-discrimination, principe d’égalité, bonnes pratiques, appropriation nationale… »[30].

Il est impérieux de connaitre l’histoire de la nouvelle éthique, qui remonte le cours du long processus de révolution culturelle occidentale, qui depuis des siècles marche main dans la main avec la sécularisation. En tant que système, la nouvelle éthique s’est constituée principalement à travers la construction du nouveau consensus mondial. Ce consensus est faux, dans la mesure où son contenu a été fabriqué, non par les peuples et leurs gouvernements, mais par des experts idéologues exerçant leur influence au sein de la gouvernance mondiale et se rattachant à l’intelligentsia postmoderne qui a mené la révolution culturelle occidentale dans les années 1960- 70. Il est faux car un langage séduisant mais flou, jamais clairement défini, cache aux majorités et même aux gouvernements dans les pays en voie de développement les intentions idéologiques des experts, encore aujourd’hui[31].

En pratique, la nouvelle éthique s’accompagne d’une révolution politique silencieuse, qui a transféré le pouvoir de décision réel des peuples et de leurs gouvernements vers la gouvernance mondiale, ses experts et groupes de pression. Cette révolution s’est faite de l’intérieur, maintenant en place la façade des institutions démocratiques. Peuples et gouvernements appliquent aujourd’hui les programmes de la gouvernance mondiale dans un esprit de conformité aberrant: les gouvernements africains, sans exclure l’Union Africaine, ne parlent-ils pas tous, par exemple, de la perspective du genre, de la santé reproductive ? Ces concepts idéologiques ne viennent pas des peuples africains. N’est-il pas dès lors hypocrite de parler d’autodétermination des peuples, de ‘’démocratisation’’ de l’Afrique ? L’ère postcoloniale n’est-elle pas déjà en réalité néo-colonialiste ?[32]

Phénomène complexe, la nouvelle éthique mondiale nous intéresse dans le cadre de cette analyse, lorsque nous nous interrogeons sur  le maintien et la croissance de la foi en Afrique. Un aspect du nouveau langage de la nouvelle éthique est en effet révélateur et décisif dans notre discernement: il s’agit de la marginalisation, voire de la complète exclusion de son système des mots de la révélation judéo-chrétienne[33], dont beaucoup ont d’ailleurs été utilisés de tous temps par les grandes traditions culturelles et sont universels. Plus nous faisons attention au phénomène subtil de la disparition silencieuse du langage de la révélation judéo-chrétienne de la sphère publique, plus nous réalisons à quel point la civilisation occidentale, en cours de mondialisation, s’est éloignée de sa tradition judéo-chrétienne. Avons-nous remarqué que ce même phénomène concernait déjà aussi l’Afrique ? Chaque disparition d’un des mots de la révélation a des conséquences personnelles et sociales qui lui sont spécifiques. Elle contribue à la sécularisation du monde. L’analyse attentive de la situation révèle, de plus, que le nouveau langage est un processus de substitution. Il tend à occuper toute la place et à ne plus tolérer certains mots: parler de vérité, de famille (au singulier), d’autorité parentale, de mariage entre un homme et une femme, de virginité est désormais souvent taxé de fondamentalisme en Occident[34].

Comme le stigmatise Marguerite A. Peeters, ce nouveau langage révèle donc le laïcisme de la nouvelle éthique, qui ne se fonde pas sur la révélation judéo-chrétienne et ne tend pas vers elle. Elle aborde les questions humaines, sociales, environnementales, économiques, éthiques dans une perspective exclusivement laïque, immanente, radicalement autonome de la révélation. La nouvelle éthique est repliée sur elle-même: son point de départ et d’arrivée est un projet laïc, fermé à la transcendance divine, laïciste, et profondément contraire à l’âme africaine ! Elle a déjà montré de bien des manières son caractère dur, intolérant, idéologique. Mais elle séduit par ses manières d’opérer — subtiles, quasi imperceptibles, ‘’douces’’, ‘’amicales’’, ‘’consensuelles’’— à travers des ‘’partenariats mondiaux’’ ou des approches se disant ‘’sensibles aux cultures’’. Elle se présente sous le jour séduisant de la modernité occidentale attirant irrésistiblement les jeunes. Ses normes semblent répondre à ce à quoi aspirent légitimement les peuples aujourd’hui, comme par exemple, l’aspiration à un plus grand respect de la dignité de la femme et de la nature, au progrès et au développement, à la participation des peuples à la mondialisation. Mais elle offre de ces aspirations universelles une dangereuse caricature. Elle prend en otage certains changements bons et nécessaires et les enferme dans un carcan laïciste[35].

  • Une prise de conscience chrétienne

Avec raison Placide Tempels avait qualifiait, en son temps, cette éthique laïque de ‘’mort-né rationnel’’ de l’Occident colonisateur auquel les Bantu d’Afrique ne pouvaient nullement prêter quelques chances de vie[36]. C’est-à-dire que les Bantu —comme les Négro-africains en général — ne sont pas prêts, jusqu’à ce jour, à se laisser duper par des idéologies déshumanisantes et impérialistes.

Voilà qui oblige les chrétiens à une prise de conscience sévère face à ce nouveau langage. Ne parle-t-on pas aujourd’hui de partenaires plutôt que d’époux ; de qualité de vie ou de bien-être plutôt que de bonheur, de joie ou de plénitude ; d’égalité des sexes plutôt que de complémentarité homme-femme ; de droit de choisir ou de droit à l’erreur plutôt que de bien et de mal ; de santé reproductive plutôt que de procréation ; de droits des enfants plutôt que d’obéissance filiale ou d’autorité parentale aimante ? Malheureusement, et c’est fort regrettable, les mots de la révélation, avec leur contenu, disparaissent ainsi subrepticement du vocabulaire de plusieurs chrétiens. Sans s’en apercevoir, ils se laissent entraîner sans discernement par l’impulsion laïque de la nouvelle éthique, se laissent séduire et gouverner par ses propositions alléchantes, entrent dans l’esprit de la nouvelle éthique, glissent loin des exigences de la foi, se laïcisent. Et le sel s’affadit[37].

Enfin, nous ne pourrions clore ce chapitre sans expliquer avec insistance en quoi cette éthique ou cette culture est nouvelle. C’est bien en raison de ce qu’elle tend et cherche à remplacer un ordre ancien, une culture ancienne par un nouvel ordre. La nouvelle éthique mondiale veut instituer une nouvelle culture par rapport à la morale issue de la religion chrétienne ou de valeurs traditionnelles de nos cultures. Les ingénieurs de la nouvelle éthique mondiale caressent des prétentions insatiables de changer l’ordre ancien ; cet ordre ancien, c’est tout l’ensemble de vérités et valeurs religieuses, culturelles et morales, en banalisant tous les interdits attachés à ces valeurs. Par exemple, là où il était interdit d’avorter au nom de la religion ou de la culture, il faut supprimer cette morale ancienne, en cherchant à faire de l’avortement un droit reproductif de la femme. Ainsi, une valeur telle que le respect sacré de la vie humaine est supprimée au nom du droit reproductif de la femme enceinte. Il faudra pour cela forcer les pays pauvres à adopter et ratifier un certain Protocole de Maputo[38]; en retour, ils bénéficieraient de grands financements et d’aides en coopération bilatérale au développement, parce qu’ils seraient désormais de bons élèves dans l’école de droits de l’homme et de la femme, dont il faut toujours préciser le contenu ![39]

Voici un autre exemple : là où le mariage n’était que l’union naturelle entre un homme et une femme, il faudra commencer par montrer que ce mariage hétérosexuel est une pure invention socioculturelle, que la société peut changer à son propre gré. Et de là, on ouvre la porte à d’autres unions de fait, appelées ‘’familles sous toutes ses formes’’, pour lesquelles on revendique une reconnaissance juridique. Ces ‘’familles sous toutes ses formes’’ sont notamment des unions homosexuelles ou lesbiennes, ou des familles comprenant des individus clonés ou fruits d’inséminations artificielles. Il faudra ensuite argumenter que dans le mariage, la femme est considérée comme une machine de reproduction, surtout dans les pays pauvres, où certaines religions monothéistes accordent une valeur sacrée à la famille, à la reproduction, à la vie humaine, etc. On ajoute que la maternité, c’est-à-dire le fait pour une femme de devenir mère la condamne de fait à la pauvreté, en ajoutant à cela que la surpopulation est l’une de principales causes de pauvreté dans les pays du Tiers-Monde, et que cette surpopulation menace l’équilibre socio-économique du moins, mais plus précisément des nations riches. Il faudra alors encourager une culture antinataliste, c’est-à-dire une culture où on effacerait la natalité par la promotion des contraceptifs, abortifs ou préservatifs, en argumentant parfois que les avortements clandestins constituent la principale cause de mortalité maternelle, ou que les préservatifs constituent la meilleure sécurité contre le SIDA, ce qui est très discuté, et qui ouvre plutôt la porte à la prostitution et à l’infidélité conjugale ! Autant de modèles proposés à la jeunesse dans cette mondialisation culturelle, mais qui ne cadrent point avec la morale chrétienne et celle de nos cultures dans lesquelles la jeunesse doit être éduquée.[40]

Nous terminons avec une citation très édifiante de Marguerite A. Peeters: « A notre identité filiale, à la civilisation de l’amour, aux dons de Dieu à l’Afrique acquérant une dimension prophétique s’oppose aujourd’hui une éthique laïciste fondée sur le rejet du Père, sur la mort de Dieu proclamée par l’Occident depuis plus d’un siècle et qui a eu pour effet la mort de l’homme, en passant par la mort du père (considéré comme source de notre oppression), la mort de la mère (qu’un courant féministe dominant a voulu libérer de l’’’esclavage de la reproduction’’, selon la formule tristement célèbre de Margaret Sanger, fondatrice du Planning Familial International), la mort de l’époux que l’on a remplacé par des partenaires multiples, et la mort de l’enfant, que l’on considère comme un simple citoyen, non plus comme le fils ou la fille d’un père et d’une mère. La nouvelle éthique mondiale veut nous réduire à des citoyens de ce monde, détenteurs de pouvoir et de droits individuels, jouissant d’une ‘’qualité de vie’’ optimale, libres de choisir ce qui leur plait sans tenir compte de la loi divine, contrôlant leur vie et leur destinée, s’auto-réalisant dans une autonomie radicale, partenaires fidèles de la gouvernance mondiale et de ses projets mortifères »[41]. Face à cette invasion idéologique, l’Afrique, comme un grand baobab que secoue un vent violent sans pouvoir le renverser, est appelée à une résistance farouche au nom de ses racines et ses valeurs fondamentales connues depuis la nuit de temps comme force, comme vie, comme tradition, comme culture, comme anthropologie de la vie.

II. UN CRI D’ALARME FACE A LA PROPAGATION D’UN PROGRAMME IDEOLOGIQUEMENT AGRESSIF IMPOSE A L’AFRIQUE

De ce qui précède, j’ose croire qu’évangélisation et témoignage sont intimement liés. « Les Pères du Synode pour l’Afrique, en attirant l’attention sur les dimensions ecclésiales de ce témoignage, déclarèrent solennellement : ‘’L’Église doit continuer à jouer son rôle prophétique et à être la voix des sans-voix »[42]. Et davantage, insistent-ils, de nos jours, dans une société pluraliste, c’est surtout grâce aux engagements des laïcs dans la vie publique que l’Église a le meilleur impact[43].

  1. Entre idéologie et réalisme

Dans cette étude, l’objectif principal que je me propose est de donner aussi bien aux parents et éducateurs, aux agents de développement, aux décideurs politiques qu’aux pasteurs des Églises africaines, une vue d’ensemble de ce que les agents transnationaux de la santé et des droits sexuels et reproductifs ont accompli en Afrique depuis la Conférence du Caire (1994), et de leurs objectifs et priorités stratégiques mis en avant pour la période de 1994-2014 et même au-delà. Avec espoir que cette interpellation fasse droit à une prise de conscience collective de tous les gouvernants africains, membres d’Église comme dirigeants étatiques, dans l’appréhension des défis auxquels les confronte directement l’application du programme d’action du Caire, autant que la Déclaration des droits sexuels à l’analyse et les autres instruments internationaux comme la Convention pour l’Élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des Femmes (1979), la Convention des droits de l’enfant (1989), la Charte Africaine des droits de l’homme et des peules relatif aux droits des femmes et le Protocole de Maputo, qui est un protocole additionnel à cette charte (2003), la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (1995), la Charte africaine de la jeunesse (2006), etc.

En effet, L’Église universelle est profondément blessée par la destruction humaine, culturelle et spirituelle que ce programme, agressivement imposé à l’Afrique, opère rapidement sur le bien aimé continent. Mais avec la force de Dieu, les Africains peuvent résister à une décadence venue d’ailleurs, rester qui ils sont et sont appelés à être, et jouer leur rôle spécifique et irremplaçable dans la civilisation de l’amour. Oui, ils le peuvent »[44].

Ce cri d’alarme d’une européenne comme Marguerite A. Peeters, spécialiste de la nouvelle éthique et de la gouvernance mondiale depuis 1994 et consultant du Conseil Pontifical de la culture, vient à point nommé, car la propagation de l’idéologie des agents des ‘’Santé et Droits Sexuels et Reproductifs’’ (SDSR) se fait avec des méthodes qui échappent au commun des mortels en Afrique où, cependant, les réalisations formelles des agents des SDSR au niveau des institutions africaines et leur influence sur les politiques nationales et locales restent largement inconnues des populations. Et dans la mesure où celles-ci en sont conscientes, elles se sentent politiquement dépourvues et sans pouvoir. Une opposition organisée n’a pas encore vu le jour en Afrique, du moins pas à la même échelle qu’en Occident. Du reste, l’on peut concevoir que l’opposition en Afrique devrait prendre une autre forme, plus culturelle, qu’en Occident, où elle reste essentiellement politique[45].

Dans ce rouage de l’« émancipation de la sexualité par rapport à la nature », qui « s’est retournée depuis contre l’homme lui-même », le constat est certes regrettable : « toutes les formes de satisfaction de l’instinct sexuel, sans plus pouvoir distinguer les formes déviées des authentiques, sont considérées comme des droits individuels, dont la légitimité doit être reconnue également sur le plan social. Le divorce devient un droit individuel et le mariage se transforme en un contrat de droit privé (une espèce de joint venture). La libre cohabitation possède les mêmes droits que le mariage, tout comme l’homosexualité et la bisexualité. L’État doit reconnaître toutes ces modalités d’exercice de la sexualité ; la médecine doit s’engager à les rendre techniquement possibles, sans risques pour la santé ; la morale doit se limiter à respecter rigoureusement la conscience de l’individu et à mouvoir la tolérance, à moins que ne soit violée l’autonomie d’une autre personne »[46].

  • Méthode utilisée : manipulation des masses

Qui plus est, « les agents de la révolution sexuelle mondiale, cependant, ont réalisé la plupart de leurs avancées non à travers des processus visibles et formels, mais subrepticement, de manières subtiles, parallèles, ‘’molles’’ (soft), informelles, telle que la manipulation sémantique, les approches participatives, la facilitation, la consultation de la base, la démocratisation, la construction de consensus, le ‘’dialogue constructif’’, les campagnes de sensibilisation’’, les ‘’partenariats multipartites’’. Ces deux dernières décennies. Ces nouvelles approches politiques, conceptuelles forgées depuis les années 1960-70, se sont transformées en paradigmes opérationnels de la gouvernance mondiale. Elles se sont montrées extraordinairement efficaces dans la mondialisation de la révolution culturelle occidentale. Elles imbibent déjà le tissu politique et sociétal africain »[47].

Par ailleurs, la surprise est d’autant plus grave, lorsque la force de persuasion silencieuse mais coercitive de la nouvelle éthique mondiale est parvenue à s’imposer comme source d’inspiration des lois des États du monde, sous le dictat de la gouvernance mondiale, et surtout comme base à partir de laquelle s’édifie le cursus d’éducation scolaire afin de véhiculer les valeurs de santé sexuelle et reproductive. La République Démocratique du Congo (R. D. C.), mon pays, comme tant d’autres États du monde – et de manière particulière les États africains – n’échappe pas à la règle. Elle subit de fond en comble l’impulsion de la gouvernance mondiale, sous l‘égide de l’ONU et des Organismes internationaux (ONU-sida, PNUD, FNUAP, etc.).

  • L’enrôlement des leaders politiques, civils et religieux africains dans la propagande

N’assiste-t-on pas, dans ce pays d’Afrique centrale – la R. D. C. –, à l’enrôlement des leaders politiques et d’opinion, des artistes et parfois des pasteurs et des religieux au service de la promotion du droit à la santé sexuelle et reproductive et du Protocole de Maputo, un instrument idéal en faveur de la légalisation de l’avortement qui pose l’égalité de sexe comme un principe fondamental et reconnaît les femmes en tant qu’être humain individuel et non en tant que membres de la communauté ou de la famille (cf. Art. 14 intitulé : « Droit à la santé et au contrôle des fonctions de reproduction » dont l’alinéa 2.c engage les États à « protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé » ) ?[48].

Devant cette crise anthropologique émanant de la mondialisation culturelle risquée dans laquelle toutes les nations du monde sont engagées, avec ou sans leur consentement, je voudrais ici épingler, en passant, une proposition chrétienne susceptible de servir de tremplin d’ordre éthique, et même d’alerte, afin de redorer le blason passablement terni de la société en perte des repères moraux et anthropologiques. C’est l’anthropologie de la différence sexuelle avec en toile de fond la reconstruction de la féminité et de la masculinité. Je développe ces notions d’une actualité plus percutante dans un ouvrage qui paraûtre avant la fin de cette année. Néanmoins, au cœur du débat moral contemporain, l’Église a un noble et urgent devoir : celui de « proposer son discernement et son enseignement, afin d’aider l’homme sur le chemin vers la vérité et vers la liberté ». Aussi rappelle Jean-Paul II, « promouvoir et garder la vie morale, c’est la tâche confiée par Jésus aux Apôtres (cf. Mt 28, 19-20), tâche qui se poursuit dans le ministère de leurs successeurs »[49]. Quant à Ecclesia in Africa, l’évangélisation doit dénoncer et combattre tout ce qui avilit et détruit l’homme. Cela fait partie de sa fonction prophétique (n° 70, §3).

  • Construire la conscience éthique des peuples

N’oublions pas que tout cela engage un travail d’éducation et de formation à la base pour « construire la conscience éthique »[50] des peuples. « C’est pourquoi, toute éducation vraie se fonde sur une proposition des valeurs »[51]. La mission d’engendrer une humanité nouvelle et de l’accompagner dans la pleine réalisation de sa vocation, l’Église est convaincue la tenir de Jésus-Christ, son divin fondateur (Cf. Jean XXIII, Mater et Magistra 1961). Une véritable éducation doit poursuivre la maturité intégrale de la personne. Cette maturité s’avère un long processus toujours inachevé et en pointillé. Il implique le développement harmonieux de la personne qui prend en charge ses aptitudes physiques, intellectuelles, morales et spirituelles. Il veille également à une éducation sexuelle positive, prudente et progressive de l’enfant (cf. Gravissimum educationis 1-2)[52]. N’oublions pas non plus que ce rôle prophétique de l’Église est d’actualité et appelle à la formation de la conscience des fidèles chrétiens par la doctrine sainte et certaine de l’Eglise[53].

Je pourrais, par ailleurs, emprunter une métaphore au feu Cardinal Caffara qui affirmait qu’il existe des aliments qui, lorsqu’ils sont ingérés, peuvent être métabolisés sans créer de problèmes, que ce soit dans l’immédiat ou ultérieurement ; ils ne provoquent pas non plus d’ingestions ni d’augmentation du taux de cholestérol. Il existe, d’autre part, des aliments qui, lorsqu’ils sont ingérés, sont d’une digestion difficile. Il existe enfin des aliments qui sont nuisibles pour l’organisme, y compris à long terme[54]. La tradition africaine a ingéré la vision occidentale du monde ; depuis lors, cette décision a créé de graves problèmes de métabolisme. Ainsi en est-il de l’Afrique (organisme) face à certaines valeurs culturelles occidentales (aliments) véhiculées et/ou imposées à la consommation des Africains. Il s’agit de la libéralisation sexuelle (jusqu’à l’éducation sexuelle aux mineurs), de l’avortement, de la négation de la différence sexuelle homme-femme, etc.

Assurément, la « mise en évidence de certaines valeurs morales pour le contexte africain renseigne sur l’importance d’une éducation intégrale, capable de prendre en charge les défis propres du contexte africain. Un dialogue de fond, ouvert et respectueux sur les enjeux d’une éducation appropriée s’avère d’une importance on ne peut plus vitale. L’éducation doit contribuer à former des Africains à relever de manière digne, les défis de leurs sociétés dans le cadre d’une société globalisée. Contre toute forme d’obscurantisme favorisé par le foisonnement des croyances et des idéologies perverses et dénaturantes distillées à travers des organisations de toutes sortes, le Magistère insiste avec raison sur le dialogue. C’est fort de cet état des choses et en connaissance de cause que le pape Benoît XVI demande aux évêques d’Afrique de ‘’soutenir une pastorale de l’intelligence et de la raison qui recrée une habitude de dialogue rationnel et d’analyse critique dans la société et dans l’Église » (Africae munus 134)[55].

L’Afrique a tout avantage à puiser dans son patrimoine culturel riche en enseignement sur la considération et la dignité de la sexualité. Chez les négro-africains, le bien ultime auquel tend la sexualité n’est pas une simple satisfaction personnelle et individualiste ni même un épanouissement personnel, mais la construction d’une communion féconde des personnes, qui exprime, au niveau des créatures humaines, le grand mystère de la vie trinitaire divine. Outre cela, la sexualité y est ordonnée au mariage dont l’objectif principal est de pérenniser l’espèce humaine et/ou permettre la survie du clan.

Alors que la première Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Évêques lançait un appel vibrant à tous les fidèles chrétiens pour être témoins du Christ dans un monde en situation des mutations rapides (Ecclesia in Africa 127-130), je crois qu’aujourd’hui encore, 25 ans après la célébration de cet événement ecclésial qui a été ‘’un véritable kairos de grâce’’, le contexte africain n’a pas du tout changé. Nous nous trouvons devant des défis nouveaux et parfois de situations préoccupantes qui nous obligent à repenser notre mission évangélisatrice en tant qu’Église missionnaire (n° 8). Faut-il le redire, cette mission est prophétique, c’est-à-dire au service de la vérité révélée que l’Église doit enseigner et dont elle doit témoigner dans une fidélité entière à la source divine de la vérité.

André Kabasele Mukenge, théologien bibliste congolais, nous rappelle sans réserve que les jeunes ont un besoin impérieux de modèles et de projets pour se construire humainement et spirituellement. Aussi vrai que chaque génération a besoin des acquis des générations précédentes, qu’il s’agisse de l’expérience venant de l’histoire humaine de la connaissance du monde où nous vivons ou des valeurs morales et spirituelles. On se souviendra, donc, de la célèbre phrase de Paul VI : ‘’Notre monde d’aujourd’hui a plus besoin de témoins que de maîtres. Si le monde écoute des maîtres, c’est parce que ces maîtres sont eux-mêmes des témoins’’[56].

  • L’apport pragmatique d’Ecclesia in Africa : résister à la dictature du relativisme moral

Je ne saurai terminer ma réflexion sans répondre à l’une de grandes interrogations dans le cadre d’une pareille étude. En quoi la relecture d’Ecclesia in Africa aujourd’hui pourrait-elle aider les Africains à résister à la dictature du relativisme moral liée à la propagation d’une éthique sexuelle permissive qui lui est imposée, comme instrument de la mondialisation culturelle occidentale et de la nouvelle éthique mondiale en vogue ? On ne le dira jamais assez ! Les Pères synodaux avaient pris soin d’examiner toutes ces situations auxquelles la société africaine fait face et avaient envisagé des voies de sorties. Ainsi donc, l’Assemblée synodale, tout en insistant sur l’importance du témoignage chrétien, avait mis en exergue entre autres :

  1. L’appel lancé à chaque famille[57] chrétienne africaine à être le lieu privilégié de témoignage évangélique, une véritable ‘’Église domestique’’, une communauté qui croit et qui évangélise ; ainsi que le rôle des parents dans l’éducation chrétienne des enfants. Donc la famille chrétienne est appelée à être une cellule puissante de témoignage chrétien, dans la société marquée par des mutations rapides et profondes (n° 92), car l’avenir du monde et de l’Église passe par la famille (Familiaris consortio 75), en tant que cellule de la communauté ecclésiale vivante et donc de la société, premier pilier de l’édifice social. C’est pourquoi le Synode considère l’évangélisation de la famille africaine comme une des priorités majeures, si l’on veut qu’elle assume à son tour le rôle de sujet actif dans la perspective de l’évangélisation des familles par les familles (Ecclesia in Africa 8).
  2. La redynamisation des Communautés ecclésiales vivantes comme les lieux de leur propre évangélisation, de prière et d’écoute de la parole de Dieu, de responsabilisation des membres eux-mêmes, d’apprentissage de la vie en Église, de réflexion sur les divers problèmes humains à la lumière de l’Évangile (n° 89).
  3. La formation biblique et pastorale des fidèles chrétiens qui deviennent des décideurs dans les multiples tâches au niveau de la société, afin qu’ils soient des témoins fidèles dans leur milieu d’action (nos 90 et 108), au moment où la Gouvernance Mondiale passe par les leaders politiques et autre agents sociaux pour en faire des chantres du Programme de ‘’Santé et Droits sexuels et Reproductifs’’ (SDSR), jusqu’à influencer des législations nationales, parfois contre les bonnes mœurs et la culture africaine. « Les fondements d’un bon gouvernement doivent être établis sur la saine base de lois qui protègent les droits et définissent les devoirs des citoyens » (n° 112).

D’où la nécessité de penser à une catéchèse et à une pastorale des droits de l’homme devant former les fidèles chrétiens à s’engager au service des droits de l’homme et des peuples[58], tant la problématique de ma réflexion repose sur l’interprétation et/ou la considération des droits sexuels comme des droits humains en matière de sexualité réalisée subrepticement par l’IPPF.Et la pierre d’achoppement de la crise aussi bien éthique qu’anthropologique actuelle relève des « relations complexes, voire dialectiques entre les normes sociales, les normes légales et les idéaux de liberté individuelle sur un substrat de droits humains universels et inaliénables qui sont mises en évidence à travers les exemples des mutilations génitales féminines, des mariages d’enfants, des droits sexuels et reproductifs »[59]. Les commissions Justice & Paix devraient être redynamisées pour travailler avec assiduité à la promotion de la justice et la solidarité (n° 105).

  1. L’insistance sur la qualité de la formation des futurs prêtres (n° 95), et le rappel aux diacres (n° 96), aux prêtres (n° 97) et aux évêques (n° 98) des motivations claires dans l’exercice de leurs tâches respectives en tant que pasteurs, à l’instar du Christ Bon Pasteur.
  2. Une pastorale qui redonne l’espoir aux jeunes qui sont les plus exposés et subjugués par des valeurs culturelles d’emprunt qu’ils accueillent comme signe de progrès et de civilisation au point de tomber dans l’aliénation et le déracinement culturel aux conséquences démesurées. Par contre, le Synode leur demande de prendre en charge le développement de leurs nations, d’aimer la culture de leur peuple et de travailler à sa redynamisation, fidèles à leur héritage culturel, en perfectionnant leur esprit scientifique et technique et surtout en rendant témoignage de leur foi chrétienne (nos 115 et 93). Ce qui rejoint l’orientation conciliaire sur ‘’le droit pour les enfants et les jeunes gens d’être incités à apprécier sainement les valeurs morales avec une conscience droite et à les embrasser dans une adhésion personnelle, et tout, autant, à connaître et aimer Dieu plus parfaitement’’ (Gravissimum educationis 1). Personne ne peut dénier aux jeunes le droit d’être éduqués selon leurs valeurs morales et religieuses ou celles de leurs familles[60].
  3. La mission éducatrice de l’Église dans le contexte des pays d’Afrique est aussi soulignée par la première Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique. Elle sera rejointe par la deuxième Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique de 2009. Les deux Exhortations post-synodales publiées par le saint pape Jean-Paul II et son successeur Benoît XVI ont mis un accent particulier sur l’école catholique. Elles lui assignent la mission d’être un lieu d’évangélisation, d’éducation intégrale et d’apprentissage du dialogue entre les jeunes (Ecclesia in Africa 109). Dans Africae munus, le Magistère a souligné le rôle que des universités et des instituts catholiques doivent jouer dans la société africaine (n° 135)[61].

Somme toute, sans pour autant tomber dans le piège d’une analyse partiale et inféodée à une tendance idéologique, je ne m’empêcherais pas de relever que la crise morale dont souffre l’Afrique n’est pas que l’apanage de l’invasion des valeurs culturelles occidentales ou de la nouvelle éthique mondiale. Elle est aussi le fait d’une société africaine qui s’est éloignée, en toutes ses modalités, des références morales des traditions bantoues, nilotiques, arabo-musulmanes, berbères, etc., et se trouve encore à mille lieues de l’idéal de vie chrétienne. Les valeurs éthiques semblent s’être retirées, non pas de manière accidentelle, mais parce que toutes les facettes de la vie sociale semblent converger vers un tel retrait. En fait, cette crise se caractérise par la vacance d’un idéal collectif, le refus de tout questionnement originaire vers les fondations, l’incapacité de transcrire les valeurs chrétiennes dans le vécu quotidien[62].

Face à ce que Mgr Anatole Milandou, Archvêque de Brazaville, appelle la dépravation des mœurs ou la déchéance qui est une perte d’équilibre, nos sociétés africaines n’ont pas encore trouvé l’équilibre qu’il faut entre les valeurs venant de la tradition, les éléments de la culture moderne de type occidental, et le message chrétien[63]. Quant à Mgr Marcel Madila, Archevêque de Kananga, cette crise qui a des effets visibles est surtout morale, c’est-à-dire qu’elle touche à ce qui confère un sens profond à nos actions et à notre vie. Et pourtant nous ne vivons pas dans un monde sans éthique. Nous dirions même qu’il n’y a jamais eu, dans l’histoire de l’humanité, autant de valeurs en présence. Il y a toujours des valeurs. La question, lui semble-t-il, n’est pas tant de l’absence des valeurs que de la crise du sens même des valeurs et de l’aptitude à se gouverner. À vrai dire, ce que nous ne savons plus, c’est comment nous orienter dans cette confusion ou pluralité (profusion) des valeurs[64]. D’où importe-t-il de souligner que dans pareil contexte, éduquer aux valeurs est une tâche difficile mais pas impossible[65]. En fin de compte, j’estime, pour ma part, que la tâche de l’évangélisation en profondeur est actuelle et s’impose avec acuité à l’Église africaine du 21ème siècle.

CONCLUSION

Si j’ai articulé mon propos sur ces quelques thématiques qui sont insuffisamment documentées à ce jour, c’est parce que je suis convaincu que l’Afrique n’est pas à l’abri de ce qui se passe dans le monde aujourd’hui. Les bonnes mœurs observées et vécues avec abnégation hier se voient voler en éclats aujourd’hui. L’une des causes de ces mutations, c’est bien la mondialisation de la culture occidentale qui envahit l’Afrique avec son flot de « bouleversement des systèmes et des changements durables au niveau de l’organisation, du fonctionnement, des caractéristiques, de la structure et des valeurs des sociétés contemporaines »[66].

On ne le dira jamais assez avec Marguerite A. Peeters, « Notre temps est un kairos : un temps favorable à une prise de décision. Qu’est-ce que les africains, dont les institutions sont déjà prises en otage par les révolutionnaires transnationaux, vont décider de faire ? Puissent-ils se décider pour le côté véritablement victorieux : le bon côté, pour l’amour d’eux-mêmes, le développement humain intégral, la vérité parlée par Dieu dans leur conscience, la loi éternelle de Dieu, son dessein sur la personne humaine et son amour ! L’Afrique est sans doute le seul continent qui exprime une opposition publique ferme au programme de transformation sociale des LGBTs. Mais ce programme est le produit final d’une révolution qui commence de manière apparemment ‘’bénigne’’, avec en particulier la promotion de la contraception moderne, à laquelle l’Afrique institutionnelle a déjà ouvert grand les portes. La ‘’culture de mort’’ doit être vaincue à ses stades les plus précoces, avant qu’elle ne prenne racine, et non lorsqu’elle aura produit sur le continent les fruits culturels et anthropologiques amers que les africains eux-mêmes décrient quand ils les découvrent en Europe »[67].

Tout bien pesé, le « kairos dans lequel nous sommes est une heure de responsabilité. Alors que l’Afrique est dans une large mesure victime du pouvoir mal utilisé de l’Occident, rester passif ne serait pas la bonne attitude à avoir. Les africains ont une vocation, une mission spécifique et irremplaçable à accomplir dans le dessein de Dieu, plus vitale que jamais pour l’humanité en cette heure de mondialisation »[68].

N’est-ce pas le vibrant message d’Ecclesia in Africa : « l’Église en Afrique doit assumer sa mission évangélisatrice d’une manière efficace que possible ! » (nº 140).

Prof. François Tshionyi Kazadi


[1] A. J. Castañeda, « Moral sexual y teología del cuerpo », dans: http://www.vidahumana.org (2008). Consulté le 09/05/2016.

[2] E. Vangu Vangu, op. cit, 11-12.

[3] Ibid., 12.

[4] Cipd, 7.2-7.26.

[5] Cf. R. Mika Mfitzsche, « Jeu et enjeu de la santé sexuelle et reproductive en Afrique », dans: J.J. García (dir.), Enciclopedia de Bioética, URL: http://enciclopediadebioetica.com/index.php/todas-las-voces/195-jeu-et-enjeu-de-la-sante-sexuelle-et-reproductive-en-afrique. (Consulté le 11/08/2016).

[6] « Nouvelle éthique mondiale: quel impact sur la famille? », dans: http://www.mediatrice.net/blog/ (17 juin 2014). Consultée le 04/10/2016.

[7] Ibid.

[8] Cf. M. A. Peeters, Vingt ans de « santé et droits sexuels et reproductifs » en Afrique. Réalisation de leurs agents transnationaux au sein des institutions politiques africaines depuis le Caire, et leur stratégie au-delà de 2015. Défis pour l’Eglise (Institute for Intercultural Dialogue Dynamics, Bruxelles 2014) 7.

[9] Cf. Ibid., 7-8.

Lire aussi son livre La mondialisation de la révolution culturelle occidentale. Concepts-clés, mécanismes opérationnels (Institute for Intercultural Dialogue Dynamics, Bruxelles 2007).

[10] La ‘’Gouvernance mondiale’’, fonctionnelle depuis le début des années 1990s, est un partenariat par excellence. Elle peut être décrite comme un régime politique transnational constitué des puissants acteurs étatiques et non-étatiques, reliés entre eux par une plateforme politique et une éthique communes, forgées sous l’égide de l’ONU. Les partenaires comprennent non seulement les pouvoirs publics mais aussi les entreprises, les fondations philanthropiques privées, les organisations internationales, la société civile et les groupes bénévoles, les parlements, les syndicats, les établissements de recherches universitaires. Les partenaires sont par nature pluriactionnaires et multipartites. La gouvernance mondiale n’est pas un gouvernement mondial formel, qui serait pourvu d’institutions visibles et de légitimité démocratique. Elle est un processus politique informel qui, bien que ‘’virtuel’’ ou ‘’liquide’’ pour employer le jargon postmoderne, exerce une influence critique sur les politiques et les lois supranationales et nationales, dans les domaines de droits de l’homme, la réforme de l’éducation, les questions relatives à la santé, l’environnement, le changement climatique, les femmes et les SDSR, la sécurité. (Cf. Secrétaire Général de l’ONU. A/68/202. Ibid., par.98). Sa visée est d’instaurer un ‘’Nouvel Ordre Mondial’’ (opposé à l’ordre naturel) pour la promotion de « nouveaux droits et une ‘’nouvelle éthique mondiale » (Cf. http://benoit-et-moi.fr/2010-III: Le Nouvel Ordre mondial veut la disparition de l’Eglise).

[11] Cf. M. A. Peeters, Vingt ans de « santé et droits sexuels et reproductifs » en Afrique …, 5.

Voir la note 4 de la page 5.

[12] Cf. Ibid., 7; 21-22; 31s.

[13] Cf. Ibid., 21.

[14] Cf. R. Mika Mfitzsche, « Jeu et enjeu de la santé sexuelle et reproductive en afrique »…

[15] Cf. M. A. Peeters, Vingt ans de « santé et droits sexuels et reproductifs » en Afrique …, 6.

[16] Cf. R. Mika. Mfitzsche, « Jeu et enjeu de la santé sexuelle et reproductive en Afrique »…

[17] Cf. Ibid.

[18] Cf. Ibid.

[19] Cf. François, Amoris laetitia 33.

[20] Cf. Plan d’Action/Bucarest, principe 14, &f.

[21] CIPD, 7.41-7.48

[22] Cf. M. A. Peeters, La mondialisation de la révolution féministe occidentale. Concepts-clés, mécanismes opérationnels (Institute for Intercultural Dialogue Dynamics, 2004) 2.

[23] Cf. R. Mika. Mfitzsche, « Jeu et enjeu de la santé sexuelle et reproductive en Afrique»…

[24] Les tenants de cette tendance sont: Friedrich Nietzsche, Sigmund Freud, Karl Marx.

Lire surtout Fr. Nietzsche, Ecce Homo (Éditions Gallimard, 2012); Par-delà le bien et le mal (Harmattan, Paris 2006); Le Crépuscule des idoles ou Comment on philosophe avec un marteau (fragments), (Éditions de L’Herne, 2009).

[25] Cf. R. Mika. Mfitzsche, « Jeu et enjeu de la santé sexuelle et reproductive en Afrique »…

[26] François, Amoris laetitia 34.

[27] http://eduquepsp.cd/old-site2/Actualit%C3%A9s/lepsp-et-le-programme-national-du-cours-deducation-a-la-vie.html. (Consulté, le 04/05/2017).

[28] Ibid.

[29] T. Akoha, « La famille face à la Nouvelle Ethique Mondiale », dans: Les maux de la foi: Les jeunes s’interrogent. Cf. http://www.archidiocesecotonou.org/ (Mise en page 26 décembre 2015). Consulté le 07/10/2016.

[30] M. A. Peeters, « L’Afrique face à la mondialisation: responsabilités des chrétiens »…, 6-7

[31]  Cf. Ibid., 7.

[32] Cf. Ibid.

[33] Citons entre autres: mère, père, époux, fils, fille, parents, mariage, famille, sein maternel, maison paternelle, autorité parentale, conception d’un enfant, virginité, complémentarité homme-femme, obéissance, bien et mal, souffrance, péché, service, servante, mystère, grâce, joie, espérance, foi, loi, pureté, sainteté, création, vérité, merveille, reconnaissance, louange, éternité et ainsi de suite.

[34] Cf. M. A. Peeters, « L’Afrique face à la mondialisation: responsabilités des chrétiens »…, 9

[35] Cf. Ibid.

[36] Cf. Pl. Tempels, La philosophie bantoue. Traduit du Néerlandais par A. Rubbens (Présence Africaine, Paris 31965) 78.

[37] Cf. M. A. Peeters, « L’Afrique face à la mondialisation: responsabilités des chrétiens »…, 9.

[38] C’est le Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatifs aux droits des femmes en Afrique (Adopté par la 2ème session ordinaire de la Conférence de l’Union, Maputo, le 11 juillet 2003). Ce protocole est un classique cheval de Troie ; loin d’être apparemment un cadeau pour les peuples africains, il est en réalité un danger mortel. Il a été écrit en grande partie par la fédération internationale du Planning familial (International Planned Parenthood Federation, ou IPPF), la plus grande organisation internationale pour la promotion de l’avortement. Les valeurs de ce groupe basé à Londres sont contraires à celles de l’Afrique. L’IPPF ne respecte ni les volontés, ni les traditions, ni même la souveraineté des pays ou des peuples dans ses efforts en faveur de la légalisation universelle de l’avortement. Leur document d’objectifs stratégiques, VISION 2000, exprime clairement que toutes les organisations affiliées à l’IPPF dans des pays ou l’avortement n’est pas légal doivent :’’faire campagne pour que les restrictions soient abolies’’. Puisque d’ordinaire les personnes ne veulent jamais l’avortement, l’IPPF et les autres organisations qui s’occupent de promouvoir l’avortement doivent utiliser des moyens occultes. Le Protocole de Maputo est l’instrument idéal pour légaliser l’avortement dans toute l’Afrique. Ce protocole est souvent présenté comme un moyen de lutter contre les mutilations génitales féminines, mais dans les 21 pages du document, cette pratique apparaît dans une seule phrase. Par contre, l’article 14 (2) (c) du Protocole de Maputo dévoile clairement le véritable objectif du document : « Les États prennent toutes les mesure appropriées pour… protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé, en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus. » La définition de la « santé » de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est bien connu pour son affirmation que « la santé est un état de bien-être physique, mental et social complet; elle n’est pas seulement l’absence de maladie ou de déficience. » (http://www.leprotocoledemaputo.org/french_protocole.pdf)

[39] Cf. R. Amalebondra Masiafuadri, « Nouvelle éthique mondiale et éducation de la jeunesse », Conférence donnée à l’Université de l’Uélé le 15 mai 2010 : http://amale.over-blog.fr/pages/Nouvelle-ethique-mondiale-et-education-de-la-jeunesse-4644805.html

[40] Cf. Ibid.

[41] M. A. Peeters, « L’Afrique face à la mondialisation: responsabilités des chrétiens »…, 6.

[42] Jean-Paul II, Ecclesia in Africa 106.

[43] Ibid., 108.

[44] M. A. Peeters, Vingt ans de « santé et droits sexuels et reproductifs » en Afrique, p. 4.

[45] Cf. Ibid., pp. 36-37.

[46] Cf. L. Melina, op. cit., 59.

[47] M. A. Peeters, Vingt ans de « santé et droits sexuels et reproductifs » en Afrique, p. 37.

[48] Cf. Fr. Tshionyi Kazadi, « Quand nos compatriotes deviennent promoteurs d’une culture de ‘’conjuration contre la vie’’ ! Réflexions sur le choix de l’artiste Barbara Kanam comme vulgarisatrice du Protocole de Maputo et promotrice du droit à la ‘’santé sexuelle et reproductive’’ » : URL. http//www.fr-tshionyi-merveille1.com (publié, le 31 juillet 2019).

[49] Jean Paul II, Veritatis splendor 27.

[50] D. Mushipu Mbombo, De la liberté ou des questions en éducation aujourd’hui. Ébauche de réponses par le truchement des modernes, Éditions Scientifiques Internationales, Berne, 2011, p. 325.

[51] V. Biduaya Badiunde, Que reste-t-il de l’école catholique en R. D. Congo ? Préface de Dries Vanysacker, L’Harmattan, Paris 2018, p. 18. Lire aussi sa nouvelle publication Pour une catéchèse de la vie en Afrique noire contemporaine. Impulsions conciliaires et postconciliaires, Préface René Tabard, L’Harmattan, Paris, 2020.

[52] Cf. F. Mwanama Galumbuluila (Mgr), « L’Église, Mater et magistra. Repères doctrinaux sur la mission éducatrice de l’Église », in A. Kabasele Mukenge (dir.), op. cit., 14.

[53] Jean-Paul II, Veritatis splendor 60, §2.

[54] Cf. C. Caffara, « Foi et culture face au mariage : pourquoi revenir à la théologie du corps de Jean-Paul II » : Liberté politique.com, le 01 avril 2.

[55] F. Mwanama Galumbuluila, (Mgr), art. cit., p. 22.

[56] Cf. A. Kabasele Mukenge, « Transmission des valeurs et construction d’une identité narrative, in A. Kabasele Mukenge (dir.), op. cit., pp. 180.

[57] Ça vaut la peine de souligner que ‘’la déliquescence de la famille’’ – ensemble avec les antivaleurs comme la dépravation des mœurs, la corruption généralisée, les assassinats et les guerres civiles récurrentes – est l’un des maillons d’une chaine qui s’appelle la corruption de la société congolaise (et même africaine) : cf. Andely-Beeve, Les chrétiens face aux valeurs sociales et éthiques dans la société congolaise, L’Harmattan, Paris, 2013, 17.

[58] Cf. D. Mushipu Mbombo, La théologie africaine face aux sectes…, p. 41.

[59] C. M. Camara, op. cit., p. 17ss.

[60] Cf. F. Mwanama Galumbuluila, (Mgr), art. cit., 17.

[61] Cf. Ibid., 21.

[62] Cf. A. Milandou, (Mgr), « Préface » à Andely-Beeve, op. cit., 9.

[63] Cf. Ibid., 9-10.

[64] Cf. M. Madila Basanguka, (Mgr), « Education et transmission des valeurs. Impulsion inaugurale », in A. Kabasele Mukenge (dir.), op. cit., 11.

[65] Cf. A. Kabasele Mukenge, art. cit., in A. Kabasele Mukenge (dir.), op. cit., pp. 170-173.

[66] C. M. Camara, op. cit., p. 13.

[67] M. A. Peeters, Vingt ans de « santé et droits sexuels et reproductifs » en Afrique, p. 36.

[68] Ibid.

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