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Ce 29 juillet 2021, nous avons défendu brillamment notre thèse de doctorat en théologie, spécialité morale, à l’Université ecclésiastique San DAMASO de Madrid (Espagne) sous le titre ci-dessus repris.

Tout discours sur le corps implique une allusion à la subjectivité, car la question du sujet est souvent placée au cœur de l’expérience existentielle. Le corps est susceptible d’une double lecture, comme objet et comme sujet.

Dans l’actualité, l’approche du corps chevauche entre deux visions diamétralement opposées: d’une part la suspicion et le rejet du corps et d’autre part l’exaltation ou le culte excessif du corps, tant qu’on le trouve jeune, beau, fort et source de plaisir. Les analystes parlent aujourd’hui de la survalorisation ou de l’hypervalorisation du corps. Toutefois, nous avons relevé que ces deux visions du corps (suspicion et exaltation) partagent en réalité une perspective identique de l’humain, également tronquée (limitée), qui rend donc impossible d’intégrer le corps dans la réalité de la personne, et partant, de le valoriser adéquatement dans sa subjectivité. Sinon, le corps paraît, sous l’angle réductionniste susmentionné, quelque chose de banal. Il perd ainsi son ouverture à la transcendance, au mystère.

Ce travail d’investigation est une mise en perspective théologique et anthropologique du corps humain en prenant sa subjectivité morale comme fil d’Ariane. Autrement dit, notre effort a consisté principalement à faire une relecture de Veritatis splendor, 48 et des Catéchèses sur la Théologie du corps de saint Jean-Paul II en prenant l’expérience (subjective) du corps et la subjectivité morale du corps comme fil conducteur. La perspective que ces Catéchèses ouvre à propos de la révélation du corps (cf. Catéchèse 45 du 22 octobre 1980) nous a permis de comprendre et d’expliquer l’affirmation de Veritatis splendor, n° 48 pour compléter les voies d’approches de notre objet formel.

Disons donc que l’objet central de l’analyse de cette dissertation doctorale est le corps humain, spécialement dans la dimension de sa subjectivité morale, i.e. le dynamisme de l’agir humain à travers le corps. En des termes on ne peut plus clairs, il s’est agi d’analyser les dimensions de la subjectivité morale que la corporéité nous fait découvrir, c’est-à-dire expliquer et comprendre la valeur du corps dans l’action humaine. Ce qui implique d’identifier le corps humain en tant que sujet moral, c’est-à-dire un sujet qui se réalise pleinement dans l’action.

Le texte de Veritatis splendor n°48 qui nous intéresse dans cette analyse stipule: «La personne, comprenant son corps, est entièrement confiée à elle-même, et c’est dans l’unité de l’âme et du corps qu’elle est le sujet de ses actes moraux ». Avec cette mise en exergue de la compréhension de son propre corps par la personne, il importe de souligner l’importance d’intégrer le corps dans la réalité de la personne en le valorisant adéquatement dans sa subjectivité. « Face à cette interprétation, poursuit l’auteur de Veritatis splendor, il convient de considérer avec attention le rapport exact qui existe entre la liberté et la nature humaine et, en particulier, la place du corps humain du point de vue de la loi naturelle ».

Que signifie alors, de manière spécifique, la subjectivité morale du corps dans la vision anthropo-théologique de saint Jean-Paul II? Elle veut signifier simplement et clairement que l’action humaine naît dans le corps du sujet: le corps est une source des significations morales. Autrement dit, le sujet humain construit son action dans l’unité du corps et de l’âme. Il s’agit, en effet, d’investiguer sur l’espace qu’occupe le corps dans la théorie de l’action morale. Le problème que vient poser la réflexion sur la subjectivité morale est que dans les anthropologies actuelles, le corps ne comporte en lui-même aucun contenu moral. Il dépend de chaque individu de donner à son corps une signification qui lui convienne. Ma conscience me dicte ce que je dois faire (autonomie de la conscience individuelle). Lorsque nous parlons du sujet moral, nous réalisons que l’anthropologie moderne brandit le sujet individuel, autonome, émotif, qui est bien une affirmation du moi. C’est dire que la modernité a une conception négative ou réductionniste, voire pessimiste, de la corporéité.

Quel est l’apport des Catéchèses sur la Théologie du corps dans la compréhension du thème de la subjectivité morale du corps? Elles soulignent le dynamisme du corps: ce qui implique une anthropologie dynamique; l’être humain (homme et femme) est toujours et déjà un sujet agissant.

La thèse est structurée en trois parties, chacune comprenant deux chapitres. La première partie traite du rapport entre l’anthropologie et la morale à la lumière des deux sources indiquées. Le premier chapitre est consacré à la présentation de chacune de ces sources, tandis que le second explique dans quel sens l’imago Dei se manifeste dans la corporéité humaine, révélant des significations anthropologiques et morales essentielles. La deuxième partie se concentre sur le mystère du corps dans le plan divin. Le troisième chapitre étudie comment la perspective théologique de Jean-Paul II révèle les significations personnalistes de la corporalité, et le quatrième est consacré à la manière dont le corps humain est perçu, valorisé et vécu dans la culture contemporaine. Enfin, la troisième partie étudie le corps comme lieu de compréhension de l’action humaine et de la dimension théologique de l’action morale du chrétien (comme lieu de la révélation de Dieu et de la rédemption de l’homme). Le cinquième chapitre traite de la subjectivité du corps selon Veritatis splendor 48 et de la Théologie du corps de saint Jean-Paul II, et le sixième chapitre envisage les lignes possibles de reconstruction du sujet moral chrétien en ces temps de profonds changements. La thèse présente également une introduction générale et quelques conclusions finales, ainsi que des informations sur la bibliographie utilisée.

L’originalité de cette thèse réside dans la mise en relation de la pensée de Karol Wojtyla et Jean-Paul II en tant que philosophe et théologien et la perspective morale impliquée dans les significations anthropologiques de la corporéité. De nombreuses recherches ont été menées au cours des dernières décennies sur le caractère personnaliste du corps, mais il reste un filon pour une exploration plus poussée de ce que l’on pourrait appeler un personnalisme moral : la manière appropriée d’agir et de vivre sur la base de ce qui nous est révélé comme étant propre à l’homme, et comment il est possible que nous puissions effectivement agir de cette manière. La recherche se situe donc dans la ligne ouverte par les thèmes de la génération du sujet moral et du dynamisme moral des vertus. Ce qui se traduit en termes d’une clé éducative à envisager sous l’angle de la centralité de l’éducation qui repose sur deux aspects importants :

1° la considération selon laquelle la question de la moralité est à situer dans le cadre de l’évangélisation qui représente le défi le plus exaltant que l’Église est appelée à relever depuis son origine. L’évangélisation vise à construire (faire croître) et éduquer l’homme nouveau qui est né de l’évangile.

2° l’option d’une reconstruction morale du sujet humain et ecclésial qui passe par la formation de la conscience et la pratique des vertus, spécialement la vertu de la prudence. C’est ce processus éducatif que nous avons appelé dans notre dissertation la pédagogie morale des vertus -qui vise à générer un sujet chrétien capable d’agir moralement bien selon son humanité et la vérité de ses désirs- et aussi le cheminement vers la maturité vertueuse du sujet moral.

Des questions restantes et propositions d’avenir. Dans le souci de voir le cours de nos recherches avancer et de contribuer au progrès de la pensée théologique, nous pourrons, dans l’avenir, poursuivre la réflexion sur la dimension sociale et culturelle du corps, rejoignant ainsi le débat éthique actuel qui s’étend aujourd’hui aux multiples questions qui préoccupent tant nos contemporains.

Il nous semble aussi une aubaine d’approfondir ultérieurement le ‘’phénomène’’ de la pudeur —en rapport avec la liberté— qui s’avère un défi réel et inéluctable aujourd’hui pour la singularité de la personne et sa subjectivité, dans notre société exhibitionniste et pansexuelle.

Un autre regard pourrait nous amener à interroger la diversité religieuse (et culturelle) au prisme du rapport au corps et proposer la narrativité de la spiritualité du corps comme réponse à la pandémie corporéiste.

Loin de nous la prétention de perfection, nous espérons qu’à l’issue de nos réflexions sur le thème à l’analyse de notre thèse, que nous aurons, tant soit peu, apporté quelque lumière sur la problématique de la subjectivité morale du corps.

Dr François Tshionyi Kazadi

Madrid, le 1er août 2021

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