Introduction
Dans mon article du 31 décembre 2020 : ‘’L’homosexualité: qu’en pense l’Église Catholique?” (cf. https://fr-tshionyi-lamerveille1.com/comprendre-la-position-de-leglise-catholique-face-a-lhomosexualite/), j’avais donné, en guise d’éclairage, quelques éléments essentiels de l’enseignement orthodoxe et inamovible de l’Église sur l’homosexualité, au moment où des malins attribuaient faussement au pape François des propos affirmant qu’il défendait l’union civile pour les homosexuels. Dans le même sens, un autre son de cloche n’a pas tardé à sonner. Il s’agit de l’Autorité ecclésiale en matière de l’Orthodoxie de la foi qui a publié une Note explicative intransigeante du 22 février 2021 intitulée: « Responsum de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi à un dubium au sujet de la bénédiction des unions de personnes du même sexe », répondant à la question: « L’Église dispose-t-elle du pouvoir de bénir des unions de personnes du même sexe? ». Et la réponse catégorique est ”non”.
La bénédiction du créateur: bénir le péché ou bénir le pécheur
À la suite de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, il est de bon aloi que des théologiens puissent donner aussi leur point de vue. C’est le cas de l’espagnol José Granados dont je vais reprendre ici l’intégralité de l’article paru en langue espagnole ce 21 avril 2021 sous le titre : La bénédiction du créateur. Autour de la réponse de la Congrégation pour la Doctrine de la foi sur la possibilité de bénir les unions des personnes de même sexe (en langue originale : « La bendición del creador”. En torno a la respuesta de la congregación para la doctrina de la fe sobre la posibilidad de bendecir uniones de personas del mismo sexo»): https://www.obispadoalcala.org/noticiasDEF.php?subaction=showfull&id=1619093000&archive= En dernier ressort, je donnerai mon point de vue en tant que théologien.
José Granados, Supérieur Général des Disciples des Cœurs de Jésus et de Marie (à Madrid/ Espagne) et autorité de référence sur ces questions pour avoir été pendant des années le vice-président de l’Institut pontifical Jean-Paul II de Rome, a également voulu apporter un éclairage sur ce sujet. En donnant méticuleusement un point de vue de taille qui vaut, car il porte sur ce qui est “en jeu” dans l’attaque (des certains) contre Rome pour n’avoir pas autorisé la bénédictions des unions entre personnes de même sexe.
https://www.religionenlibertad.com/vida_familia/219790026/jose-granados-documento-roma-uniones-homosexuales.html?fbclid=IwAR0_8-d4Xa8kX3truJycq8RIXpOO9HOMT1JdfRD_OA2dLHNrVQ2hVPt4zQk
En mars dernier, la Congrégation pour la doctrine de la foi a publié un document, un “responsum”, qui ne disait rien de nouveau sur l’impossibilité de bénir les unions homosexuelles, mais qui n’a pas empêché une énorme crise avec la rébellion de centaines de prêtres et même d’évêques, surtout en Allemagne.
Le texte signé par le préfet, le cardinal Ladaria, rappelle que “l’Église n’a pas, et ne peut pas avoir, le pouvoir de bénir les unions homosexuelles” et que l’Église “ne bénit pas et ne peut pas bénir le péché : elle bénit l’homme pécheur, afin qu’il se reconnaisse comme faisant partie de son plan d’amour et se laisse changer par elle.
La Congrégation pour la doctrine de la foi a répondu à la question sur la possibilité de bénir les unions entre personnes homosexuelles. Il n’est pas étrange qu’elle l’ait fait par la négative – le doute même aurait été scandaleux il y a seulement deux ou trois décennies. Ce qui est étrange, c’est la réaction ouvertement contraire qu’elle a provoquée dans l’Église. Des théologiens, des associations, des revues, et même un cardinal, ont estimé que la réponse est erronée et ils pensent qu’il faudra bientôt la changer. Quelle est la gravité de cette situation ?
Pour répondre à cette question, le père Granados estime que la première chose à faire est de “revenir à l’Origine”, au plan originel de Dieu. Comme il le rappelle, “la bénédiction est liée au plan du Père” et “le livre de la Genèse associe la bénédiction à l’aboutissement de l’œuvre divine, formant l’homme et la femme et les appelant à devenir une seule chair. De cette union naît le fils, point culminant de la bénédiction divine, à partir duquel est ensuite racontée toute l’histoire du salut, ouverte sur l’espérance du Messie.
Par conséquent, ajoute le père Granados, ”toute bénédiction de Dieu, ancienne et nouvelle, passe donc par l’acceptation du langage de la différence sexuelle, masculin-féminin. En acceptant ce langage, que les hommes et les femmes n’ont pas créé, ils s’ouvrent à la présence et à l’action du Créateur dans leur vie.”
Il explique ainsi que certaines unions entre l’homme et la femme, comme l’adultère ou la polygamie, “s’écartent de l’ordre de la création” parce que leur relation “n’est pas adéquate pour recevoir la bénédiction divine”, car il leur manque “des éléments structurels pour garder l’amour et transmettre la vie avec dignité”.
Les enjeux de cette problématique
Ils sont quatre. Citons entre autres: la négation de la différence sexuelle, la négation de la condition relationnelle de la personne humaine qui est née de l’amour et appelée au don de soi, la négation de la foi même en l’Incarnation du Verbe et la négation de l’espérance chrétienne.
“Cette structure constitutive de la personne (qui est fondée sur l’unité de la différence sexuelle, l’amour comme don de soi et la fécondité) fait d’autant plus défaut dans l’union homosexuelle stable, qui prétend être comparable au mariage. En effet, l’union homosexuelle nie désormais le rôle constitutif de la relation homme-femme elle-même, s’opposant ainsi au plan originel de Dieu. Par conséquent, selon saint Paul, justifier les actes homosexuels est une conséquence de la négation de la visibilité de Dieu dans son œuvre créée”, rappelle le père José Granados.
Bien plus, l’enjeu de ce débat, estime-il, est considérable. En premier lieu, il y a la “confession de Dieu comme Créateur” car “l’idée se répand aujourd’hui que l’inclination sexuelle que chacun ressent est un don de Dieu, qui nous aime tels que nous sommes. Dieu, ainsi considéré, resterait donc à l’origine de ces sentiments de l’individu, mais il n’est plus à l’origine de son corps, avec son dimorphisme sexuel. La présence de Dieu est, par conséquent, niée dans l’extériorité du corps, c’est-à-dire dans sa capacité à se mettre en relation avec les autres, au-delà de soi-même.
Mais alors, souligne le théologien espagnol, si Dieu “est étranger à cette sphère de ma personne, alors c’est un Dieu qui ne peut pas donner l’unité au monde, c’est-à-dire qui ne peut pas être le Créateur de ce monde. Dieu peut agir, pour autant qu’il le fasse, dans l’intimité des sentiments des individus, mais pas dans les relations qui nous font sortir de nous-mêmes et qui tissent notre vie commune.
Le deuxième élément en jeu est la “condition relationnelle de la personne humaine, qui est née de l’amour et appelée au don de soi”. Certains de ceux qui ont critiqué la réponse de Rome soutiennent que Dieu peut bénir “les éléments positifs de ces unions homosexuelles. Cependant, “On oublie que les éléments de la relation font partie d’un tout (la totalité constitutive de la personne), et que la valeur de chaque partie est jugée en fonction de ce tout. Dans une maison délabrée, il y a beaucoup d’éléments positifs, mais on ne peut plus y vivre, autant on ne peut naviguer sur un bateau qui prend l’eau.
D’autres critiques affirment que la bénédiction est possible, car l’union homosexuelle peut être sur un chemin de conversion, et la bénédiction de Dieu l’aide à y parvenir. Mais ils oublient que ceux qui peuvent s’engager sur ce chemin, dans ce cas, sont des personnes (auxquelles la Congrégation pour la Doctrine de la Foi se réfère à tout moment avec sensibilité et respect), et non pas l’union elle-même ni la pratique homosexuelle, dont le dynamisme n’est pas orienté vers la différence sexuelle, mais vers sa négation”, ajoute-t-il.
Pour toutes ces raisons, José Granados considère que ces objections à Rome sont faites à partir d’un “individualisme” où “ils ne comprennent pas que le Créateur n’a pas seulement façonné les individus, mais aussi un ordre fécond de relations entre eux. C’est cette condition relationnelle de la personne qui donne à la sexualité son mystère et son chemin.
Aussi rappelle-t-il que “la sexualité touche les profondeurs de la personne, car d’elle vient notre vie, et en elle s’ouvre la capacité de donner la vie aux autres. Cette vision de la sexualité implique de comprendre la personne à partir de son origine, comme quelqu’un qui a été reçu des autres ; et aussi à partir de sa capacité à générer la vie chez les autres. Priver la sexualité de ce sens, c’est promouvoir un homme dont l’origine est en lui-même, un homme qui s’auto-génère, et qui est également incapable d’élargir son propre avenir aux autres.
Aussi affirme-t-il que “la foi même en l’Incarnation du Verbe” est en jeu. Père Granados souligne que “certains pensent que l’insistance de l’Église sur les questions de sexualité est une pierre d’achoppement pour l’évangélisation. Mais soit l’évangélisation passe par la chair des gens, soit elle n’évangélise pas Jésus-Christ, le Verbe incarné. Le Seigneur a assumé la chair, née de génération en génération, et a retrouvé son langage originel. Si la chair sexuée n’avait pas cette capacité de nous unir si profondément entre nous et avec Dieu, le Fils de Dieu, en assumant la chair, n’aurait pas pu assumer notre vie ; il n’aurait pas non plus pu transformer la chair pour qu’elle puisse nous transmettre le salut. Selon l’ancienne tradition patristique et médiévale, Adam et Eve confessaient déjà d’une certaine manière leur foi en l’Incarnation, précisément en raison de leur union en une seule chair (l’unité de deux). Car là, ils ont fait l’expérience de l’ouverture de leur promesse à la plénitude de la communion entre eux et avec le Créateur.
En définitive, José Granados prévient que “beaucoup de choses sont en jeu” et aussi “l’espérance chrétienne elle-même”. Et le fait est que “l’Église et la société ont plus que jamais besoin de cette espérance aujourd’hui. Et l’Eglise – conclut-il – “a la mission de confirmer dans cette espérance toutes les personnes et les familles que le Seigneur appelle dans son sein”.
Revalorisons le mystère nuptial de la personne
Eu égard à cette alléchante analyse du Père Granados, je peux ajouter, en d’autres termes, que l’enseignement de l’Église insiste sur l’unité du mystère nuptial de la personne qui comprend trois composantes, à savoir la différence sexuelle, l’amour comme don de soi et la fécondité (ouverture à la vie).
En effet, les unions entre les personnes de même sexe nient ce mystère nuptial de la personne qui, observé dans l’archétype homme-femme, présente ainsi, de manière indissociable, l’unité de ces trois facteurs constitutifs (différence sexuelle, don réciproque de soi et fécondation) qui offrent la plénitude intégrale dans l’immédiate donation de l’homme et la femme.
« Pour cette raison, décrète la Congrégation pour la Doctrine de la foi, il n’est pas licite de donner une bénédiction aux relations ou partenariats, même stables, qui impliquent une pratique sexuelle hors mariage (c’est-à-dire hors de l’union indissoluble d’un homme et d’une femme ouverte en soi à la transmission de la vie), comme c’est le cas des unions entre personnes du même sexe. La présence dans ces relations d’éléments positifs, qui en eux-mêmes doivent être appréciés et valorisés, n’est cependant pas de nature à les justifier et à les rendre ainsi légitimement susceptibles d’une bénédiction ecclésiale, puisque ces éléments se trouvent au service d’une union non ordonnée au dessein du Créateur ».
Et de renchérir, en outre, la sacrée Congrégation sur la Doctrine de la Foi affirme que « les bénédictions sur les personnes étant liées aux sacrements, la bénédiction des unions homosexuelles ne peut être considérée comme licite, car elle constituerait en quelque sorte une imitation ou un renvoi analogique à la bénédiction nuptiale invoquée sur l’homme et la femme qui s’unissent dans le sacrement de mariage, étant donné qu’”il n’y a aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille”».
Par ailleurs, « la déclaration de l’illicéité des bénédictions des unions entre personnes du même sexe n’est donc pas, et ne souhaite pas être une discrimination injuste, mais plutôt rappeler la vérité du rite liturgique et de ce qui correspond profondément à l’essence des sacramentaux, tels que l’Église les comprend ».
Qui plus est, ces unions entre les personnes de même sexe se soustraient à l’objectivité de l’expérience de l’amour, et se condamnent ainsi à l’impertinence et à l’irrationnel. C’est d’ailleurs ce que nous constatons dans l’actuelle culture pansexualiste qui introduit une rupture entre la différence sexuelle et le don de soi (sexualité sans amour), entre la différence sexuelle et la procréation (contraception et fécondation artificielle), et affirme en même temps un possible dépassement de la différence sexuelle (théorie du gender).
J’estime, pour ma part, qu’il est temps que le discours théologique, dans le contexte actuel d’épreuve et de confusion, se déploie nécessairement à témoigner de la convenance du choix responsable de maintenir les facteurs constitutifs du mystère nuptial dans leur unité, donc montrer que le lien étanche entre la différence sexuelle, le don de soi et l’ouverture féconde à la vie correspond à l’expérience originelle, la respecte, et fait grandir donc l’humain.[1] Il s’agit de cette totalité dont a parlé Granados dans son exposé ci-haut mentionné.
Cependant, « l’amour, comme expérience première et fondamentale de l’homme, nous est présenté dans les Écritures Saintes en tant qu’expérience morale de base qui illumine toute la vie morale. C’est donc la révélation divine qui illumine la vie morale. C’est bien elle qui nous manifeste l’amour, non pas comme un simple acte de la puissance décisive ou non plus un impératif moral envers le prochain, sinon c’est une expérience qui nous insère dans une histoire d’amour où Dieu seul prend l’initiative, et l’homme, quant à lui, doit s’abandonner en Dieu pour vivre de cette vie qui s‘offre. Delà découle la qualification de l’amour comme vocation originaire »[2].
Qu’il suffise de rappeler aussi avec le Cardinal Angelo Scola, le rôle joué par la différence sexuelle dans la connaissance de soi car elle occupe un rôle majeur dans la construction de l’homme et dans la découverte de son être profond, créé à l’image de Dieu. La crise d’identité généralisée que connaît notre époque est aussi due à l’effacement de la différence entre l’homme et la femme parce que notre société est incapable de penser la différence sexuelle de façon positive. On en arrive à considérer l’autre, différent de moi, comme un obstacle et une menace car il me rappelle ma finitude, raison qui explique la tentative généralisée de gommer ou de domestiquer cette différence fondamentale.
Conclusion
Somme toute, je conclus en soulignant avec Livio Melina, grand théologien italien de l’école de Saint Jean-Paul II, que dans une union homosexuelle, il n’y a pas d’intégration de l’origine première des amants qui eux-mêmes sont nés, sans nul doute, de la différence sexuelle entre un homme et une femme; non plus s’ouvre un futur nouveau pour un fils à engendrer. Donc, si l’environnement adéquat pour vivre la vérité de l’amour passe par le mariage, union indissoluble entre un homme et une femme, et ouverte à la transmission de la vie, il s’ensuit que c’est seulement à la lumière du mariage que s’effraie un chemin unitaire dans le temps. Cela revient à dire que seul dans le mariage s’unissent le souvenir de l’origine de la vie passée et la promesse englobant l’existence totale présente, et qui se prolonge dans le fils à venir. Cette intégration du temps ne se passe nullement dans une autre forme d’union contraire à la vérité de l’amour, comme un remariage après le divorce (traduisant l’échec d’un premier amour), la polygamie ou la polyandrie et les unions homosexuelles (cf. Conférence de Livio Melina, “Edificar en tiempos de lucha (Neh. 4, 1-12): la verdad del amor, horizonte de futuro” (Construir en temps de lutte, Neh 4, 1-12: la vérité de l’amour, horizont du futur), au Congrès International autour du thème “La vérité et la joie de l’amour humain, “La verdad y la alegría del amor humano”, du 07 au 9 mai 2021 (organisé par le Diocèse d’Alcalá de Henares, Espagne).
François Tshionyi Kazadi
[1] Cf. Fr. Tshionyi Kazadi, La subjectivité morale du corps. Une relecture de ”Veritatis splendor” 48 et de la Théologie du corps de saint Jean-Paul II. Thèse de doctorat (Université San Dámaso, Madrid 2021).
[2] Ibid.