ven. Mai 23rd, 2025
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Introduction

L’amour-don originaire, nous le découvrons dans notre expérience humaine. Ici, en analysant Gaudium et spes 24, 3 qui donne une définition de l’homme débouchant sur l’anthropologie du don, nous allons avancer avec Jean-Paul II dans la compréhension du mystère de l’amour sponsal comme forme parfaite d’amour. D’emblée, nous focalisons notre attention sur l’herméneutique à partir du mystère de la création de l’homme en tant qu’image de Dieu, avant d’aborder au deuxième moment la notion de la signification sponsale du corps comme clé de la théologie du corps pour enfin terminer, au dernier point, par l’indication claire de la manière dont cette signification sponsale du corps surgit de l’enseignement du Christ sur l’Origine, sur le Cœur humain et sur la Résurrection, soudé autour des expériences originelles.

1. Comprendre les Catéchèses de saint Jean-Paul II sur la théologie du corps à partir du critère de l’herméneutique du don

Nous venons d’affirmer l’unité inséparable entre la personne et l’amour. La révélation de la personne dans la rencontre interpersonnelle inclut la mémoire de l’amour originaire et en même temps la promesse d’aimer et de créer la communion. Car l’on ne peut pas concevoir l’être humain sans être inséré dans cette « anthropologie de la personne et du don». Le don reçu, en fait, provient de l’amour originaire et créatif de Dieu ; et le don de soi à l’autre, pour arriver à la communion, doit être la réponse de la personne à ce premier don originaire. Nous entrons ainsi dans la logique du don, où se révèle l’absolue inséparabilité entre personne et amour. Disons que l’amour est ce qui correspond à la personne, qui fonde son identité et sa plénitude ; l’amour réalise la plénitude de son être, de son existence objective[1].

1. 1. La réalité du don et l’acte de donner constituent le mystère de la création

« L’être humain que Dieu a créé homme et femme porte “dès l’origine” l’image divine imprimée dans son corps: homme et femme, cela constitue comme deux manières diverses pour l’humain d'”être corps” dans l’unité de cette image. Il convient maintenant de revenir à ces paroles fondamentales dont le Christ s’est servi, c’est-à-dire au mot “créa”, au sujet “Créateur”, introduisant dans les considérations faites jusqu’à présent une nouvelle dimension, un nouveau critère de compréhension et d’interprétation que nous appellerons ‘’herméneutique du don’’. La dimension du don décide de la vérité essentielle et de la profondeur de signification de l’originelle solitude-unité-nudité. Elle se trouve également au cœur même du mystère de la création qui nous permet de construire la théologie du corps «dès l’origine», mais exige en même temps que nous la construisions proprement de cette manière.[2] »

Les catéchèses sont précisément une interprétation de la relation existante entre le donneur divin et le don réciproque des personnes entre elles. Jean-Paul II construit une authentique ‘’herméneutique du don’’: la présence de l’Amour originaire, comme source primaire qui se répand sur le créé, et la présence de l’amour humain, qui se transforme en don de soi et est le reflet du don originaire de Dieu, constituent la vocation originaire à l’amour[3].

Pour expliquer la dynamique et l’herméneutique du don – la réalité du don et de l’acte de donner étant un élément constitutif du mystère de la création -, l’auteur de la théologie du corps utilise deux expressions clés que nous avons déjà analysées ci-haut: ‘’l’irradiation de l’Amour’’ et ‘’l’enracinement dans l’Amour’’ qui s’unissent définitivement tant sur le chemin vertical: révélation (ou irradiation de l’Amour) que sur le chemin horizontal: expérience (ou enracinement dans l’Amour). Le point de convergence entre les deux est précisément la vocation originaire à l’amour, corroborant ainsi la nécessité de la méthode adoptée par Jean-Paul II[4].

Disons que l’herméneutique du don constitue la méthode théologique essentielle de la théologie du corps[5] et corrobore la nécessité de la méthode adoptée par Jean-Paul II, à savoir la convergence entre révélation et expérience, entre l’amour divin et l’amour humain. Comme cela ressort des catéchèses sur l’amour humain, c’est bien à partir du don et de l’amour, où révélation et expérience convergent, que le Saint Pape se propose d’appréhender le mystère de Dieu, non en partant des déductions transcendantales, ni simplement en recourant aux arguments ontologiques ou catégories métaphysiques.

La perspective s’éclaire lorsque nous comprenons la création à travers l’herméneutique du don[6], cela suppose l’interpréter comme la gratuité de l’action divine: Dieu vit que tout était bon (Gn 1, 31). En fait, le don se profile comme élément existentiel inscrit dans la vérité de l’image de Dieu, « le don révèle pour ainsi dire une caractéristique particulière de l’existence personnelle ou, mieux, de l’essence même de la personne »[7].

A ce stade, il assez clair d’affirmer que l’anthropologie adéquate est ce que vise à mettre en lumière la théologie du corps; notamment dans le but de fournir la base requise pour fonder les exigences éthiques de Humanae vitae. On peut la caractériser comme une anthropologie du don[8].

1. 2. L’homme dans la dimension du don en tant qu’image de Dieu

La création est un don originel fondamental[9]. Etant donné que chaque créature porte en elle le signe du don originel et fondamental, il s’ensuit que le concept de ‘’donner’’ ne peut se rapporter à rien. Il indique celui qui donne et celui qui reçoit le don, de même que la relation qui s’établit entre eux. Laquelle relation émerge dans l’expression de l’image de Dieu dans l’homme (Gn 1,27). Suivant le récit de la création, l’homme est gratifié d’un don: le monde visible a été créé pour lui. Et donc, la création est un don, seul l’homme est capable de comprendre la signification même du don dans l’appel à l’existence[10].

La dimension du don permet de comprendre aussi la signification du corps humain dans sa juste mesure[11], étant donné que le don constitue une caractéristique particulière de l’existence personnelle ou l’essence de la personne. Et en plus, seule, elle ne réalise pas cette essence ; elle ne la réalise qu’en existant ‘’avec quelqu’un’’; et encore plus profondément et plus complètement, en existant pour quelqu’un[12].

Et cependant, « l’homme apparaît comme “créé”, c’est-à-dire comme celui qui a reçu, au milieu du monde, l’autre être humain en don.[13] » Interprétant donc avec un tel langage le récit de la création, on peut en déduire qu’elle constitue le don originel et fondamental: l’homme apparaît dans la création comme celui qui a reçu le monde en don et, vice-versa, on peut dire aussi que le monde a reçu l’homme en don.

Le don ou l’acceptation du don est total et irréversible. On le voit: le don de soi et sa réception par l’autre sont des réalités profondément liées. Cependant, l’initiative du don n’est pas exclusivement masculine, et la réceptivité exclusivement féminine. Les deux s’éclairent mutuellement: en se donnant l’homme reçoit et en recevant la femme se donne. La disposition fondamentale est la réception du don de Dieu: c’est seulement en recevant sa femme comme don de Dieu que l’homme peut vraiment se donner à elle. Dans ce cheminement intervient la liberté. Dans le sens où la liberté du don est le fondement de la signification sponsale du corps.

2. Signification sponsale du corps: Clé de la théologie du corps

2.1. Base de l’argumentation.

Cette expression est aussi l’un des concepts clés de la théologie du corps. C’est une notion fondamentale qui se retrouve tout au long des catéchèses sur l’amour humain ; elle en constitue la clé d’intelligence ou le principe architectonique, ainsi que le commente Yves Semen[14]. Elle désigne également, l’inscription dans le corps humain sexué de l’appel à aimer comme Dieu aime. Dès lors, si nous vivons conformément à la signification sponsale de notre corps, nous accomplissons la signification même de notre existence. Le corps humain crie de toutes ses forces: « je suis fait pour me donner totalement »[15].

Et lui-même le Saint Pape parle encore de la ‘’signification sponsale du corps’’, comme de la capacité du corps à exprimer l’amour. Dieu nous a créé l’un pour l’autre. Comme on peut le remarquer, c’est bien à travers l’herméneutique du don que l’auteur situe la signification sponsale du corps[16]. Jean-Paul II place au centre de toute l’argumentation ce concept clé. C’est donc cette signification sponsale de leurs corps que les époux sont appelés à exprimer dans l’acte conjugal s’ils peuvent le poser dans la vérité intégrale.

Concept le plus central et le plus important de la théologie du corps, la signification sponsale du corps est enracinée dans l’ordre ontologique —c’est-à-dire dans la nature et la bonté du corps masculin et féminin et de l’acte sexuel— et développée dans l’expérience consciente de l’homme et de la femme sous la forme du don, dans l’ordre intentionnel[17].

L’attribut ‘’sponsal’’ est assimilé à ‘’conjugal’’. Pour expliciter, cette notion de signification conjugale du corps, Jean-Paul II souligne: « Le corps humain avec son sexe, sa masculinité et sa féminité, vu dans le mystère même de la création est non seulement une source de fécondité et de procréation, comme dans tout l’ordre naturel, mais il comprend dès “l’origine” l’attribut “conjugal”, c’est-à-dire la faculté d’exprimer l’amour: précisément cet amour dans lequel l’homme-personne devient don et – par ce don – réalise le sens même de son “être” et son “exister”. Rappelons-nous ici le texte du dernier Concile où il est déclaré que l’homme est, dans le monde visible, “l’unique créature que Dieu a voulue pour elle-même”, ajoutant que cet homme “ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même »[18].

Désormais, la signification sponsale du corps doit être comprise selon les deux dimensions de la vie propre aux personnes que l’on trouve exprimée dans Gaudium et spes 24,3[19]: la conscience de la signification de son corps qu’a l’homme et la capacité qu’il a à exprimer l’amour (don), par son corps. Ainsi chacun – la femme pour l’homme et l’homme pour la femme – devient, par le moyen du corps, quelqu’un que le Créateur a voulu “pour lui-même”, c’est-à-dire l’unique, l’impossible à répéter: quelqu’un choisi par l’éternel Amour[20].

Qui plus est, la signification sponsale du corps est perfectionnée de manière virginale dans la vision béatifique[21]. Cependant, l’auteur des catéchèses parle de la ‘’signification unitive du corps’’[22] et de la ‘’signification procréative du corps’’[23] (qui est enracinée dans la signification sponsale du corps dont elle émerge organiquement) pour désigner les deux propriétés de l’acte conjugal. En d’autres endroits, il est fait mention de l’expression ‘’signification génératrice du corps’’[24].

Afin d’expliquer l’expérience du corps et la relecture de sa signification, le pape polonais établit que la conscience de la signification sponsale du corps constitue l’élément fondamental de l’existence humaine dans le monde[25]. Nous pouvons retrouver dans le même sens le point où il est fait mention de la ‘’conscience de la signification du corps’’[26].

2. 2. Découverte de la signification sponsale du corps

Jean-Paul II situe la signification sponsale du corps dans la création: elle est inscrite dans le corps depuis l’origine[27]; à partir de l’origine béatifique de ‘’l’être et de l’exister’’ de l’être humain comme homme et femme. Elle est une révélation et une découverte. C’est une découverte que l’homme fait; il se découvre en tant que corps, différent des autres créatures, un ‘’corps seul’’ en attente d’une aide assortie pour se comprendre: donc un corps fait pour le don, pour la communion des personnes où l’un existe pour l’autre. Celle-ci fait suite à la révélation qui définit la signification du corps en tant que ‘’sponsale’’ ou ‘’conjugale’’[28].

Il ajoute que: « Si nous parlons de révélation et, en même temps de découverte, nous le faisons en référence à la spécificité du texte yahviste dans lequel le fil conducteur théologique est également anthropologique ou, mieux encore, apparaît comme une certaine réalité vécue consciemment par l’homme.[29] »

3. Signification sponsale du corps dans l’enseignement du Christ

La première étape de l’argumentation de la théologie du corps se centre sur la signification sponsale du corps qui en constitue la clé de lecture. Elle se déploie en ses trois dimensions: dans le plan de Dieu aux origines, dans la lutte présente contre la concupiscence, et dans l’accomplissement futur par la résurrection. Ici nous retrouvons développée dans les catéchèses sur la théologie du corps une argumentation théologico-biblique à partir de trois textes de l’Ecriture Sainte reprenant les paroles prononcées par le Seigneur Jésus dans son enseignement, à savoir: Mt 19,3-9; Mt 5,27-28; Mt 22,23-30. Ce que l’on appelle le triptyque de la théologie du corps. Jean-Paul II en fait le fondement de la théologie du corps. Méthodologiquement, cet enseignement se retrouve dans les trois premiers cycles des catéchèses sur la théologie du corps.

3.1. Le Christ en appelle à l’Origine[30]

A propos de la ‘’signification sponsale du corps dans l’enseignement du Christ’’, Jean-Paul II, à travers son analyse théologico-biblique, met en relief l’expérience de la personne humaine à travers son corps. Le triptyque scripturaire de la théologie du corps (dont les textes des paroles du Christ évoquées dans le paragraphe précédent) offre un merveilleux enseignement que le pape polonais reprend à frais nouveaux. Le ‘’renvoi à l’origine’’ (ou le critère du renvoi à l’origine)[31] nous fait découvrir, non seulement « un tableau de la situation de l’homme —masculin et féminin— dans son état d’innocence originelle »[32], mais aussi « la base théologique de la vérité sur l’homme et sur sa vocation particulière qui provient du mystère éternel de la personne comme image de Dieu, incarnée dans le fait visible et corporel de la masculinité ou de la féminité de la personne humaine »[33].

Les catéchèses commencent avec la référence du Christ au commencement génésiaque[34], où nous rencontrons la « révélation de la vérité originaire de la personne humaine »[35]. Disons que la Bible décrit l’intention de Dieu comme l’origine ou le commencement. Dès lors, il s’ensuit, en premier lieu, que l’origine est la clé à partir de laquelle Jean-Paul II construit son anthropologie, parce qu’elle constitue le ‘’premier témoignage’’ de l’identité de l’être humain[36]; de la dignité et la vocation de l’être humain, créé à l’image et ressemblance de Dieu[37]; de la création de l’être humain en dualité: homme et femme (Gn 2,18-23)[38].

C’est ici qu’il faut souligner la révolution qu’opère Saint Jean-Paul II. A dire vrai, les chrétiens connaissent la réalité du péché originel, partant de l’instruction catéchétique reçue, mais on ne leur a pas donné une conscience vive, à travers une catéchèse pénétrante, de ces expériences qui précèdent le péché originel. En nous ramenant à l’origine, le Christ désire nous la donner. Saint Jean-Paul II est aujourd’hui l’interprète de ce désir. Le Christ veut que nous aussi, comme Adam et Eve, puissions avoir l’expérience de la solitude, de l’unité, et de la nudité. Il nous ramène en deçà du péché originel, à la condition de l’humanité telle qu’elle était sortie des mains de Dieu, avant que le péché originel n’ait été commis. C’est seulement de cette manière que nous pourrons comprendre la vraie signification de la vie humaine et de la sexualité[39].

Voilà la révolution! Et pour cela, avec raison bien sûr, George Weigel, biographe de Jean-Paul II, a qualifié la théologie du corps de ‘’bombe à retardement théologique’’, dont la détonation aura des conséquences exceptionnelles au cours du troisième millénaire de l’Eglise, affirmant que cet enseignement porte le changement théologique le plus profond que l’Eglise ait connu depuis des siècles sur chacun des thèmes majeurs du credo[40].

Pour mieux comprendre les intentions de Dieu en nous créant, l’auteur de la théologie du corps réfléchit en profondeur à l’expérience d’Adam et d’Eve au Paradis terrestre. Nous savons que cette expérience s’est terminée par le ‘’péché originel’’, dont les conséquences ont été désastreuses pour l’humanité (la concupiscence est alors entrée dans le cœur de l’homme; elle le pousse à vouloir se servir de l’autre comme objet de sa propre jouissance, à instrumentaliser l’autre et à le dominer). Mais en s’appuyant sur les deux premiers chapitres de la Genèse, Saint Jean-Paul II met en lumière trois autres expériences originelles de nos premiers parents, à savoir: la ‘’solitude originelle’’, l’‘’unité originelle’’ et la ‘’nudité originelle’’. L’expérience négative qui découle du péché originel nous est familière, car nous continuons à faire l’expérience de la faute et du péché. Par sa théologie du corps, le pape nous invite à faire l’expérience positive de la solitude, de l’unité et de la nudité. Il veut nous ramener ‘’au commencement’’, de sorte que nous puissions découvrir la vraie signification du corps humain et de la sexualité, c’est-à-dire le sens de la vie[41].

Qu’est-ce que notre auteur entend par ‘’expériences originelles’’? Il s’agit des expériences (trois) qui remontent à la période avant le péché originel. Il en parle en les considérant simultanément avec l’expérience du péché originel qui signifie, en chaque homme historique, « un état de grâce perdue »[42] et se comprend comme la rupture avec l’ « état d’innocence originelle » qui commence avec la « chute originelle »; ainsi que l’ « expérience de la connaissance et de l’amour du Christ » ou la « rédemption du corps[43] déchu » par laquelle le Christ a restauré les expériences originelles, en offrant son corps sur la croix dans un acte d’amour pour chacun de nous. Ce sont deux autres expériences, non de moindre valeur pour l’anthropologie biblique. Quand Jean-Paul II évoque les « expériences originelles de l’homme », il a plus à l’esprit leur signification profonde qu’une distance temporelle qui nous en sépare.

Les expériences humaines originelles se retrouvent expliquées par saint Jean-Paul II dans les catéchèses du premier cycle[44]. Et Jean-Paul II se concentre sur Gn 2, 15-25.

a) La solitude originelle

Nous lisons dans les catéchèses que le point de départ de cette réflexion nous est donné directement par les paroles suivantes du Livre de la Genèse: « Il n’est pas bon que l’homme soit seul: je veux lui faire une aide qui soit semblable à lui” Gn 2,18. C’est Dieu-Yahvé qui prononce ces paroles. Elles font partie du second récit de la création de l’homme et proviennent donc de la tradition yahviste. Comme nous l’avons déjà rappelé, il est significatif que le récit de la création de l’homme dans le texte yahviste forme un tout complet Gn 2,7 qui précède le récit de la création de la femme Gn 2,21-22. Il est également significatif que le premier homme (adam), créé du “limon du sol” est défini comme homme (‘is = mâle) seulement après la création de la première femme. Ainsi donc, lorsque Dieu-Yahvé se prononce au sujet de la solitude, il le fait en se référant à la solitude de l'”homme” en tant que tel et pas seulement à celle de l’homme “homme” (*). Certes il est difficile, en se basant seulement sur ce fait, d’aller trop loin dans les conclusions. Néanmoins, le contexte complet de cette solitude dont parle Gn 2,18, peut nous convaincre qu’il s’agit ici de la solitude de “l’homme” (homme et femme) et pas seulement de la solitude de l'”homme” homme, parce qu’il lui manque la femme. Il semble donc, si l’on se base sur le contexte tout entier, que cette solitude possède deux significations: l’une qui découle de la nature même de l’homme, c’est-à-dire de son humanité (et ceci ressort à l’évidence du texte de Genèse 2) et l’autre qui découle de la relation homme femme et ceci est d’une certaine manière évident sur la base de la première signification »[45].

Au fait, l’expérience de solitude originelle signifie deux choses: l’homme (en tant qu’homme-femme) est seul avec Dieu, dans une relation unique et directe avec Dieu (signification positive); l’homme voit qu’il n’y a pas de créature qui lui soit semblable (signification négative).

b) L’unité originelle

L’expérience d’unité originelle signifie que l’homme trouve sa perfection en découvrant un nouvel être (femme) à ses côtés, avec lequel ils « deviennent une seule chair »: ils se donnent et se reçoivent mutuellement, dans et à travers leurs corps[46].

Voici ce qu’en dit un passage de catéchèse 8:

« Les paroles de Gn 2,18: “Il n’est pas bon que l’homme soit seul” sont en quelque sorte le prélude au récit de la création de la femme. Avec ce récit, le sens de la solitude originelle vient s’intégrer dans la signification de l’unité originelle, dont l’élément-clé semble être précisément la phrase de Gn 2,24, dont le Christ se réclame lors de son entretien avec les pharisiens: “L’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme et les deux ne feront qu’une seule chair” Mt 19,5. Si, se référant à “l’origine”, le Christ cite ce passage, il nous convient de préciser la signification de cette unité originelle qui plonge ses racines dans le fait de la création de l’être humain comme homme et femme.[47] »

Les deux expériences (solitude et unité originelles) disent que nous sommes créés par Dieu pour être en relation avec lui et avec les autres; créés pour être en relation, en communion[48].

c) La nudité originelle

« La “nudité” signifie le bien originel de la vision divine. Elle signifie toute la simplicité et plénitude de la vision qui rend manifeste la “pure” valeur de l’être humain comme homme et comme femme, la “pure” valeur du corps et du sexe. La situation indiquée ainsi, de manière si concise et en même temps si suggestive par la révélation originelle du corps – comme cela résulte en particulier de Gn 2,25- ne connaît ni rupture intérieure ni contradiction entre ce qui est spirituel et ce qui est sensible, de même qu’elle ne connaît pas de rupture et de contradiction entre ce qui, humainement, constitue la personne et ce qui dans l’homme est déterminé par le sexe: ce qui est masculin et ce qui est féminin.[49] »

L’expérience de la nudité originelle est un signe de la liberté dans la communication, dans le don mutuel. Elle est nécessaire pour que l’unité originelle soit parfaite: pour que l’amour soit vrai il doit être librement donné et librement accueilli. Saint Jean-Paul II affirme précisément ceci:

« La révélation et, avec elle, la découverte originelle de la signification “conjugale” du corps consistent en la présentation de l’être humain, homme et femme, dans toute la réalité, la vérité de son corps et de son sexe (“ils étaient nus”) et en même temps dans la pleine liberté de toute contrainte du corps et du sexe. La nudité de nos premiers parents, intérieurement dépourvus de toute honte, paraît en témoigner. On peut dire que, créés par l’Amour, c’est-à-dire dotés dans leur être de masculinité et de féminité, ils sont nus tous les deux parce qu’ils sont libres tous les deux de la liberté même du don. Cette liberté se trouve précisément à la base de la signification conjugale du corps. Le corps humain avec son sexe, sa masculinité et sa féminité, vu dans le mystère même de la création est non seulement une source de fécondité et de procréation, comme dans tout l’ordre naturel, mais il comprend dès “l’origine” l’attribut “conjugal”, c’est-à-dire la faculté d’exprimer l’amour: précisément cet amour dans lequel l’homme-personne devient don et – par ce don – réalise le sens même de son “être” et son “exister”.[50] »

Il est certain que l’expérience de la nudité originelle et celle du péché originel nous permettent de comprendre que le corps humain est à la fois libre et déchu[51]. L’expérience de la connaissance et de l’amour du Christ nous permet de comprendre que le corps humain est racheté[52]. Cette rédemption s’opère pour les couples à travers le sacrement de mariage, qui est une source continuelle de grâces leur permettant de lutter victorieusement contre la concupiscence, ce double refus du don de soi à l’autre et de l’accueil de l’autre comme personne[53].

3.2. Le Christ en appelle au cœur humain

Dans le même ordre d’idée, le Saint Pape continue sa réflexion en se référant aux paroles du Christ s’adressant aucœurhumain (deuxième élément du triptyque des énoncés du Christ), dans les catéchèses du deuxième cycle[54] lorsqu’il aborde le thème de la rédemption du corps. Il s’y initie cette réflexion sur la chute de la vérité originaire et qui se poursuit au troisième cycle[55]. C’est ici qu’il développe le thème de la ‘’concupiscence de la chair’’ et de la ‘’pureté du cœur’’[56]. Et, en plus, il aborde également l’idée selon laquelle « le péché originel a blessé profondément la relation homme-femme »[57]. Enfin, il commente aussi l’idée de l’adultère dans le cœur en méditant longuement le passage du Sermon sur la montagne (Mt 5, 27-28)[58].

Comme l’expérience de l’innocence originelle connut la rupture à la suite du péché dit ‘’originel’’, le corps a perdu sa dimension sponsale[59]. D’où le Christ fait-il appel au Cœur de l’homme pour qu’il recouvre la ‘’pureté’’, c’est-à-dire ‘’la vie dans et selon l’Esprit’’; il fait appel à l’intimité de l’homme (au ‘’cœur’’) en indiquant le désir et la concupiscence de la chair la comme source du péché (cf. Mt 5, 27-32). Et enfin, à ces deux situations, celle d’avant le péché et celle de l’existence historique, s’ajoute une autre, celle de l’autre monde où le corps de l’homme est appelé à être délivré de la corruptibilité et de revêtir l’immortalité: c’est l’appel du Christ à la résurrection. Nous partons de l’homme de l’innocence originelle vers l’homme de la concupiscence (l’homme historique), pour aboutir enfin à l’homme de la résurrection[60].

3.3. Le Christ en appelle à la résurrection

Le Christ en appelle à la résurrection du corps comme réalité du ‘’monde futur’’, troisième élément du triptyque des énoncés du Christ. Dans ce dialogue, le Christ se réfère à la résurrection, dévoilant ainsi une dimension complètement nouvelle du mystère de l’homme[61].

En effet, à travers ce troisième dialogue, Jean-Paul II déduit des paroles du Christ sur la résurrection que la dimension de la masculinité et de la féminité– c’est-à-dire le fait d’être par le corps masculin et féminin– sera ainsi constituée d’une manière nouvelle dans la résurrection du corps dans l’’’autre monde’’[62]. Comme il convient de le noter, cette vérité à propos de la résurrection a une signification remarquable et profonde pour la formation de toute l’anthropologie théologique, qui pourrait être considérée simplement comme une ‘’anthropologie de la résurrection’’[63].

Relevons pour conclure que l’auteur des catéchèses sur la théologie du corps dit que tout ce qu’il a déployé pour comprendre les paroles du Christ trouve son fondement définitif dans le mystère de la rédemption du corps dont découlent ces paroles[64], qui est bel et bien la rédemption de l’homme et de la création ou du monde (dimension anthropologique et cosmique)[65].

Conclusion

La vocation à l’amour (cf. https://fr-tshionyi-lamerveille1.com/la-vocation-a-lamour-vocation-fondamentale-et-innee-de-la-personne-humaine/ vrai ) trouve son véritable fondement doctrinal dans la ‘’vérité sur l’homme’’, c’est-à-dire connaître, apprendre et mettre en relief une vision correcte de la personne humaine à la lumière de la Parole de Dieu, pour enfin illuminer, à travers cette vision, la réalité de la personne humaine et l’enseignement de la Parole de Dieu en ce qui concerne l’homme, la sexualité et le mariage. Voilà ce que saint Jean-Paul II a tenté de nous faire comprendre en rapprochant l’expérience humaine (l’homme) de la révélation divine (Dieu). Cet homme créé par amour et appelé à l’amour se comprend mieux à travers la signification sponsale inscrite dans son corps dès l’origine. Ainsi le pape Wojtyla avait-il défini l’amour comme don, en tant que vérité originaire de l’homme et vocation fondamentale de l’être humain. Ce dernier est un être essentiellement corporel. C’est la matière d’un autre article sur le mystère du corps dans la vision de l’auteur des Catéchèses sur ”l’amour humain dans le plan divin”.

Dr François Tshionyi Kazadi

Théologien spécialiste de Jean-Paul II


[1] K. Wojtyla, Amour et responsabilité. Etude de morale sexuelle (Paris 2014) 86. Sur la relation personne et amour, il faut lire aussi J.-J. Perez-Soba, La pregunta por la persona. La respuesta de la interpersonalidad. Estudio de una categoría personalista (Publicaciones de la Facultad de Teología San Dámaso, Madrid 2004).

[2] Catéchèse sur la théologie du corps, n° 13,2 du 02 janvier 1980.

[3] Cf. R. M. Gonzalez, Op.cit., 371.

[4] Cf. Ibid., 472.

[5] Cf. Catéchèse sur la théologie du corps, n°13, 2; 16,1.

[6] Catéchèse sur la théologie du corps, n° 16, 1 du 30 janvier 1980.

[7] Catéchèse sur la théologie du corps, n°. 14, 2 du 09 janvier 1980.

[8] Cf. Catéchèse sur la théologie du corps, n°13, 2; 14, 3; 15, 1; 23, 3; 25, 2; 26, 2.

[9] Cf. Catéchèses sur la théologie du corps, n° 13 du 2 janvier 1980.

[10] Cf. Ibid. 4.

[11] Cf. Ibid.

[12] Cf. Ibid. 14, 2 du 09 janvier 1980.

[13] Ibid.13, 4 du 02 Janvier 1980.

[14] Cf. Jean-Paul II, La théologie du corps: l’amour humain dans le plan divin. Introduction, traduction, index, tables et notes de Yves Semen (Cerf, Paris 2014) 96.

[15] Cf. P. Theillier, « Théologie du corps »: http://www.dioces-grenoble-viene.fr/tzr/scripts/dowmloader2.php.filename.

[16] Cat. 13 à 19.

[17] Catéchèse sur la théologie du corps, n° 13,1 du 2 janvier 1980 ; Cat. 14, 5-6 du 09 janvier 1980.

[18] Ibid., n° 15,1 du 16 janvier 1980.

[19]Cf. Ibid. n° 3-4.

[20] Cf. Ibid., n° 4.

[21] Cf. Ibid., n° 68, 3-4 du 16 décembre 1981 ; 69,4 du 13 janvier 1982 ; 71,5 du 3 février 1982.

[22] Cf. Ibid., n° 10, 4 du 21 novembre 1979.

[23] Cf. Ibid., n° 39, 5 du 10 septembre 1980; 69,5 du 13 janvier 1982.

[24] Cf. Ibid., n° 21, 2 du 12 mars 1980; 22, 5-7 du 26 mars 1980; 23, 5 du 02 avril 1980.

[25] Cf. Ibid., n° 81, 5 du 05 mai 1982; 103, 4 du 15 décembre 1982.

[26] Cf. Ibid., n° 6, 3 du 24 octobre 1979; 7, 1 du 31 octobre 1979; 9, 5 du 14 septembre 1979; 11, 3 du 12 décembre 1979.

[27] Ibid., n° 78, 4 du 14 avril 1982; 101,7 du 24 novembre 1982 ; 102,4 du 1er décembre 1982; 105, 2 et 5 du 12 janvier 1983; 118,5 du 08 août 1984; 125,1 du 31 octobre 1984; 113,3 du 04 juillet 1984.

[28] Ibid., 14, 5 du 09 janvier 1980.

[29] Ibid.

[30] Le thème de l’Origine est développé dans les catéchèses du premier cycle (1-23).

[31] Catéchèse sur la théologie du corps, n° 1,3 du 5 Septembre 1979.

[32] Cf. Catéchèse sur la théologie du corps, n° 2,1 du 12 septembre 1979;3,3-4 du 19 septembre 1979; 4,1-4 du 26 septembre 1979; 11, 4 du 12 décembre 1979; 12,1.3-4 du 19 décembre 1979; 15,5 du 16 janvier 1980.

[33] Cf. Ibid., n° 58,2 du 1er avril 1981.

[34] Jean-Paul II commence par ce passage de l’évangile selon Saint Matthieu (19, 3-12).

[35] Catéchèse sur la théologie du corps, n° 15,1.

[36] Jean-Paul II affirme dans la catéchèse 3,1 que le récit de Gn 2, ensemble avec Gn 3, forme le premier témoignage de la conscience humaine.

[37] Cf. Jean- Paul II, Mulieris Dignitatem 6.

[38] Cf. Catéchèse sur la théologie du corps, n° 2,3.

[39] Cf. A. Percy, La théologie du corps décomplexée. Introduction aux catéchèses de Jean-Paul II (Editions de l’Emmanuel, Paris 2007) 25-26.

[40] Cf. G. Weigel, Jean-Paul II, témoin de l’espérance (Jean-Claude Lattès, 2009), cité par A. Percy, op.cit,, 21.

[41] Cf. A. Percy, op.cit., 26.

[42] Catéchèse sur la théologie du corps, n° 4, 2.

[43] Cf. Cat. 49 du 3 décembre 1980; 86 du 21 juillet 1982.

[44] Cf. A. Percy, Op.cit, 25-45.

[45] Cf. Catéchèse sur la théologie du corps, n° 5, 2 du 10 octobre 1979; n° 06, 3 du 24 octobre 1979 ; n° 13 du 02 janvier 1980.

[46] Cf. Ibid., n°. 08 du 07 novembre 1979.

[47] Ibid., n° 08,1.

[48] Ibid., n° 09 du 14 novembre 1979.

[49] Ibid., n° 13,1 du 02 janvier 1980.

[50] Ibid., n° 15,1.

[51] Cf. A. Percy, Op.cit, 49.

[52] Cf. Ibid..

[53] Cf. Ibid., n° 23, 5 du 02 avril 1980; 101 du 24 novembre 1982; 102,4 du 1er décembre 1982.

[54] Cf. Ibid., n° 24 à 63, dont le cycle est intitulé: ‘’La rédemption du corps’’.

[55] Cf. Ibid, n° 64 à 72, cycle intitulé ‘’La résurrection de la chair’’.

[56] Cf. Ibid., n° 58, 3-4 du 01 avril 1981; 43, 5 du 8 octobre 1980.

[57] Ibid., n° 38 du 3 septembre 1980; 39 du 10 septembre1980.

[58] Cf. Ibid., n° 39, 4-5; 32, 3 du 23 juillet 1980; 43 du 08 octobre1980.

[59] Ibid., n° 40, 4 du 17 septembre 1980.

[60] Cf. Ibid., 86 du 21 juillet 1982.

[61] Lire les Catéchèses ur la théologie du corps, n° 64, 1 du 11 novembre 1981; 65, 2 du 18 novembre 1981; 66,1 du 2 décembre 1981.

[62] Cf. Catéchèse sur la théologie du corps, n° 66,4.

[63] Ibid., n° 66,6.

[64] Cf. Ibid., n° 86, 8.

[65] Cf. Ibid., 86, 2.

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