Introduction
Dans cette réflexion, je vais tenter de récupérer la figure de Jésus comme personnalité corporative du Nouveau Testament pour la rapprocher de la dimension communautaire de la vie en Afrique.
En effet, Jésus, Dieu sauve, sa mission est inscrite dans son nom; ce nom fait référence au peuple d’Israël, avec lequel Jésus a une relation intime. Dans les Evangiles, il s’illustre par des miracles et des actes en faveur du salut et de la vie. Dans la tradition Johannique, il se présente comme donneur de vie abondante.
Je voudrais faire un rapprochement avec le contexte anthropologique africain où l’individu a des obligations communautaires, lesquelles affectent tout son agir. Dans ce sens, il faut des choix conséquents qui honorent et font grandir la communauté et non la détruisent. Au nom de la liberté individuelle, il ne faut pas détruire la communauté.
- Ce qu’est la personnalité corporative
La mentalité biblique est caractérisée par ce qu’on appelle la personnalité corporative, qui veut dire la priorité de la communauté sur l’individu. Disons que cette perspective soutient toute une anthropologie de l’homme qui reçoit son identité de la famille, d’un tissu des relations familiale, fraternelle, sponsale, etc. Donc, la personnalité corporative dit ce que l’homme est fondamentalement, et la vision biblique de l’Ancien Testament l’a intégrée dans les textes sacrés.
En effet, il est évident que les idées corporatives qui ressortent de la Bible hébraïque sont susceptibles de nous offrir des éléments clés pour de nouvelles constructions théologiques qui prennent en compte l’importance de la manière dont l’individu assume des responsabilités communautaires. C’est bien une théologie qui convient opportunément à une époque où il s’avère que la plupart des problèmes contemporains relèvent de la communauté et sont globaux par nature. Delà à considérer qu’une pareille théologie met en relief, aussi bien la relation de Dieu avec la société qu’avec des individus qui la composent. Elle a le mérite de rendre les gens capables de comprendre la portée communautaire de leurs actions respectives. Voilà qui permettrait d’évaluer le sens des actes personnels de chacun, d’une part, et prendre conscience des conséquences éventuelles des choix à opérer, d’autre part. Ainsi comprendrons-nous que nous devrions agir, non pas pour notre propre intérêt, mais plutôt pour le grand bien de la communauté dans laquelle nous vivons et agissons comme membre et dont recevons la ferveur vitale.
2. La dimension communautaire de la vie en Afrique
Nous n’allons pas ici faire un exposé exhaustif de l’anthropologie africaine. Seul nous suffira un regard sur quelques aspects relatifs aux données anthropologiques de base qui proviennent de diverses études sur la ‘’culture africaine’’[1] et sur la vision de l’homme propre à la société africaine[2].
Le discours théologique négro-africain aujourd’hui se définit sur un consensus trouvé après divers tâtonnements entre les théologies dites d’inculturation, de libération, de reconstruction. Ce consensus porte sur la pertinence de la foi chrétienne aujourd’hui dans le contexte de la mondialisation de la révolution culturelle occidentale, entendue aussi comme interdépendance entre les peuples, mais aussi et surtout comme invasion démesurée des valeurs occidentales dans le monde et particulièrement en Afrique[3].
Certes, il y a plusieurs thèmes en rapport avec le débat théologique en Afrique. Nous osons évoquer ici entre autres deux thèmes qui intéressent notre sujet. Il s’agit d’abord du sens de la vie et ensuite du sens, de l’importance et de la place de la famille en Afrique.
En effet, la famille africaine est reconnue comme le lieu de naissance du sujet à lui-même et à la société. C’est le lieu où tout individu vient au monde, fait sa première expérience de la gratuité du don de la vie, de l’amour, de l’hospitalité, de la solidarité: c’est là qu’il se comprend en lien avec les générations passées, présentes et futures; c’est là où il intériorise et assimile les valeurs morales et sociales sans lesquelles il ne peut grandir en humanité. La famille est pour ainsi dire le premier creuset d’humanisation et de socialisation[4].
Face à la nouvelle éthique mondiale que prône la culture postmoderne, laïque et séculière, l‘anthropologie africaine émerge et préconise des valeurs traditionnelles en faveur aussi bien de la personne que de la vie. Le Père Ruffin Mika Mfitzsche nous en cite entre autres: 1. la dignité de la femme, épouse mère et éducatrice, elle est l’être sexué par excellence, première gardienne et protectrice de la vie; 2. le mariage comme union conjugale sacrée entre un homme et une femme; 3. l’importance de la fécondité: elle est un des plus grands dons accordés à l’homme par Dieu, la valeur existentielle la plus haute, la première expression du triomphe de la vie sur la mort, l’une des valeurs sociales les plus importantes; 4. l’enfant comme don et comme le plus grand et le plus expressif de tous les biens, un bien inestimable, un signe palpable d’un surcroît d’être; 5. l’hospitalité comme accueil par excellence du prochain, attention inconditionnelle à l’autre, disponibilité illimitée, don de soi et dévouement, de sollicitude, de générosité, est un acte d’amitié et d’ouverture à l’autre sans condition, sens de la fraternité[5].
Quant au sens de la vie comme valeur suprême, l’œuvre illustre du Père Placide Tempels, La philosophie bantoue, publiée en 1948, affirme que le « comportement des bantous est centré sur une seule valeur: la force vitale. Cette valeur suprême est la force, vivre fort ou force vitale. La force, la vie puissante, l’énergie vitale sont la cause des prières et des invocations à Dieu, aux esprits et aux défunts, …»[6].
Assurément, Tempels établit une ontologie négro-africaine qui selon lui repose sur la force vitale. Cette force vitale structure toute l’existence de l’être africain. Toute sa quête de plénitude consiste dans le renforcement de sa force vitale. Il en déduit que de cette même force vitale découlent sa liberté et son éthique. Pour lui, ce dont le ‘’nègre’’ a le plus besoin, ce n’est pas de développement économique, mais de la reconnaissance de sa dignité et de sa valeur humaine, ainsi que du moyen de faire croître sa force vitale[7]. Nombreux anthropologues et théologiens abondent dans le même sens que le père belge Placide Tempels.
Pour le père jésuite camerounais Mveng, on ne doit pas s’arrêter à la force vitale comme à une donnée ontologique. Ce qui est intéressant, c’est la victoire de la vie sur la mort et donc la dimension de drame anthropologique qu’elle enveloppe. Il affirme que la vie se personnalise ainsi en l’homme par la conquête de l’existence. La vie de l’homme vivant ne se borne pas au fait biologique, elle inclut son affirmation par un combat aux multiples dimensions : individuelle, communautaire, historique et supra-historique. Dès lors, surenchérit Mveng, « La vocation propre de la personne humaine est d’assurer le triomphe de la vie sur la mort » (Mveng 1985,12). Ce que cela implique de négatif. Mveng poursuit en effet : « C’est la raison pour laquelle, dans nos traditions, celui qui n’avait pas réalisé cette victoire ne pouvait être une personne. Il n’était qu’un projet raté » … « pour être une personne il faut qu’on soit une personnalité » (Mveng 1985,13)[8].
L’anthropologie immanente de la vie est en effet aussi une anthropologie sociale. Qu’il suffise de relever que l’anthropologie africaine comporte une conception propre du temps et de la vie, articulée autour de la catégorie de ‘’l’être-vie’’. Synonyme de la vie, le temps nous invite à l’espérance, à l’inventivité et à faire vibrer le monde au rythme de la vie, de la vie faite chair[9], écrit Nathanaël Yaovi Soede:
« Dans cette conception africaine du temps, poursuit-il, qui trouve son fondement dans l’anthropologie de la vie, le monde est conçu comme un milieu de vie, un royaume de vie: une vie dynamique, qui est une lutte permanente contre la mort; et la personne humaine est conçue comme vie, son essence est d’être une vie victorieuse de la mort, une vie qui n’existe que dans et par l’action pour le triomphe de la vie sur la mort. Et la vie de l’être humain et du cosmos est une « vie-avec celle de Dieu » considéré comme La Plénitude par qui ceux-ci existent, la «Totalité-vie» sur laquelle la mort n’a pas de prise.[10] »
Bref, les Africains aiment et célèbrent la vie. Pour eux, la vie est le bien suprême, le don sacré par excellence de l’Au-delà. On peut effectivement discerner à travers la richesse du langage cet aspect de l’importance de la vie dans l’anthropologie africaine. Evidemment, le langage des africains met en relief l’homme comme ‘’l’être avec’’ et non comme ‘’l’avoir’’. Un exemple patent suffit: dans les quatre langues nationales de la République Démocratique du Congo, le verbe ‘’avoir’’ n’existe pas dans le sens où il est employé en français ou en anglais: avoir signifie ‘’être avec’’. Ainsi, ‘’j’ai une voiture’’ se dit littéralement ‘’je suis avec une voiture’’. Si la vie de tant d’hommes et des femmes en Afrique et dans le monde est banalisée par les forces négatives, c’est en grande partie parce que l’ordre des choses a été renversé[11].
L’avoir attire davantage le regard que l’être. Par ailleurs, dans une ethnie bantoue du centre du Congo, l’ethnie luba dont nous sommes descendant, la salutation ordinaire est un souhait de vie à l’autre : « muoyo web’au », l’équivalent en français de ‘’bonjour’’ ou de ‘’buenos días’’ espagnol, signifiant : ‘’je te souhaite la vie’’.
Comme l’exprime avec aisance Lambert Museka :
« Loin donc de se référer aux différentes périodes de la journée comme ailleurs où l’on dit : ‘’Bonjour, bon après-midi’’, ‘’bonsoir’’, ‘’bonne nuit’’, la salutation luba va plutôt au plus fondamental de tous les souhaits du cœur humain : ni la joie, ni le bonheur, ni la fortune ni la paix, mais leur synthèse : la vie, la vie aussi abondante que faire se peut.[12] »
Cependant, comment se laisse voir la dimension communautaire de la vie chez l’Africain ? En fait, l’Africain se caractérise par le moi-communautaire. La tradition africaine prend au sérieux la présence d’autrui dans notre vie, c’est cela la Vie. Vivre, c’est vivre avec, au-dedans de soi comme au dehors de soi. Le primat du ‘’nous’’ sur le ‘’je’’ est une exigence de nature, en Afrique noire. L’autre est aussi immanent en nous-mêmes, de telle sorte que, en fait, nous ne nous appartenons pas en propre. Nous appartenons à tous ceux qui nous habitent. On ne renonce pas impunément à l’immanence mutuelle en Afrique. Cette immanence mutuelle est plutôt appelée à transcender même les vicissitudes de la vie, puisque, encore une fois, l’appartenance mutuelle, c’est cela la Vie. Celle-ci ne mérite du reste ce nom que quand elle rend l’homme capable d’ « irréversibiliser » ses liens et de ne se sentir achevé que par ce tissu d’inter-liaisons[13].
Faisons-le remarquer tout de suite ! En Afrique, l’homme est conscient que cette exigence de nature ne peut pas être comblée au plan humain, au-dedans de l’homme comme en dehors de lui. Un recours à un plus grand que soi, absolu, lui rassure dans ses luttes quotidiennes contre les forces négatives qui empêchent l’intégration et l’harmonie communautaire. Cette soif de l’absolu est dans le sang. C’est pourquoi, aussi, le sens du sacré est une composante essentielle de la personnalité africaine de statut. C’est pourquoi, enfin, la foi va presque de soi sur le continent africain. En quoi donc devrait-elle consister si une inculturation de la vie que Jésus-Christ donne lui est appliquée ?[14]
Cela nous introduit à la vision évangélique de la vie qui vient de Jésus-Christ pour nous enrichir.
3. Relation entre la personnalité corporative en Jesus-Christ et la dimension communautaire de la vie en Afrique.
Voici le passage intégral de Benoît XVI dans l’Exhortation Apostolique postsynodale Africae munus :
« Dans la vision africaine du monde, la vie est perçue comme une réalité qui englobe et inclut les ancêtres, les vivants et les enfants à naître, toute la création et tous les êtres : ceux qui parlent et ceux qui sont muets, ceux qui pensent et ceux qui n’ont point de pensée. L’univers visible et invisible y est considéré comme un espace de vie des hommes, mais aussi comme un espace de communion où des générations passées côtoient invisiblement les générations présentes, elles-mêmes, mères des générations à venir.[15] »
Comment théologiser sur ce sujet englobant qu’est ‘’la vie’’? Comment comprendre l’élaboration théologique africaine de la vie? En effet, lorsqu’on fait de la théologie dans un contexte où la vie est recherchée comme le don sacré par excellence, les paroles de Jésus en rapport avec la vie ne peuvent passer inaperçues; elles sont au contraire d’emblée mises sur un piédestal : « Je suis venu vous apporter la vie, et je vous l’apporte abondante » (Jn 10,10b). Cette vie, Jésus l’apporte de chez son Père qui en est la source, et elle passe par la foi en Jésus : « quiconque voit le Fils et croit en lui, a la vie éternelle » (Jn 6,40)[16].
Avec raison, Heyer et Kabasele notent:
« L’évangile de Jean, à ce sujet, paraît être un développement particulier de cette veine de la vie divine. Mais qu’est-ce que la vie divine qu’apporte Jésus? Est-ce un surplus ajouté à la vie humaine, une sorte de ‘’surhumanité’’? Non, c’est le lieu de l’accomplissement dans la vie humaine: nos soifs d’eau et nos faims de nourriture sont assouvies dans la vie divine (la Samaritaine, la foule rassasiée de pain après la multiplication)! Nous connaissons un renouvellement de vie qui ne s’épuise pas, nous vieillissons sans vieillir (Nicodème), nous mourons sans cesser de vivre (à Marthe et Marie dont Jésus ressuscite le frère). La vie dont le Christ a le secret est l’accomplissement d’une plénitude vitale qui nous fait participer à la joie divine d’exister, à la communion avec le Père, à travers le Fils, comme les sarments sont en communion avec la vigne (Jn 15,4-6).[17] »
En effet, « Dans le cadre de l’inculturation africaine, la foi devient une ouverture à un plus grand que soi, absolu, qui est en même temps amour ». Avec l’incarnation de Jésus de Nazareth, Dieu s’est mis à la portée de l’homme. Le Christ, en effet, comme le montre le quatrième évangile, est venu communiquer aux hommes cette capacité de vivre des liens qui l’unissent à son Père et au Saint-Esprit : une identification mutuelle, qui en fait trois personnes en un seul être. Il s’agit là d’une réponse à l’aspiration africaine à une vie à base d’un moi-communautaire où les personnes s’animent mutuellement du dedans. Une telle vision de foi chrétienne approfondirait la présence ‘’inter-subjectivante’’ de Dieu dans les cœurs, en prolongement de l’interaction trinitaire. De la sorte, l’homme africain atteint, dans la foi chrétienne, cette intégration à laquelle il aspire, de par sa structure mentale de statut[18].
Ainsi donc, la « foi chrétienne est aussi une réponse à l’aspiration africaine à l’intégration humaine ». Par sa mort en croix, le Christ entraînait tous les siens vers la source de la vie : « Ils regarderont vers celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19,37). Ainsi du sacrifice du sang qui n’était qu’un symbole à base d’une chose matérielle entre Yahvé et son peuple, on passait à une médiation personnalisante, qui n’était pas autre chose qu’une personne insérée au cœur de notre existence pour nous surélever[19].
A présent approfondissons le phénomène du ‘’moi-communautaire’’. Il convient d’affirmer que, par le biais de la foi chrétienne, la vie des croyants devient une acquisition d’un ‘’moi-communautaire’’ dont le Christ est le foyer. De la sorte, le chrétien, en s’engageant à suivre la voie d’un homme qui s’est présenté comme l’Amour incarné et l’a démontré par sa vie, devient, plus que jamais, un homme pour les autres. Il se détourne de la recherche traditionnelle de complément, motivation de base de cette affinité africaine de l’homme pour l’homme, pour se sentir constitué, au plus profond de lui-même, par cet élan de service gratuit qui est le seul prolongement possible de Dieu de Jésus-Christ. Alors il se mettra à la disposition des autres pour valoriser ce qu’ils ont de plus original. Il s’identifiera à tous les gens qu’il rencontrera, car le moi-communautaire que le Christ est venu instaurer dans le monde doit s’étendre à tous les hommes.[20]
Pour terminer ce point, notons que l’homme qui a accepté de placer le christ au cœur de sa réalisation de soi, ne peut que d’abord chercher à se convertir face au mystère de l’intériorité d’autrui, car celle-ci est à l’image de Dieu. En Afrique, le voisin faisait partie intégrante de l’homme. Mais la foi ajoute à cela une chose : Jésus-Christ c’est cette force ou plutôt cette personne qui attire les hommes les uns vers les autres. De la sorte, le chrétien, par sa vie, témoigne de cette vérité : on ne peut se détourner de l’homme et découvrir Dieu (1Jn 2,3-11 ; 3,14-24)[21].
Sans nul doute, et c’est le moment de le dire, l’homme africain vit d’ouverture. En Afrique, se réaliser, c’est avoir quelqu’un pour qui s’engager, en qui prolonger et dilater son ‘’moi-communautaire’’. Cette fonction est remplie au plus haut point par la présence d’un enfant en famille. Cependant, l’inculturation de la Vie que Dieu donne dans l’élan africain vers la vie communautaire peut donc répondre adéquatement à cette aspiration : s’achever dans et par les autres. En se présentant comme l’Amour subsistant, l’Amour incarné, Jésus-Christ prolonge et radicalise ce refus, déjà traditionnel, de considérer les hommes comme des êtres capables de se réaliser en étant juxtaposés. Il crée entre les hommes une solidarité basée sur le don de soi ; une solidarité qui confère une vigueur accrue ; une surabondance de vitalité ; une décision de marcher ensemble sous peine de nous tuer nous-mêmes ; bref, une capacité de donner notre vie les uns pour les autres, dans un climat de coresponsabilité sans failles. En fait, cette aspiration à une vie comme un tissu d’inter-liaisons, le Christ est venu l’assumer et l’achever : créer entre les hommes ces liens qui l’attachent au Père et au Saint-Esprit : une immanence et identification sans pareille[22].
Par ailleurs, la vie de l’homme est un chemin qui commence dès la naissance et culmine dans la mort ; celle-ci a une signification pour le chrétien et pour l’africain traditionnel. La mort est une ouverture vers la vie du ciel pour le premier (le chrétien) et comme accès à la vie au sein du village des ancêtres pour le second (l’africain). Voilà ce qui nous permet d’articuler ici la dimension communautaire de l’espérance chrétienne. Dans la perspective de la dimension d’une vision communautaire et horizontale de l’incarnation et de la résurrection, ni la souffrance, ni le refus de l’homme par l’homme ne peuvent avoir raison sur nous. L’espérance chrétienne devient comme un roc sur lequel les faibles peuvent s’appuyer pour ne pas tomber. Le Christ précisément montre combien la résurrection est le résultat ultime d’une mort conçue comme don de soi totalisant. Les apparitions du Ressuscité ont eu pour but, en effet, de monter la capacité de Dieu à créer la vie à partir de la mort. Si on voulait nous permettre une tautologie, nous dirions que la mort a cessé d’être mortelle. Au contraire, le Christ, en mourant à la vie visible, s’est révélé plus agissant dans les siens qu’avant son passage de ce monde au père.[23]
Cette conviction certaine à propos de la vie après la mort était bien remarquable en Afrique traditionnelle. Comme le souligne pour nous, Adrien Ntabona, « l’homme sage en Afrique était conscient que, s’il allait derrière lui un idéal, le meilleur de lui-même ne pouvait pas mourir. Aussi ne se préoccupait-il pas outre mesure de son sort individuel dans l’outre-tombe ; et le spectre de la mort ne réussissait pas à paralyser ou désagréger ses énergies à l’heure du grand départ vers les Ancêtres. Ceci constitue une base d’inculturation très solide pour l’approfondissement de ce foyer eschatologique où toutes les personnalités seront recueillies et achevées. Concrètement, évidemment, nous ne saurons jamais, de notre vivant, comment cela se présentera.[24] »
Et de surenchérir, Adrien ajoute, en nous invitant à la certitude que la véritable vie naît de notre ‘’présence dans les autres’’ (en Afrique, plus qu’ailleurs, l’homme se sent habité par des Ancêtres qu’il ne voit pas, mais qui conditionne toute son existence) comme Jésus-Christ qui habite en nous et parmi nous pour nous donner la vie de Dieu:
« Depuis que l’incarnation, la mort et la résurrection du fils de Dieu ont mis le divin à la portée des hommes, en effet, le futur n’est plus une indétermination pure. La vie est un vaste mouvement dirigé par celui qui est venu nous révéler les secrets de Dieu. Le succès final est une certitude. Mais pour se préparer à ce succès final appelé à rendre irréversible tout ce qui aura été bon dans les efforts des hommes, l’espérance chrétienne pose une condition : passer par le prochain. Il faut donc aller vers autrui et par lui pour atteindre Dieu. Après tout, le mal ce sont les distances entre les cœurs. Le Christ est précisément venu inviter chaque homme à se sentir investi des forces et des responsabilités de tout l’univers. De a sorte, les inter-liaisons et cohésions que l’on crée autour de soi, il les a retranchées du domaine du destructible. Croire dans le Christ et aimer sous son impulsion, c’est vivre une vie qui se situe au-delà de la mort. Celui-ci en effet nous a révélé qu’il constitue le fond et l’étoffe de la montée humaine. En sacrifiant notre débilitante individualité, nous retrouvons au plus haut point un foyer où sont ramassés les meilleurs de nos efforts.[25] »
CONCLUSION
En réfléchissant sur les thèmes théologiques de l’Ancien au Nouveau Testament : dans la perspective de l’anthropologie et l’eschatologie, nous avons eu l’occasion d’approfondir le thème de la dimension communautaire de la vie en Afrique. En effet, toute anthropologie humaine ouverte à la vie se ressource dans le Christ et s’enrichit avec la vertu de l’amour qu’il nous a prêché. On a souvent reproché à la solidarité africaine ses limites la confinant au clanisme, au tribalisme ou à l’ethnocentrisme. C’est bien une tare dans la vie de beaucoup d’africains qui vivent une fraternité fort limitée exclusivement aux siens. La personnalité corporative du Nouveau Testament nous offre l’opportunité de revisiter les Ecritures Saintes où nous rencontrons la révélation du Fils de Dieu qui est venu éliminer toutes nos frontières et nous apprendre une fraternité sans frontière, c’est dire que le moi-communautaire traditionnel africain se retrouve guéri et corrigé par la foi au Christ qui nous dit en Matthieu : « Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? » (Mt 5,47). La vie, aspiration fondamentale et socle de l’anthropologie négro-africaine est enrichie par la vie du Christ qui est venu pour que nous ayons la vie et que nous l’ayons en abondance. Christ nous ouvre l’horizon d’une espérance solide dans la vie pleine en Dieu, au-delà de l’adversité et des contingences de notre condition mortelle. La charité du Christ, la Foi au Christ et l’espérance en la vie qui ne tarit jamais (perspective de la rédemption), voilà les trois vertus qui doivent cimenter une anthropologie de la vie en Afrique et dans le monde. L’Afrique, aujourd’hui comme hier, est appelée à donner sa contribution au triomphe de la vie partout sur notre planète.
François Tshionyi Kazadi
Septembre 2018