ven. Mai 23rd, 2025
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Pour résoudre tous les problèmes actuels relatifs aux déviations éthiques sur la relation homme-femme, le mariage, la famille, etc. retournons à l’Origine, à la création pour découvrir le dessein de Dieu sur l’être humain qu’il a créé dans sa dualité homme et femme. Les deux, égaux en humanité et en dignité, doivent se complèter et réaliser la plénitude de la communion. Donc, la différence sexuelle est naturelle et voulue par le Créteur lui-même. Vouloir s’opposer, au nom des convictions idéologiques, sécularistes ou progressistes, au plan divin pour enseigner de fausses anthropologies est une imposture par laquelle s’illustrent les ideologues du genre et les mécaniciens du sexe de notre siècle en péril. Soyez avertis. “Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser” (Rm 12, 2). Et Saint Jean-Paul II l’avait bien compris. Relisons avec foi et humilité ses Catéchèses sur la théologie du corps pour un renouveau dans la société actuelle:

Ce premier thème réunit 3 catéchèses prononcées par le pape Jean Paul II, du 05 au 19 septembre 1977, dès le début de son pontificat, inaugurant ainsi une série de 134 catéchèses sur “l’amour humain dans le plan divin” ou la “théologie du corps”. En voici l’essentiel :

TDC 001 : À l’écoute du Christ sur l’origine de la famille

1. Depuis un certain temps des préparations sont en cours en vue de la prochaine assemblée ordinaire du Synode des évêques qui se déroulera à Rome à l’automne de l’année prochaine. Le thème de ce Synode: “De muneribus familiae christianae” (Fonctions de la Famille chrétienne) focalise notre attention sur cette communauté de vie humaine et chrétienne qui est fondamentale dès l’origine. Nous voulons nous demander ce que signifie cette expression: “l’origine”. Nous voulons en outre mettre au clair la raison pour laquelle le Christ se réclame de “l’origine” précisément dans cette circonstance et, pour cela, nous nous proposons une analyse plus précise du message correspondant de l’Ecriture sainte.

2. Deux fois, au cours de son dialogue avec les pharisiens qui l’interrogeaient sur l’indissolubilité du mariage. Jésus Christ fait mention de “l’origine”. Voici comment s’est déroulé l’entretien: “… Des pharisiens s’approchèrent de lui et lui dirent pour le mettre à l’épreuve: “Est-il permis de répudier sa femme pour n’importe quel motif?” Il répondit: “N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès l’origine, les fit homme et femme et qu’il dit: Ainsi donc l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme et les deux ne feront qu’une seule chair? Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien! ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer.” “Pourquoi donc, lui disent-ils, Moïse a-t- il prescrit de donner un acte de divorce quand on répudie?” Jésus leur répondit: “C’est en raison de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes, mais à l’origine il n’en a pas été ainsi”” Mt 19,3 Mc 10,2.
Le Christ n’accepte pas la discussion au niveau où ses interlocuteurs cherchent à la situer; d’une certaine manière il n’approuve pas la dimension que ceux-ci cherchent à donner à la question. Il évite de se laisser entraîner dans une controverse de casuistique juridique; et par contre, il se réclame à deux reprises de “l’origine”. Il fait ainsi une référence explicite aux expressions correspondantes du Livre de la Genèse que ses interlocuteurs eux aussi connaissent par cœur. C’est sur ces mots de la révélation antique que le Christ appuie sa conclusion et que se termine l’entretien.

3. “Origine” signifie donc ce dont parle Gn 1,27 que cite le Christ, en le résumant: “Le Créateur, dès l’origine, les fit homme et femme”, alors que le texte original complet déclare explicitement ceci: “Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa; homme et femme il les créa”. Puis le Maître se réclame de Gn 2,24: “C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’unira à sa femme et ils deviendront une seule chair”. En citant ces paroles en entier, pour ainsi dire in extenso, le Christ leur donne un sens normatif encore plus explicite (on pourrait en effet supposer une valeur d’affirmation de fait aux termes du Livre de la Genèse; “quittera… s’unira… ils deviendront une seule chair”). Le sens normatif est plausible parce que le Christ ne se limite pas seulement à la citation elle-même mais ajoute: “Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas”. Ce “qu’il ne le sépare pas” est déterminant. A la lumière de ces paroles du Christ, Gn 2,24 énonce le principe de l’unité et de l’indissolubilité du mariage comme le contenu même de la parole de Dieu, exprimé dans la révélation la plus ancienne.

4. On pourrait estimer qu’ici la question est épuisée, et dire que les paroles de Jésus Christ confirment la loi éternelle qui a été formulée et instituée par Dieu dès “l’origine” comme la création de l’homme. Il pourrait aussi sembler que le Maître, dans sa confirmation de la loi primordiale du Créateur, ne fasse rien d’autre que d’établir exclusivement son propre sens normatif, en se réclamant de l’autorité même du premier législateur.
Cependant cette expression significative “dès l’origine”, deux fois répétée, conduit clairement les interlocuteurs à réfléchir sur la façon selon laquelle dans le mystère de la création l’homme a été formé précisément, comme “homme et femme”, pour comprendre correctement le sens normatif des mots de la Genèse. Et ceci n’est pas moins valable pour les interlocuteurs d’aujourd’hui que pour ceux d’autrefois. C’est pourquoi, dans cette étude, en raison de ce fait, nous devons bien nous mettre dans la situation des interlocuteurs actuels du Christ.

5. Au cours des réflexions des mercredis à venir, pendant les audiences générales, nous chercherons, en qualité d’interlocuteurs actuels du Christ, à nous arrêter plus longuement sur les paroles de Mt 19,3. Pour répondre à l’indication que le Christ y a incluse, nous chercherons à pénétrer vers cette “origine” à laquelle il s’est référé d’une manière tellement significative et, ainsi, nous suivrons de loin le grand travail qu’entreprennent dès maintenant les participants au prochain Synode des évêques. Avec eux y participent de nombreux groupes de pasteurs et de laïcs qui se sentent une responsabilité particulière en ce qui concerne les fonctions que le Christ propose au mariage et à la famille chrétienne: fonctions qu’il a toujours proposées et qu’il propose encore aujourd’hui au monde contemporain.
Le cycle de réflexions que nous commençons aujourd’hui avec l’intention de le poursuivre pendant les prochaines rencontres du mercredi, a également, par ailleurs, le but d’accompagner pour ainsi dire de loin les travaux de préparation au Synode, sans en toucher directement le thème, mais en tournant notre attention vers les racines profondes d’où il jaillit.

(Audience du 5 septembre 1979 près La Place Saint-Pierre de Rome).

TDC 002 – Dès l’origine le créateur les fit homme et femme

1. Mercredi dernier nous avons entamé le cycle de réflexions sur la réponse que le Christ Seigneur fit à ses interlocuteurs qui l’interrogeaient au sujet de l’unité et de l’indissolubilité du mariage. Ses interlocuteurs, des pharisiens comme nous nous en souvenons, en ont appelé à la loi de Moïse; le Christ, par contre, s’est réclamé de “l’origine”, citant les paroles du Livre de la Genèse.
Dans le cas présent, l'”origine”, c’est ce qui se trouve dans l’une des premières pages du Livre de la Genèse. Si nous voulons analyser cette réalité, il nous faut évidemment nous tourner avant tout vers le texte. En effet les paroles que prononce le Christ dans son colloque avec les pharisiens et que nous rapportent les évangiles de Mt 19,4 et Mc 10,2 constituent un passage qui à son tour s’encadre dans un contexte bien défini, sans quoi on ne saurait ni les comprendre ni les interpréter correctement. Ce contexte est déterminé par les paroles: “N’avez-vous pas lu que, dès l’origine, le Créateur les fit homme et femme…? Mt 19,4, et se réfère à ce qu’on appelle le récit de la création de l’homme, inséré dans le cycle des sept jours de la création du monde Gn 1,1-2,4. D’autre part, le contexte dont se rapprochent le plus les autres paroles de Jésus, tirées de Gn 2,24 est ce qu’on appelle le second récit de la création de l’homme Gn 2,5-25, mais, indirectement, c’est tout le troisième chapitre de la Genèse. Dans sa conception et dans son style le deuxième récit de la création de l’homme forme un tout avec la description de l’innocence originelle, de la félicité de l’homme et, également, de sa première chute.
Etant donné le caractère spécifique du contenu qui s’exprime dans les paroles du Christ, tirées de Gn 2,24, on pourrait également inclure, dans le contexte au moins, Gn 4,1 qui traite de la conception et de la naissance de l’homme dues à des parents terrestres. C’est ce que nous entendons faire dans la présente analyse.

2. Du point de vue de la critique biblique, il faut rappeler tout de suite que le premier récit de la naissance de l’homme est chronologiquement postérieur au second. Celui- ci a une origine bien plus lointaine. Ce texte plus ancien est appelé “yahviste” parce que, pour nommer Dieu, il se sert du terme “Yahvé”. On ne saurait que difficilement rester impassible devant le fait que l’image de Dieu ici présentée a des traits anthropomorphiques assez remarquables (en effet nous lisons notamment que “… le Seigneur Dieu modela l’homme avec la glaise du sol et insuffla dans ses narines une haleine de vie” Gn 2,7. En comparaison avec cette description, le premier récit, celui donc que l’on tient pour le plus récent, est beaucoup plus mûr tant en ce qui regarde l’image de Dieu que dans la formulation des vérités essentielles sur l’homme. Ce récit provient de la tradition sacerdotale et, en même temps “élohiste”, de Elohim, terme utilisé pour désigner Dieu.

3. Etant donné que, dans ce récit, la création de l’être humain comme homme et comme femme à laquelle se réfère Jésus dans sa réponse selon Mt 19,4 est insérée dans le rythme des sept jours de la création du monde, on pourrait lui attribuer un caractère surtout cosmologique: l’homme et le monde visible viennent à être créés ensemble; mais en même temps le Créateur ordonne à l’homme de maîtriser et dominer la terre Gn 1,28: il est donc placé au-dessus du monde. Bien que l’homme soit ainsi lié si étroitement au monde visible, le récit biblique ne lui attribue cependant aucune ressemblance avec les autres créatures, mais seulement avec Dieu: “Dieu créa l’homme à son image; à son image Dieu le créa…” Gn 1,27. Dans le cycle des sept jours de la création se révèle à l’évidence une gradation très précise, (*) l’homme par contre n’est pas créé suivant une succession naturelle; il semble que le Créateur se soit arrêté avant d’appeler à l’existence, comme s’il avait voulu réfléchir avant de prendre une décision: “Faisons l’homme à notre image, à notre ressemblance…” Gn 1,26.

(*) Parlant de la matière non vivifiée, l’auteur biblique adopte différents termes comme “sépara”, “appela”, “fit”, “plaça”. Parlant au contraire d’êtres dotés de la vie, il emploie les termes “créa” et “bénit”. Dieu leur ordonna “soyez féconds et multipliez-vous”. Cet ordre se réfère tant aux animaux qu’à l’homme, indiquant que la corporéité leur est commune Gn 1,22 Gn 1,28. Toutefois, dans la description biblique, la création de l’homme se distingue essentiellement des précédentes oeuvres de Dieu. Non seulement elle est précédée d’une solennelle introduction, comme s’il s’agissait d’une délibération de Dieu avant cet acte important, mais surtout l’exceptionnelle dignité de l’homme est mise en relief par la “ressemblance” avec Dieu, dont il est l’image. En créant la matière non vivante Dieu “séparait”; aux animaux il ordonna d’être féconds et de se multiplier, mais c’est seulement au sujet de l’homme que la différence de sexe est soulignée (“homme et femme les créa”), bénissant en même temps leur fécondité, c’est-à-dire le lien des personnes Gn 1,27-28

4. Le niveau du premier récit de la création de l’homme, même s’il est chronologiquement postérieur, est surtout de caractère théologique. L’indice en est dans la définition de l’homme basée sur sa relation avec Dieu (“à l’image de Dieu le créa”), ce qui contient en même temps l’affirmation qu’il est absolument impossible de réduire l’homme au “monde”. Déjà à la lumière des premières pages de la Bible, on constate que l’homme ne saurait être compris ni expliqué à fond selon les catégories empruntées au “monde”, c’est-à-dire au complexe visible des corps. Malgré cela l’homme est cependant un corps. Gn 1,27 constate que cette vérité essentielle au sujet de l’homme se réfère autant à l’homme qu’à la femme: ” Dieu créa l’homme, il les créa” (*). Il faut reconnaître que le premier récit est concis, dépourvu de toute apparence de subjectivisme: il contient seulement le fait objectif et définit la réalité objective, soit lorsqu’il parle de la création de l’homme – homme et femme – à l’image de Dieu, soit lorsque, un peu plus loin, il ajoute: “Dieu les bénit et leur dit: “Soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre et soumettez-la”” Gn 2,28.

(*) Le texte original dit: ” Dieu créa l’homme (ha-adam- substantif collectif: l’humanité?) à son image; à l’image de Dieu il le créa; homme (zakar, mâle) et femme (une qebah, femelle) les créa” Gn 1,27.

5. Le premier récit de la création de l’homme, comme nous l’avons constaté, est de nature théologique, et renferme en soi une puissante charge métaphysique. Il ne faut pas oublier que précisément ce texte du Livre de la Genèse est devenu la source des inspirations les plus profondes pour les penseurs qui ont cherché à comprendre “l’être” et “l’essence”. Peut- être seul le chapitre 3 du Livre de l’Exode peut soutenir la comparaison avec ce texte (*). Malgré certaines expressions particularisées et plastiques du passage, l’homme y est défini avant tout dans les dimensions de l’être et de l’exister. Il est défini de manière plus métaphysique que physique. Au mystère de sa création (“à l’image de Dieu le créa”) correspond la perspective de la procréation (“soyez féconds et multipliez-vous, emplissez la terre”), de ce “devenir” dans le monde et dans le temps, de ce fieri qui est nécessairement lié à la situation métaphysique de la création de l’être contingent (contingens). C’est précisément dans ce contexte métaphysique de la description de Genèse qu’il faut comprendre l’entité du bien, c’est-à-dire l’aspect des valeurs. Cet aspect, en effet, se retrouve dans le rythme d’à peu près tous les jours de la création et atteint son point culminant dans la création de l’homme: “Dieu vit tout ce qu’il avait fait: ela était très bon” Gn 1,31. Aussi peut-on dire avec certitude que le premier chapitre de la Genèse constitue un point de référence inattaquable et la base solide pour une métaphysique et, également, pour une anthropologie et une éthique, selon laquelle ens et bonum convertuntur. Tout ceci, évidemment, a également un sens pour la théologie et surtout pour la théologie du corps.

(*) Haec sublimis veritas: “Je suis celui qui suis” Ex 3,14 constitue un sujet de réflexion pour de nombreux philosophes, à commencer par saint Augustin qui estimait que Platon devait connaître ce texte parce qu’il lui semblait si proche de ses conceptions. La doctrine augustinienne de la essentialitas divine a exercé, grâce à saint Anselme, une profonde influence sur la théologie de Richard de SAINT- VICTOR, d’Alexandre de HAIES et de saint Bonaventure. “Pour passer de cette interprétation philosophique du texte de l’Exode à celle qu’allait proposer saint Thomas il fallait nécessairement franchir la distance qui sépare “l’être de l’essence” de “l’être de l’existence”. Les preuves thomistes de l’existence de Dieu l’ont franchie”. Différente est la position de Maître ECKHART qui, sur la base de ce texte, attribue à Dieu la puritas essendi: est aliquid altius ente …; (cf. E. GILSON. Le Thomisme. Paris. Vrin. 1944. p. 122- 127; E. GILSON, History of Christian Philosophy in the Middle Ages, London 1955. Sheed and Ward. 810).

6. Nous allons interrompre ici nos considérations. La semaine prochaine nous nous occuperons du second récit de la création, celui qui selon les biblistes est le plus ancien. L’expression “théologie du corps” que je viens d’employer mérite une explication plus nette, mais nous en parlerons à l’occasion d’une autre rencontre. Nous devons d’abord essayer d’approfondir ce passage du Livre de la Genèse auquel le Christ s’est référé.

(Audience du 12 septembre 1979 près La Place Saint-Pierre de Rome).

TDC 003 – “Ils deviennent une seule et même chair”

1. Nous référant aux paroles du Christ qui, au sujet du mariage, s’est réclamé de l'”origine”, nous avons, il y a une semaine, fixé notre attention sur le premier récit de la création de l’homme tiré de Gn 1,26-28. Aujourd’hui nous passerons au deuxième récit que l’on qualifie souvent de “yahviste” du fait que Dieu y est appelé “Yahvé”.
Le second récit de la création de l’homme, qui s’attache à décrire tant l’innocence et la félicité originelles que la première chute a, de par sa nature, un caractère tout différent. Et sans entrer déjà dans les détails du récit – que nous nous réservons de relever au cours d’analyses suivantes – nous devons constater que, dans sa formulation de la vérité sur l’homme, tout le texte nous stupéfie par sa profondeur caractéristique, différente de celle du premier chapitre de la Genèse. On peut dire que c’est une profondeur de nature surtout subjective et donc, en un certain sens, psychologique. Le chapitre 2 constitue en quelque sorte la plus ancienne description, le plus ancien enregistrement de la manière dont l’homme se comprend et, avec le chapitre 3, il forme le premier témoignage de la conscience humaine. Une réflexion approfondie sur ce texte – à travers toute la forme archaïque du récit qui rend évident son caractère mythique primitif (*) – permet d’y trouver “en germe” à peu près tous les éléments de l’analyse de l’homme auxquels est sensible l’anthropologie philosophique moderne et, principalement, contemporaine. On pourrait dire que Genèse 2 présente la création de l’homme spécialement sous l’aspect de sa subjectivité. En confrontant les deux récits nous parvenons à la conviction que cette subjectivité correspond à la réalité objective de l’homme créé “à l’image de Dieu”. Et ce fait est lui aussi – de manière différente – important pour la théologie du corps, comme nous le constaterons dans les analyses suivantes.

(*) Si dans le langage du rationalisme du XIXe siècle le terme mythe indiquait ce qui n’entrait pas dans la réalité, le produit de l’imagination (WUNDT) ou ce qui est irrationnel (LEVY-BRUHL), le XXe siècle a modifié la manière de concevoir le mythe. L. WALK voit dans le mythe la philosophie naturelle, primitive et a-religieuse; R. OTTO le considère comme un instrument de connaissance religieuse; pour C. G. JUNG, par contre, le mythe est une manifestation des archétypes et l’expression de l'”inconscient collectif”, symbole des processus intérieurs. M. ELIADE découvre dans le mythe la structure de la réalité qui est inaccessible à l’enquête rationnelle, empirique: le mythe transforme, en effet, l’événement en catégorie et rend capable de percevoir la réalité transcendante; il n’est pas seulement un symbole des processus intérieurs, comme l’affirme JUNG, mais un acte autonome de l’esprit humain au moyen duquel se réalise la révélation (cf. Traité d’histoire des religions, Paris 1949, p. 363; Images et Symboles, Paris 1952, p. 199-235). Selon P. TILLICH le mythe est un symbole, constitué par les éléments de la réalité, qui sert à représenter l’absolu et la transcendance de l’être auxquels tend l’acte religieux. H. SCHLIER souligne que le mythe ne connaît pas les facteurs historiques et n’en a pas besoin en ce sens qu’il décrit ce qui est destin cosmique de l’homme qui est toujours tel quel. Le mythe, enfin, tend à connaître ce qui est inconnaissable. Selon P. RICOEUR: “Le mythe est autre chose qu’une explication du monde, de l’histoire et de la destinée; il exprime, en terme de monde, voire d’outre-monde ou de second monde, la compréhension que l’homme prend de lui-même par rapport au fondement et à la limite de son existence. (…) Il exprime dans un langage objectif le sens que l’homme prend de sa dépendance à l’égard de cela qui se tient à la limite et à l’origine de son monde” (P. RICOEUR, Le conflit des interprétations, Paris, Seuil, 1969, p. 383). “Le mythe adamique est par excellence le mythe anthropologique. Adam veut dire Homme; mais tout mythe de l'”homme primordial” n’est pas “mythe adamique”, qui … est seul proprement anthropologique; par là trois traits sont désignés: – le mythe étiologique rapporte l’origine du mal à un ancêtre de l’humanité actuelle dont la condition est homogène à la nôtre (…); – le mythe étiologique est la tentative la plus extrême pour dédoubler l’origine du mal et du bien. L’intention de ce mythe est de donner consistance à une origine radicale du mal distincte de l’origine plus originaire de l’être-bon des choses (…). Cette distinction du radical et de l’originaire est essentielle au caractère anthropologique du mythe adamique; c’est elle qui fait de l’homme un commencement du mal au sein d’une création qui a déjà son commencement absolu dans l’acte créateur de Dieu; – le mythe adamique subordonne à la figure centrale de l’homme primordial d’autres figures qui tendent à décentrer le récit, sans pourtant supprimer le primat de la figure adamique. (…) Le mythe en nommant Adam, l’homme, explicite l’universalité concrète du mal humain; l’esprit de pénitence se donne dans le mythe adamique le symbole de cette universalité. Nous retrouvons ainsi (…) la fonction universalisante du mythe. Mais en même temps nous retrouvons les deux autres fonctions, également suscitées par l’expérience pénitentielle (…). Le mythe proto-historique servit ainsi non seulement à généraliser l’expérience d’Israël à l’humanité de tous les temps et de tous les lieux, mais à étendre à celle-ci la grande tension de la condamnation et de la miséricorde que les prophètes avaient enseigné à discerner dans le propre destin d’Israël. Enfin, dernière fonction du mythe, motivée dans la foi d’Israël: le mythe prépare la spéculation en explorant le point de rupture de l’ontologique et de l’historique” (P. RICOEUR. Finitude et culpabilité: II. Symbolique du mal. Paris. Aubier. 1960. p. 218-227).

2. Il est significatif que, dans sa réponse aux pharisiens où il se réclame de l'”origine”, le Christ se réfère avant tout à Gn 1,27 pour indiquer la création de l’homme: “A l’origine le Créateur les créa homme et femme”; ce n’est qu’ensuite qu’il cite Gn 2,24. Les paroles qui décrivent directement l’unité et l’indissolubilité du mariage se trouvent dans le contexte immédiat du second récit de la création qui a pour trait caractéristique la création séparée de la femme Gn 2,18-23, tandis que le récit de la création du premier homme (mâle) se trouve dans Gn 2,5-7. Ce premier être humain, la Bible l’appelle “homme” (‘adam), tandis que, par l'”origine” et le mystère de la création de la première femme, elle commence à l’appeler “mâle”, “is”, en relation avec “issah” (“femelle”, parce qu’elle a été tirée du mâle, “is”) (*). Il est également significatif que, se référant à Gn 2,24 , le Christ non seulement établit une liaison entre l'”origine” et le mystère de la création mais, également, nous conduit pour ainsi dire à la limite entre l’innocence primitive de l’homme et le péché originel. La seconde description de la création de l’homme a été, dans le Livre de la Genèse, fixée précisément dans ce contexte. Nous y lisons avant tout: “Puis, de la côte qu’il avait tirée de l’homme, le Seigneur Dieu façonna une femme et l’amena à l’homme. Alors celui-ci s’écria: “A ce coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair! Celle-ci sera appelée “femme”, car elle fut tirée de l’homme” Gn 2,22-23. “C’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme et ils deviennent une seule et même chair” Gn 2,24.
“Or tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, et ils n’avaient pas honte l’un devant l’autre” Gn 2,25.

(*) Quant à l’étymologie, il n’est pas exclu que le terme hébreu is’ dérive d’une racine qui signifie “force” (‘is’ ou ‘ws’); par contre ‘issâ est lié à une série de termes sémitiques dont le sens oscille entre “femelle” et “épouse”. L’étymologie proposée par le texte biblique est de caractère populaire et sert à souligner l’unité de provenance de l’homme et de la femme; ceci semble confirmé par l’assonance des deux termes.

3. Puis, immédiatement après ces versets, commence Genèse 3, le récit de la première chute de l’homme et de la femme, rattaché à l’arbre mystérieux qui, déjà auparavant, avait été appelé “arbre de la science du bien et du mal” Gn 2,17. Avec ceci, se présente une situation tout à fait nouvelle, essentiellement différente de la précédente. L’arbre de la connaissance du bien et du mal est une ligne de démarcation entre les deux situations originelles dont parle le Livre de la Genèse. La première situation est celle de l’innocence originelle où l’être humain (homme et femme) se trouve pour ainsi dire au dehors de la connaissance du bien et du mal jusqu’au moment où, transgressant la défense du Créateur, ils mangèrent du fruit de l’arbre de la connaissance. La seconde situation est, par contre, celle dans laquelle, après avoir désobéi au commandement du Créateur, comme le suggérait l’esprit malin symbolisé par le serpent, l’homme se trouve d’une certaine manière à l’intérieur de la connaissance du bien et du mal. Cette seconde situation détermine l’état de péché de l’homme, par opposition à l’état d’innocence originelle.
Bien que dans son ensemble le texte yahviste soit très concis, il suffit à différencier et à opposer avec clarté les deux situations originaires. Nous parlons ici de situations, ayant sous les yeux le récit qui est une description d’événements. Ne transparaît pas moins, à travers cette description avec tous ses détails, la différence essentielle entre l’état de péché de l’homme et celui de son innocence originaire. La théologie systématique découvrira dans ces deux situations antithétiques deux états différents de la nature humaine: status naturae integrae (état de nature intègre) et status naturae lapsae (état de nature déchue) (*). Tout ceci ressort du texte “yahviste” de Gn 2-3, qui contient la plus antique parole de la révélation et a, évidemment, une importance fondamentale pour la théologie de l’homme et pour la théologie du corps.

(*) “Le langage religieux lui-même requiert la transposition de ‘images’ ou plutôt ‘modalité symbolique’ à ‘modalité conceptuelle’ d’expression. A première vue cette transposition peut sembler n’être qu’un changement purement extrinsèque (…). Le langage symbolique semble inapte à prendre la voie du concept pour un motif qui est particulier à la culture occidentale. Dans cette culture le langage religieux a toujours été conditionné par un autre langage, le philosophique qui est le langage conceptuel par excellence (…). S’il est vrai que le vocabulaire religieux est compris seulement dans une communauté qui l’interprète et suivant une tradition d’interprétation, il est tout aussi vrai qu’il n’existe pas de tradition d’interprétation qui ne soit pas “médiate” à quelque conception philosophique. Ainsi le mot “Dieu”, qui dans les textes bibliques reçoit sa signification de la convergence des divers modes du discours (récits et prophéties, textes de législation et livres sapientiaux. proverbes et hymnes) – cette convergence étant vue tant comme le point d’intersection que comme l’horizon fuyant à toute et n’importe quelle forme – doit nécessairement être absorbé dans l’espace conceptuel pour être réinterprété dans les termes de l’Absolu philosophique comme moteur premier, cause première, Actus Essendi, être parfait, etc. Notre concept de Dieu appartient donc à une ontothéologie, dans laquelle s’organise l’entière constellation de la parole-clé de la sémantique théologique, mais dans un cadre de significations dictées par la métaphysique” (Paul RICOEUR, Ermeneutica biblica, Brescia 1978. Titre original: Biblical Hermeneutics, Montana 1975). Quant à la question de savoir si la réduction métaphysique exprime réellement le contenu que cèle en soi le langage symbolique et métaphorique, il s’agit d’un thème à part.

4. Lorsque, se référant à l'”origine”, le Christ renvoie ses interlocuteurs aux paroles écrites dans Gn 2,24, il leur ordonne, en un certain sens, d’aller au-delà des limites qui, dans le texte yahviste de la Genèse, règnent entre la première et la seconde situation de l’homme. Il n’approuve pas ce que, “par dureté… de coeur”, Moïse a permis, et se réclame des paroles du premier commandement divin qui, dans ce texte, est expressément lié à l’état d’innocence originaire de l’homme. Ce qui signifie que cet ordre n’a rien perdu de sa vigueur bien que l’homme ait perdu son innocence primitive. La réponse du Christ est décisive, sans équivoque. Aussi devons-nous en tirer les conclusions normatives qui ont une signification essentielle non seulement pour l’éthique, mais aussi et surtout pour la théologie de l’homme et pour la théologie du corps qui, comme moment particulier de l’anthropologie théologique, se constitue sur la base de la parole de Dieu qui se révèle. Nous tâcherons d’en tirer de telles conclusions durant notre prochaine rencontre.

(Audience du 19 septembre 1979 près La Place Saint-Pierre de Rome).

François Tshionyi Kazadi

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